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Billet de blog 11 avril 2024

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prague, 1er septembre 1939

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

A Nicholas Winton

Prague, 1er septembre 1939

L’aube est grise en ce matin frissonnant de novembre.

Les fumées des trains et de la brume automnale se confondent dans cette étrange antichambre.

La garde résonne des pas pressés qui couvrent aisément les voix des enfants qui questionnent.

« Pourquoi ne viens-tu pas avec nous ? Va-t-on partir longtemps ? » « Pas si fort ! Il est possible qu’on nous espionne ! »

Les parents occultent, les parents se ferment.

Ils ne veulent pas penser au lendemain, aux promesses qui n’en sont pas, aux doutes qui germent.

Qui sont ces femmes à qui ils confient la chair de leur chair ?

Comment savoir si elles s’occuperont bien d’eux, le petit dernier est si tête en l’air.

La pression est devenue trop étouffante.

Les armées de l’aigle affamé avancent et piétineront bientôt sans effort ces petits corps aux noms qui font d’eux des cibles vivantes.

Loin d’ici ils seront mieux.

L’ogre moustachu serait bien présomptueux s’il pense atteindre le cœur d’une Angleterre à mille lieux.

Seul un bruit pouvait recouvrir le sifflement des locomotives rutilantes.

Des rafales de bottes claquent soudainement et rendent l’atmosphère glaçante.

La langue allemande que tous redoutaient d’entendre,

Hurle, ordonne, cingle et la panique ne cesse de se répandre.

Des bras et des jambes se mélangent au pied des wagons.

Chacun cherche les siens pris dans cette mêlée sans nom.

Les aboiements des chiens, les craquements des os qu’on brise à coup de crosses puissantes,

Parviennent inexorablement à rompre ces étreintes déchirantes.

Les familles s’étaient résignées à une souffrance raisonnable,

Faire comprendre aux aînés que c’est pour leur bien, mentir pieusement aux plus jeunes que la séparation serait brève, sentence acceptable.

Mais pas comme ça, non, pas comme ça.

Cela ne pouvait pas se terminer ainsi après tant d’efforts et de vœux qu’on prononça.

Les hordes hurlantes réquisitionnaient le train et ricanaient de ne changer du voyage que la destination finale.

« Patience, raillaient-ils, patience, vous les retrouverez bientôt au même terminal.

Les bras redoublaient d’ardeur à attraper une manche ou un simple bout d’espoir.

Les enfants hurlaient, appelaient « papa ! maman ! » mais sur eux tombaient déjà le soir.

La gare est calme désormais.

Un soulier abandonné jonche le sol, témoin du tumulte passé.

De petits panaches de fumées se dispersent encore sous les haubans de métal,

Reliquats des derniers arguments des soldats dispensés en rafales.

Le train est maintenant loin d’ici ?

Parti vers des enfers dont l’Histoire retiendra des noms qui crucifient.

Il ne reste plus que lui, agenouillé sur ce quai désert.

Un père probablement. Un père qui tient dans ses mains tremblantes le foulard froissé de son Esther.

Est-il encore père maintenant que sa chair lui a été arrachée ?

Dans un monde ou dans l’autre, il se promet de toujours la chercher.

11/04/2024

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