Je dois concéder un certain faible pour l’astrophysicien Aurélien Barrau. Pas pour la probable qualité de ces travaux auxquels je ne dois rien comprendre mais pour la qualité et la clarté de sa pensée concernant la crise du vivant que nous connaissons.
J’essaie de garder en tête les dangers de l’effet gourou toujours possible et un d’exercer un esprit critique sur le contenu de son discours, je me retrouve cependant dans beaucoup de ses déclarations ou plutôt je lui envie le courage de mettre en adéquation sa pensée et ses actes. Sa dernière déclaration qui me vaut l’écriture de ce texte a eu lieu début juin sur France Inter à l’occasion de la sortie d’un texte intitulé « il faut une révolution politique, poétique et philosophique ». Au cours de cette émission et après avoir débuté par un triste constat sur la situation actuelle, le journaliste invite Aurélien Barrau à aborder ce qui vient après le constat, l’action. Comment agir face à cette crise ? Quels gestes accomplir au quotidien pour limiter son impact sur l’environnement ?
La réponse d’Aurélien Barrau m’a profondément surpris et me hante depuis. Pour lui, nous sommes à côté de la plaque si nous espérons limiter les dégâts de la crise actuelle par « les petits gestes du quotidien » comme les appelle les gouvernements pour finalement nous inciter à consommer davantage. Il faut arrêter d’agir. Non pas pour acter notre défaite et en finir sur un feu d’artifices de consommation autodestructrice. Non.
Arrêter d’agir pour penser.
Je m’attendais à tout sauf à cela. Acquis comme beaucoup à la nécessité de d’agir tout en étant perclus de contradictions face à certains de mes comportements, j’essaie comme le veut l’expression consacrée d’avoir un comportement le plus vertueux possible dans les limites du mode de vie que je me suis choisis (ou qu’on m’a imposé c’est selon.)
L’inaction écologique assumée n’est plus une posture tenable pour de grandes marques ou la plupart des politiques (sauf cas d’illuminés comme Trump ou Bolsonaro). Aujourd’hui, une grande partie des citoyens des pays occidentaux (c’est-à-dire ceux concernés au premier chef par l’impact sur la crise écologique) ont ce qu’on appelle désormais une conscience écologique. L’enjeu, conscientisé ou non, pour ces industriels et politiques est de réussir à maintenir un même modèle de croissance économique tout en nous déculpabilisant le plus possible de notre responsabilité afin que nous continuions ainsi. Nous devons poursuivre le même modèle économique quoi qu’il en coûte. L’art du statu quo. Et pour atteindre cet objectif, agiter le chiffon rouge du tri des déchets, de la baisse du chauffage d’un degré est finalement le meilleur moyen pour que cela continue. Je ne dis pas que chacune de ces actions n’est pas utile, pas du tout. Elles ont certainement un léger impact. Je constate simplement que toutes ces actions ne suffiront jamais à inverser la tendance sur ce que nous infligeons à la planète. Ces actions constituent en revanche la meilleure stratégie pour nous libérer de cette culpabilité écologique tout en continuant à faire tourner la machine capitaliste. On peut alors se demander pourquoi cette technique grossière fonctionne-t’elle si bien ? C’est parce qu’on nous demande d’agir tout de suite et sans cesse. Agir, agir, agir. Associé à nos modes de vie contemporains, nos travails, nos vies de famille, quel temps nous reste-t-il pour réfléchir à la destination vers laquelle nous voudrions vraiment aller et celle vers laquelle le capitalisme nous conduit ?
Penser objectivement, penser honnêtement. Qui aujourd’hui, s’accorde vraiment le luxe de penser. Pas juste réfléchir à telle ou telle chose à faire ou à l’organisation de son planning ? Non, penser. Penser de manière holistique. Penser de manière holistique à notre trajectoire de vie. Gérald Bronner, dans son livre Apocalypse cognitive, nous parle de la nouvelle cible visée par les industriels, notre temps d’attention. Il faut nous occuper sans cesse l’esprit afin que celui-ci n’ait le temps de penser par lui-même. C’est exactement ça. Car des esprits qui pensent par eux-mêmes sont des esprits dangereux. Dangereux car à partir du moment où nous prendrions vraiment le temps de penser à notre trajectoire, à la vie que nous voudrions vraiment mener, nous ne pourrions éviter d’arriver à la conclusion qu’un mode de vie en équilibre avec le vivant n’est absolument pas compatible avec celui capitaliste basé sur une croissance infinie. C’est impossible. Et, pour reprendre à mon compte une expression chère à Aurélien Barrau, « ceux qui nous font croire ça sont des bouffons ».
Penser me semble en fait la seule solution. Mais penser à quoi ? Ou penser comment ? Car nous n’avons jamais véritablement appris à penser.
Selon moi, le premier axe de pensée doit être d’arrêter de croire (du latin credere, avoir confiance, verbe choisi donc à propos) que le schéma que nous connaissons et le seul possible. Nous vivons entourés de dogmes : le dogme de la loi du marché, le dogme de l’offre et la demande, le dogme de la mise en valeur personnelle par la réussite financière, le dogme de la valeur du travail, le dogme du capitalisme. Accepter cela c’est déjà s’empêcher de penser différemment et d’imaginer une autre société. La réussite matérielle ne doit par exemple plus être un marqueur enviable. Bagnoles, fringues, smartphones ; sans aller jusqu’à souhaiter qu’ils deviennent des marqueurs dépréciatifs (encore que), ils doivent tout au plus être des marqueurs neutres qui nous remplissent d’indifférence. A partir de là, beaucoup de ces comportements perdraient de leur attrait. L’inverse est aussi vrai. Les biens de seconde main, un vêtement passé ou un téléphone à l’écran rayé mais qui fonctionne ne doivent plus être des marqueurs négatifs.
Nous devons alors penser, une fois sortie de ce carcan à ce qui compte vraiment. Et finalement, que découvririons nous ? Ce qui compte vraiment, ce sont les autres, le partage, vivre en bonne entente, créer, rêver. Avons-nous besoin de beaucoup plus que ça ? Un grand nombre d’entre nous pourrait répondre que oui justement nous avons besoin de plus : un réseau 5G qui passe partout, la dernière version du téléphone à la pomme etc. Mais cette vision n’est que le résultat de décennies de conditionnement. Comment pourrait-il en être autrement ? Nous sommes dépendants, tout simplement.
La faille de ce raisonnement réside sur le point de départ de la responsabilité de ce changement radical. Est-il individuel, collectif, gouvernemental ?
Puis-je, à mon échelle, penser suffisamment pour infléchir mon mode de vie cerné qu’il est par une non-pensée dogmatique ? Si la prise de conscience et les changements associés s’effectuent néanmoins, deviendrais-je autre chose qu’un illuminé isolé, qu’un grincheux vertueux et moralisateur ou encore qu’un cassandre désespéré ? A notre hauteur individuelle, l’impact sur le vivant n’est pas si visible que ça. N’ai-je pas le droit de profiter du peu de temps qui m’est octroyé pour être heureux et rendre heureux les miens ? Un tel égocentrisme n’est-il finalement pas si acceptable ? C’est une vraie question.
Je crois que si la prise de conscience de la nécessité de penser n’a pas eu lieu, c’est ainsi qu’il faut vivre. Mais dès que la graine de la pulsion impérieuse de penser a commencé à germer dans notre esprit, il n’est plus possible de l’ignorer. Dans ce cas, face à ce conflit intérieur, la solution doit peut-être venir « d’en haut », de nos penseurs justement ou des politiques. Je vous entends déjà pouffer sarcastiquement à la lecture de ce dernier mot. Et vous auriez raison. Le système est ainsi fait que pour mettre en œuvre un nouveau mode de pensée, encore faut-il arriver au pouvoir et quels électeurs, en nombre suffisant, accepteraient d’élire quelqu’un qui proposerait un changement si radical que les conséquences en seraient forcément douloureuses pour beaucoup, au moins au début ?
Je confesse humblement ma faiblesse en reconnaissant que j’attends, j’espère finalement qu’on m’impose ces changements radicaux. Individuellement cela me semble trop difficile de s’engager seul dans une nouvelle direction si intrinsèquement différente même j’y suis mentalement prêt. Mais qui élirait un politique avec un programme pareil ?
J’en reviens à ma conviction profonde que nous ne changerons de paradigmes que lorsque ceux-ci s’effondreront d’eux-mêmes et qu’il sera certainement trop tard (trop tard pour quoi d’ailleurs ? pour qui ? trop tard pour limiter notre impact ? cette étape est déjà franchie depuis longtemps).
Agir ne me semble donc plus la priorité. A notre échelle, nous avons déjà plus ou moins tout essayé. Manger moins de viande, moins prendre l’avion, c’est toujours la même idée : avoir les mêmes comportements mais juste un peu moins. Une étude a montré que si un Français appliquait à la lettre tous « les gestes du quotidien », cela ne ferait baisser que de 25% son empreinte carbone. Ce n’est pas négligeable mais bien loin du niveau de la réponse nécessaire. Sans parler du fait qu’on ne parle que du CO2 donc du climat et pas de nos impacts directs sur la biosphère.
Prenons donc le temps de nous arrêter. Posons notre fatalisme, notre inconscience, notre bonne volonté quelques instants et pensons. Il est certain que ce n’est qu’ainsi que nous pouvons espérer changer de voie.
Des solutions existent déjà. LA solution existe peut-être quelque part. Encore faut-il que prenions le temps d’y penser. Il faut que nous comprenions où est le vrai sens de la vie. Par pitié.