La Seine
Assis sur un banc au bord de la Seine,
Je goûte aux délices du temps qui s’étire sans peine.
L’été renâcle à se retirer, l’automne hésite à s’installer.
Malgré l’heure tardive, ses rives m’offrent une douceur inespérée.
Le grand fleuve en est à un passage où les méandres se font rares,
C’est alors une immense saignée qui s’offre à mon regard.
Les pluies des derniers jours ont gonflé son cœur battant,
Les feuilles naufragées des arbres sont irrémédiablement emportées à leur corps défendant.
De temps à autre percent à la surface de petites rides circulaires
Témoins de la mort qui emporte l’insecte téméraire qui n’aura su prendre garde que le monde avait aussi un envers.
Je mentirais si je disais que ce havre de paix était aussi celui du silence,
La vie tout autour se charge de me rappeler sa présence.
Au loin gronde l’onde qui soudain accélère sa course,
Précipitée par la pente que lui offre l’écluse sa nouvelle source.
Une cane tance ses petits toujours à la traîne,
Alors qu’elle traverse le fleuve en quête d’une aubaine.
Soudain, c’est le cri d’un enfant qui résonne,
Pêcheur en herbe, sa ligne vient de se tendre alors il tonne ;
Il tonne à qui veut l’entendre, à la Nature elle-même peut-être,
« J’en tiens un, j’en tiens un » hurle-t-il à tue-tête.
Le brochet frétillant, gueule ouverte et ouïes palpitantes,
Lutte pour sa vie, tiré malgré lui par ce fil à l’attraction éclatante.
Jetant ses dernières forces dans la bataille par quelques coups de queue retords,
L’enfant l’exhibe fièrement, trophée digne de Jason et de sa toison d’or.
Les libellules, nullement préoccupées par ces basses considérations,
Continuent leur ballet aérien, prédateur insatiable malgré leur ai de contrition.
Quelques péniches amarrées refusent de prendre part à ces mélopées,
Leurs hublots voilés semblables à des paupières fermées.
Leurs cordages paraissent les emprisonner à jamais
Alors qu’il ne suffirait d’un rien, d’un « larguez les amarres ! » pour changer ce que l’avenir promet.
Le soleil descend lentement derrière les cimes des grands chênes,
Fatigué qu’il doit être de sans cesse parcourir cet Eden.
Est-ce à la faveur de ces rayons qui s’en vont décroissants ?
L’air s’anime brusquement faisant frissonner les feuilles de ces géants.
Une cloche au loin retentit,
Mais je me perds dans ses tintements, refusant un décompte du temps précis.
L’heure approche où il me faudra renoncer à ces paysages magnifiés par Sisley.
L’illusion d’un temps arrêté n’était qu’un mauvais tour que la Seine m’avait joué.
Je me souviens alors qu’au creux de la main,
Un caillou attend de virevolter sur ces eaux devenues d’airain.
Je ferme alors le poing et m’y refuse,
Je ne peux troubler cette scène pour qui ma présence est déjà une intruse.
20/10/2022