L’annonce
Alors que la nuit commence à tomber autour de moi déployant ses ailes obscures luttant contre le jour qui décroît,
Je m’assois enfin et exhale un soupir à mi-chemin entre le soulagement et l’épuisement des longues journées passées dans le froid.
J’aime ce fauteuil placé dans un coin chaud du salon,
Isolé du passage, sa position me permet une vision panoramique dissimulé dans mon bastion.
La fatigue me paraît plus présente qu’à l’accoutumée,
Mes entraînements n’ont pourtant pas changé, les kilomètres avalés ne m’ont jamais tant éprouvé.
Le Mal doit progresser au plus profond de mes entrailles.
La femme en blouse blanche a été claire, le cancer est là, il faut le nommer et s’engager dans la bataille.
Je ferme les yeux quelques instants pour que passe l’étourdissement.
Le foyer à cet instant est loin du havre de paix reposant :
Les enfants s’ébattent, se battent, se lancent dans d’épiques combats de Titans.
Loin de peser sur mon état, ces bruits, ces rires incessants me rappellent à chaque instant que je suis vivant.
Si l’atmosphère est encore si légère à cette heure où le jour renonce,
C’est que je ne suis pas encore parvenu au moment suspendu qu’est l’annonce.
Plusieurs jours ont passé depuis cet instant où je suis passé d’un monde nonchalant aux sombres lueurs des innocents en suspens.
Ce n’est pas la honte ou la crainte qui me font redouter ce moment,
Mais je ne me résous pas à mettre fin à ces jeux d’enfants.
Je sais très bien qu’à la seconde où le mot « malade » sera prononcé,
Le destin de chacun s’en trouvera changé à jamais.
Le petit dernier me dira bien de sa voix fluette mais assurée que ce n’est pas grave et qu’il va me soigner,
Je verrai bien dans le regard de l’aînée un mélange de peur et de colère de mettre ainsi un terme à nos vies bien réglées.
Je sens bien qu’en moi ce foutu crabe déploie ses pattes articulées et qu’un compte à rebours est lancé.
Comment pourrai-je briser cet équilibre dont le semblant d’immanence rassure ?
Alors que son vrai visage est qu’il ne suffit d’un rien pour qu’il bascule, terrible quadrature.
Je repousse, j’annule, je retarde,
Le moment approche où aux yeux de tous je passerai de l’autre côté du miroir, celui des lumières blafardes.
« Les enfants, mes chéris, venez voir ; papa doit vous parler ».
Le Horla 19/04/2023