Choisir
Assise les bras croisés sur sa table en formica écaillé,
Henriette hésite et réfléchit à ce choix récurrent qui l’effraie.
Achètera-t-elle de quoi manger et améliorer l’ordinaire ?
Ou commencera-t-elle à chauffer, ses articulations douloureuses lui rappelant l’avancée saisonnière ?
Ses mains ridées aux doigts crispés par les années,
Tremblent face à cette vie qui l’épuise et qu’elle n’a pas méritée.
Elle a pourtant fait ce que la société attendait d’elle
Travailler jour après jour à se meurtrir les mains dans cet atelier de dentelle.
C’est sûr que la mort de son René n’a pas facilité les choses.
Il n’était pas tous les jours facile mais sa pension améliorait la vie sans être grandiose.
Quand on lui a dit qu’il fallait restreindre son niveau de vie,
Elle n’a pas compris ce qu’il y avait de superflu dans son quotidien gris.
Elle ne sortait déjà plus, qu’irait-elle faire au restaurant ou au cinéma à son âge ?
Elle a alors commencé par ne plus manger de fruits ou de laitage.
Ça coûte cher et elle n’a que faire de protéger ses vieux os lourds.
Les conserves c’est bien, ça se garde et elle tient plusieurs jours.
Seulement voilà, ses petits-enfants viennent demain, enfin peut-être.
Elle devrait appeler son fils Jean pour qu’il remplace le scotch qui colmate sa fenêtre.
Il ferait alors un peu moins froid et les enfants pourraient ôter leur veste.
Elle pourrait acheter de la bonne viande même si pour ça les prochains jours seront funestes.
Pour patienter et occuper ses longues journées, elle allume sa télé.
Compagne fidèle, présence sonore montrant sa solitude révélée.
Toute sa vie elle a fait ce qu’on lui a dit.
Pourtant dans la télé les gens de là-haut lui parle d’austérité et d’inflation.
Ces mots qu’elle ne comprend pas toujours mais qui pour elle réduisent son horizon.
Le Horla 04/11/2022