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Chroniques du néolibéralisme autoritaire

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Billet de blog 23 juillet 2017

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Loi travail: en bonne voie vers le pire.

A peine deux mois après l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron, mission accomplie: la voie est libre pour une nouvelle casse du code du travail. Plusieurs éléments marquent cette nouvelle séquence, et illustrent le parfum de l’époque.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

A peine deux mois après l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron, mission accomplie: la voie est libre pour une nouvelle casse du code du travail. Elle sera officielle à l’automne, mais on retrouve l’idée de Blitzkrieg sociale chère à Francois Fillon, soit l’idée d’agir vite et fort pour briser dès le début de mandat ce qui reste de protection salariale, et donner des gages sérieux aux milieux d’affaires dont le nouveau pouvoir est, pour changer, un bras juridique.

Plusieurs éléments marquent cette nouvelle séquence, et illustrent le parfum de l’époque.

Le prolongement rêvé et inutile de la Loi El Khomri.

Ce qui frappe dans ce nouvel épisode de la loi travail, puisque il est d’usage d’adapter le vocabulaire de la série au déroulement du politique, c’est que tout ce qui était resté à la porte de la Loi El Khomri, principalement à cause de/grace à la contestation massive à laquelle fit face, est revenu par la fenêtre.

Et la liste fait peur: fusion des instances du personnel, plafonnement des indemnités prud’hommales en cas de licenciement abusif, prise en compte de la seule situation nationale, et non mondiale, lors des licenciements économiques, refonte du compte pénibilité, inversion des normes, etc… Si les détails de ces propositions sont largement documentés, ce qui nous importe ici est d’en discuter le sens, la couleur. Tout le projet de loi est orienté vers une plus grande précarisation juridique et financière des salariés, au bénéfice des entreprises.

L’insupportable vocable employé à tout bout de champ par le président, son premier ministre, et la ministre du travail, est emblématique de la langue managériale, qui porte en elle la négation des conflits du monde du travail. Au delà de la négation, ou de la fausse prétention à l’égalité entre employeurs et employés, cette langue énonce le contraire de ce qu’elle dit. Lorsque on entend « meilleure protection des salariés », il faut alors se méfier, et préparer les barricades intellectuelles.

Ce qui fut frappant d’ailleurs dans les comptes rendus de débat publiés dans la presse fut de constater que les députés de la majorité, lorsqu’ils ne se terraient pas dans le silence, en revenaient inlassablement aux grands poncifs de la modernisation, de l’adaptation, et d’un monde largement imaginaire où le salarié négocie d’égal à égal, de manière responsable avec son employeur, là où, à la base même de l’emploi, il y a le dit contrat de travail, qui énonce clairement un lien de subordination.

De manière dramatique, le mouvement amorcé depuis trente à quarante ans en termes de politiques économiques et de l’emploi aura consisté à créer plus d’incertitude juridique et économique des travailleurs, et à augmenter d’autant celle des entreprises. Il est intéressant de voir que l’on légitime toujours la richesse des actionnaires et des investisseurs par la prise de risque à la base de leur investissements, mais qu’eux même ont passé trois à quatre décennies à jouer les pleureuses afin d’être chaque fois un peu plus choyés par l’environnement juridique dans lequel ils évoluent. La minimisation du risque par tous les moyens, plutôt que la prise de risque au service de la création de richesse qui rendra heureuse la société – mythe officiel- , là est le vrai comportement entrepreneurial. Les banquiers intrépides ont la garantie de l’état de par leurs taille démesurée, le célèbre « too big to fail », les entrepreneurs de tous types auront bientôt un droit du travail détricoté.

Dans la farandole de propositions abjecte, notons le plafonnement des indemnités prudhommales en cas de licenciement abusif, qui permet tout simplement de budgéter des licenciements. Grande revendication patronale, son application permettra d’anticiper, on ose dire de préméditer, des plans sociaux. La cohérence de la loi se comprend lorsque on songe que dans une précédente loi Macron, les délais de recours aux prud’hommes on été raccourcis, diminuant fortement les saisines l’année dernière. Ainsi, en plus de les rendre plus difficiles d’accès aux salariés, le gouvernement entend les rendre moins favorables. Autre point de cohérence inquiétant. Dans un environnement juridique où la chasse à l’évasion fiscale n’est pas une priorité claire, que le verrou de Bercy vient d’être maintenu, et que l’optimisation fiscale n’est pas remise en question, la prise en compte du seul périmètre national pour juger de la situation d’une entreprise permettra à une entreprise de domicilier ses bénéfices hors de frontières afin d’apparaitre en difficulté sur le territoire et donc de pouvoir licencier. Et de licencier selon des provisions que la plafonnement des indemnités aura permis de calculer en amont.

Ne jamais, ô grand jamais, sous estimer le génie des rouages de la machine de guerre.

Tout ceci serait déjà suffisamment amer, si une rigoureuse note de l’Insee ne venait y ajouter l’ironie du sort. En l’espèce, lorsque les entreprises de toutes tailles évoquent les barrières à l’embauche, la réglementation du marché de l’emploi apparait en quatrième position.

En première position, on trouve l’incertitude économique, puis l’absence de main d’oeuvre compétente, le coût du travail, et enfin le code du travail.

De l’inutilité de ce projet de loi on déduit aussi l’éternelle lâcheté du pouvoir politique face aux soubresauts de l’économie. Taper sur un code du travail est plus aisé que de créer un environnement économique sain et propice à donner envie d’investir. Au hasard, une annonce rigoureuse d’une transition énergétique stimulant le marché de la construction, du génie climatique, créerait un effet d’aspiration plus important que la gestion à la sauvette de nos déboires économiques. Au hasard, un peu de ménage au sein des activités spéculatives des banques, afin de rediriger les fonds qu’elles détiennent vers l’économie réelle, ne ferait pas de mal.

De même, l’absence de main d’oeuvre compétente appelle une gestion fine de l’immense chantier de la formation des jeunes et des personnes en situation de chômage, de reconversion. Bien sur, nous défendons ici une distinction claire entre la formation et l’enseignement, car un des vices de notre temps est d’avoir fait de l’école et des universités des anti chambres de la soumission au monde de l’entreprise.

Une réforme par ordonnances dans un pays dépité.

Ce premier débat “législatif” aura par ailleurs permis de réaliser la dangereuse et absurde situation politique dans laquelle le pays se trouve.

Tandis que l’exécutif savoure les ors de sa puissance non contrariée, les députés auront eux pu gouter à la passivité de leur position dominante. Lorsque ce ne fut pas le silence dans lequel ils se réfugièrent, ce fut,, comme nous le mentionnions plus haut les éléments de langage qu’ils rabachèrent dans l’hémicycle, ou en commission. Leur expérience du terrain prêterait presque à rire puisque beaucoup sont issus du monde managérial idéal, ou y adhèrent semble-t-il sans discernement. Plus que jamais, nous aurons le droit pendant cinq ans au duel entre pragmatiques, se réclamant d’un principe de réalité qui n’est qu’un principe d’abdication ou de collusion avec les intérêts des “puissants”, et celui des conservateurs, nouveaux noms des “idéalistes”, lui même nouveau nom de la gauche qui tente de ne pas abandonner le terrain. Plus que jamais, les postures seront de sortie, et on peut redouter que la cohorte de nouveaux députés ne soit qu’une armée de votes venant offrir un brin de légitimité à des politiques non désirées. Car faut il le rappeler, l’élection d’Emmanuel Macron et de l’Assemblée nationale se sera faite dans un contexte d’abstention historique.

A la passivité des députés de la majorité, dont on peut comprendre qu’ils prennent leur marques à l’assemblée en regardant passer les amendements, correspond une passivité plus inquiétante, à savoir celle de la rue. A priori, la contestation sonnera à la rentrée, lorsque le contenu définitif des ordonnances aura été validé en conseil des ministres.

Mais cette discussion a donné à voir le degré d’épuisement du pays, las d’une première loi travail qui a lessivé bon nombre de militants, las aussi d’une campagne surréaliste au niveau intellectuel misérable. La communication a définitivement pris le pas sur la complexité pourtant indispensable des débats. La manière de faire d’En Marche entérine la politique comme simple contenu, et l’exercice du pouvoir à une enfilade de symboles ayant vocation à “imprimer” sur les réseaux sociaux (“Make our planet great again”). La vraie politique reste tapie dans l’ombre, défavorable au plus grand nombre, et sera expédiée par la voix des pleins pouvoirs acquis de la plus surréaliste, mais efficace, des manières.

Pour autant, nous ne sommes pas à proprement parler dans une stratégie du choc, même si le mode opératoire rappelle la blitzkrieg souhaité par les milieux d’affaires. Le pays, plus que désorienté ou sous le choc, est simplement épuisé et a besoin de vacances. Il faudra que la société civile, la “vraie”, la diverse, la plurielle, celle qui ne croit pas aux contes de fées managériaux, soit présente, et que nous allions tous au delà de notre fatigue. Celle là même que l’on ressent à descendre dans la rue pour défendre des positions chaque jours pilonnées, plutôt que d’avoir le temps de prôner le monde qui vient.

C’est à une stratégie d’usure que fait appel le pouvoir en place. A une stratégie d’hypnose aussi, en espérant qu’à force de répétition du même langage creux, plus personne n’ait le courage d’aller écorcher le vernis des mots.

Que le président et son gouvernement se méfient. Ils tentent d’avoir le monde du travail à l’usure, mais leur exercice jusqu’ici sans discernement du pouvoir, à des fins économiques contestables, et doublée d’un autoritarisme rampant, pourrait avoir raison de la légitimité des institutions, et du destin trop beau qu’ils se voyaient vivre sans entrave.

Mais chaque chose en son temps. Il est une énième loi scélérate à freiner.

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