Je suis un électeur de gauche. Et comme beaucoup d’électeurs de gauche, j’ai participé au front républicain depuis un funeste jour d’avril 2002 où j’ai dû mettre un bulletin « Jacques Chirac » dans l’urne. Depuis ce moment et jusqu’à récemment, je l’ai fait sans véritable hésitation, par devoir républicain face à la menace que représente l’extrême droite que je voulais la plus basse possible.
La première fissure de ce front a été lorsque la droite classique s’est fendue de son fameux « ni-ni » prôné par Nicolas Sarkozy. Je me disais alors que je valais mieux que ces mesquineries. L’enjeu était trop grand.
En 2017, mon candidat n’étant pas parvenu à accéder au second tour, le duel opposait, on s’en souvient Emmanuel Macron à Marine Lepen. J’avais déjà bien compris que l’ancien ministre de l’Economie Macron était loin de correspondre à mon idée de la gauche mais le doute était encore permis sur l’ampleur de sa droitisation et surtout je tenais à continuer à appliquer ce front républicain.
Seulement voilà. Cinq années ont passé. Cinq années de matraquage social orchestré notamment par Jean Michel Blanquer, le fossoyeur de l’Education Nationale. En tant qu’enseignant, je n’ai jamais subi une telle violence institutionnelle. Je ne referai pas le bilan, on le connaît. La droitisation, l’arrogance, la répression des manifestations etc. Usé par ce quinquennat, je commence à en avoir assez de « voter contre », « faire obstacle à ». Nous ne devenons désirables que lorsqu’ils ont besoin de nos voix. J’ai bien compris que la stratégie présidentielle vise à pérenniser ce duel contre l’extrême-droite afin de profiter de notre sursaut républicain. Pour le 2ème tour de l’élection présidentielle de 2022, pour la première fois j’ai hésité. Deuxième fissure.
Jusqu’au bout je n’étais pas sûr de ma décision. Voter Macron, voter blanc, ne pas voter ? face au sondage qui accordait une victoire sans véritable ambiguïté pour le candidat Macron, j’ai pris la décision de ne pas lui donner ma voix. Il n’en avait pas besoin et je ne pouvais plus continuer à cautionner sa politique. Elle ne se ferait pas en mon nom. Je sais très bien que le risque n’était pas nul, que si ma réflexion était partagée, le cataclysme était possible. J’en avais parfaitement conscience. C’est dire l’ampleur de l’écœurement d’un électeur viscéralement opposé à l’extrême droite provoqué par le quinquennat précédent. (Surtout que la couleur était annoncée pour celui à venir entre la réforme des retraites et la refonte du statut de fonctionnaire notamment). Me restait alors les possibilités de voter blanc ou de m’abstenir. Pour la première fois de ma vie d’électeur, je me suis abstenu. Le vote blanc n’étant pas reconnu, je tenais à ce que ma désapprobation d’un tel duel orchestré soit visible et le vote blanc ne le permet pas. Leur nombre n’est même pas cité lors des soirées électorales. En revanche, par mon abstention, signe politique réel, je pouvais signifier quelque chose. Plus elle serait importante, plus cela montrerait le refus par les citoyens d’un tel choix. C’est donc ce que j’ai fait. Je n’ai pas voté. Les représentants de la Macronie ne se sont pourtant privés de courtiser les électeurs de gauche en faisant appel à notre conscience républicaine, aux valeurs que finalement nous partagions (dixit Richard Ferrand, je reviendrai à lui…). C’en était fini pour moi.
Quand, à peine quelques semaines après cet appel au front républicain, la situation inverse s’est présentée lors des législatives, la réciproque n’a évidemment pas eu lieu. Dernière fissure.
Dans aucun cas de duel, les représentants de la majorité n’ont appelé à faire obstacle à l’extrême-droite en appelant à voter pour la NUPES. Richard Ferrand, le même que quelques lignes plus haut, disant qu’il ne partageait aucune valeur avec ce camp pour appeler à voter pour lui. Voilà l’acte qui signait la fin du front républicain. Le cynisme, la médiocrité, le manque de hauteur de la majorité n’ont eu d’égaux que leur manque de dignité.
Je pense que la semaine de l’entre deux tours des législatives que nous venons de vivre marque un tournant dans la vie politique française. Je peine à concevoir de quoi vont être faits les prochains mois (quel gouvernement, quelles alliances ?) mais ce que je sais c’est qu’Emmanuel Macron vient de signer l’arrêt de mort de la dernière protection qui perdurait contre l’accession au pouvoir de l’extrême-droite. Jusqu’à alors, il aurait été impossible pour un candidat de ce camp de rassembler plus de 50% de votants. Même si le nombre d’électeurs d’extrême-droite n’a pas suffisamment augmenté, il devient suffisant face à l’érosion inéluctable des citoyens votant par devoir contre elle.
Le président fraîchement réélu a dit que « sa victoire l’obligeait ». Mais il n’en est évidemment rien. Il ne s’est pas privé pour rapidement insinuer que si les électeurs votaient pour lui, c’était aussi une forme d’adhésion à sa vision. Quelle indignité ! pour reprendre la formule célèbre d’un ancien président fin connaisseur en la matière.
En balayant l’effort du peuple de gauche à exercer une fois encore (la dernière ?) le front républicain, en refusant la réciprocité de cet acte important, le président Macron portera la responsabilité de la désormais possible victoire de l’extrême-droite à l’élection présidentielle. Peut-être que lorsque les sondages seront plus menaçants, le sursaut se fera encore. Mais aujourd’hui je n’en suis plus certain.
Qu’ils se débrouillent pour gagner avec leur partisan, après tout, ils ont telle estime de leur politique qu’elle devrait suffire à susciter l’adhésion de suffisamment de Français non ?