leolo_ka

Abonné·e de Mediapart

4 Billets

0 Édition

Billet de blog 20 avril 2025

leolo_ka

Abonné·e de Mediapart

Banlieues toxiques : pour une écologie réparatrice et inclusive

Les quartiers populaires, notamment en périphérie des métropoles, sont parmi les territoires les plus exposés aux pollutions et aux nuisances, tout en étant largement oubliés des politiques écologiques. Ce constat d'injustice environnementale est systémique. 

leolo_ka

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Banlieues toxiques : pour une écologie réparatrice et inclusive

Réparer l’écologie, réparer la société : les quartiers populaires au centre de la bifurcation

Les quartiers populaires, notamment en périphérie des métropoles, sont parmi les territoires les plus exposés aux pollutions et aux nuisances, tout en étant largement oubliés des politiques écologiques. À Saint-Denis, l'une des villes les plus pauvres de France, la plus grande maternité du pays est enclavée entre deux autoroutes très fréquentées, un emplacement synonyme de « discrimination territoriale » pour les riverains. Ce constat d'injustice environnementale est systémique : alors que les quartiers aisés profitent d'un air plus pur, les quartiers populaires « suffoquent » - au sens propre comme au figuré - sacrifiés sur l'autel d'un modèle de développement inégalitaire.


 I. Quartiers populaires sous cloche : un diagnostic socio-écologique alarmant

Les inégalités environnementales dont souffrent les quartiers populaires sont largement documentées. Les populations urbaines défavorisées subissent une surexposition aux nuisances et risques environnementaux cumulatifs. Une enquête de l'Institut Paris Région a montré qu'en Île-de-France, un habitant de quartier prioritaire a presque deux fois plus de chances qu'un autre d'être touché par un « point noir environnemental » (Institut Paris Région, 2021).

 Pollution atmosphérique

Les pics de pollution de l'air se produisent systématiquement dans ou à proximité des quartiers populaires. En Seine-Saint-Denis, l'autoroute A1 enregistre les taux de pollution parmi les plus élevés du pays. Les riverains respirent un air saturé en particules fines et en dioxyde d'azote, entraînant des cas supplémentaires d'asthme infantile et de maladies respiratoires et cardiovasculaires chez les seniors. Les conséquences sanitaires sont dramatiques : une étude de l'École des hautes études en santé publique (EHESP) a révélé qu'à Paris, le risque de décéder des suites d'un épisode de pollution est cinq fois plus élevé pour les habitants les plus pauvres comparé à la moyenne de la population (EHESP, 2019). Cette surmortalité liée à la pollution de l'air frappe donc d'abord les catégories populaires, premières victimes d'un fléau dont elles sont les moins responsables.

Nuisances sonores et cadre de vie dégradé

Les quartiers populaires cumulent d'autres maux environnementaux. Le bruit tout d'abord : près de la moitié des « zones urbaines sensibles » sont classées en points noirs du bruit. En Île-de-France, cette proportion atteint 70 %. À Saint-Denis, un habitant sur trois est exposé en permanence à un vacarme supérieur à 68 dB (Observatoire des inégalités, 2022). Le manque d'espaces verts et la bétonisation asphyxient le quotidien : nombre de cités HLM sont dépourvues de parcs ou de jardins dignes de ce nom. Les habitants jugent d'ailleurs plus sévèrement la qualité de leur environnement immédiat : 46 % des personnes vivant dans les quartiers les plus pauvres estiment leur cadre de vie « dégradé », soit 2,3 fois plus souvent que les habitants des quartiers aisés (Observatoire des inégalités, 2022). Ce sentiment recouvre des réalités objectives : logements insalubres, rivières et sols pollués par les anciennes industries, déchets et dépôts sauvages plus fréquents, etc. En Seine-Saint-Denis, on recensait encore récemment plus de 150 friches industrielles polluées nécessitant une dépollution d'ampleur, souvent en plein milieu de zones résidentielles populaires (Département de Seine-Saint-Denis, 2022). Cet environnement dégradé contribue à des problèmes de santé multiples : asthme, allergies, maladies chroniques, mais aussi stress et détresse psychologique liés à la dévalorisation du cadre de vie.

Chaleur, climat et risques industriels

Avec le réchauffement climatique, un nouveau front d'injustice s'ouvre : les vagues de chaleur affectent plus durement les quartiers populaires. Ces derniers sont souvent caractérisés par de grands immeubles de béton, des espaces minéralisés et une faible végétation urbaine, autant de facteurs aggravant l'îlot de chaleur urbain. Lors de la canicule de 2003, on a constaté une surmortalité particulièrement forte parmi les personnes âgées modestes des zones urbaines denses. Les habitants des cités cumulent mauvaise isolation thermique des logements (donc incapacité à rafraîchir l'intérieur) et mobilité réduite (difficulté à aller chercher la fraîcheur ailleurs). Parallèlement, plusieurs quartiers populaires sont exposés à des risques technologiques majeurs. En France, près des deux tiers de la population vivant à proximité immédiate d'un site industriel Seveso résident dans une zone urbaine prioritaire (Ministère de la Transition écologique, 2021). Autrement dit, ce sont massivement les pauvres qui habitent sous la menace d'une explosion chimique ou d'une fuite toxique. Ce fait n'est pas nouveau : historiquement, nombre de grands ensembles ont été bâtis à proximité de sites industriels ou d'infrastructures dangereuses. En cas d'accident, ces populations sont en première ligne - on l'a vu lors de l'incendie de l'usine Lubrizol à Rouen en 2019, où la zone d'habitat la plus proche (qui n'avait même pas été évacuée dans un premier temps) était une aire d'accueil de gens du voyage, c'est-à-dire là encore un groupe social marginalisé (Rapport parlementaire, 2019).

Mobilité et pollutions croisées

Dernier aspect du diagnostic : la mobilité contrainte des habitants de banlieue engendre un cercle vicieux socio-écologique. Faute de transports en commun suffisants ou fiables pour relier les périphéries aux centres d'activité, beaucoup dépendent de la voiture individuelle. Or les ménages modestes possèdent plus souvent des véhicules anciens, donc polluants. Selon l'Insee, 38 % des 20 % de ménages français les plus pauvres détiennent un véhicule diesel Crit'Air 4 ou 5 (très polluant), contre seulement 10 % des plus riches (Insee, 2020). Ce différentiel reflète le fait que les foyers aisés peuvent investir dans des voitures récentes ou électriques, pas les autres. Il se traduit, avec les politiques actuelles, par de nouvelles inégalités : en Île-de-France, la mise en place de la Zone à faibles émissions (ZFE) du Grand Paris va interdire la circulation de la plupart des vieilles voitures. En Seine-Saint-Denis, 75 % des automobiles locales ne pourront plus rouler légalement en 2024 du fait des vignettes Crit'Air (Réseau Action Climat, 2023). On voit le paradoxe : des habitants obligés d'utiliser des véhicules polluants (parce qu'on ne leur offre pas d'alternative de transport public) seront bientôt pénalisés au nom de la lutte contre la pollution de l'air. Ce point illustre bien le piège dans lequel sont pris les quartiers populaires : contraints de subir et parfois de contribuer malgré eux aux dégradations environnementales, ils sont ensuite stigmatisés ou sanctionnés pour des problèmes systémiques. Il ne s'agit pas de nier l'urgence sanitaire à améliorer la qualité de l'air, y compris en banlieue, mais de souligner que les réponses actuelles ne prennent pas en compte la réalité sociale de ces territoires. En somme, le diagnostic est sans appel : les banlieues cumulent pollutions, vulnérabilités climatiques et carences écologiques, ce qui aggrave des inégalités sociales déjà criantes.

---

II. Racines structurelles : héritage colonial, racisme environnemental et capitalisme urbain

Ces injustices environnementales systémiques ne relèvent pas du hasard : elles sont le produit de dynamiques historiques et structurelles profondément ancrées - colonialisme, ségrégation socio-spatiale, et logiques capitalistes - qui ont façonné la géographie des villes françaises. Autrement dit, la relégation écologique des banlieues est indissociable de leur relégation sociale et raciale.

Héritage colonial et post-colonial

L'urbanisation française du XXe siècle a porté la marque de la colonisation et de l'immigration post-coloniale. Dans les Trente Glorieuses, les vagues de travailleurs immigrés (notamment originaires d'Afrique du Nord, d'Afrique subsaharienne et des Outre-mer) ont été massivement logées dans les grands ensembles à la périphérie des villes, souvent au plus près des usines, des axes routiers et des zones délaissées par la bourgeoisie. Cette répartition spatiale a reproduit, sous d'autres formes, la hiérarchie coloniale centre/périphérie : les élites dans les beaux quartiers « intra-muros », les subalternes relégués en lisière, dans des zones moins salubres et moins bien dotées en infrastructures. Les territoires d'Outre-mer eux-mêmes - véritables « colonies intérieures » - ont servi de laboratoires au mépris environnemental de l'État français, un mépris qui rejaillit sur leurs diasporas en métropole. Le scandale du chlordécone est éloquent à cet égard : cet insecticide toxique, interdit aux États-Unis dès 1976, a été épandu massivement dans les bananeraies de Martinique et de Guadeloupe jusqu'en 1993, contaminant durablement les sols et les eaux. Résultat : plus de 90 % des adultes antillais sont aujourd'hui imprégnés de chlordécone, avec un taux anormalement élevé de cancers de la prostate (Malcom Ferdinand, 2023). En 2023, la justice française a reconnu un « scandale sanitaire »... tout en prononçant un non-lieu, illustrant l'impunité dont bénéficient les empoisonneurs. Malcom Ferdinand, chercheur martiniquais, souligne que « le processus autour du chlordécone porte la marque d'une justice coloniale » : il s'agissait de maximiser la production d'exportation (monoculture bananière) au mépris de la santé des populations locales, décision prise par des autorités lointaines. Ce schéma se retrouve dans l'Hexagone : les mêmes logiques de domination sacrifient certains territoires pour en privilégier d'autres. Comme l'analyse Malcom Ferdinand, notre modernité est traversée par une double fracture - environnementale (entre l'Homme et la nature) et coloniale (entre dominants et dominés) - que l'on ne peut appréhender isolément. Ignorer la dimension coloniale de la crise écologique conduit à passer sous silence le fait que les minorités post-coloniales (par exemple, les descendants d'anciens colonisés vivant en banlieue) supportent un poids disproportioné dans les dommages environnementaux actuels. Autrement dit, l'ombre de la colonisation plane sur la géographie de nos injustices écologiques : il y a une filiation entre les plantations des Antilles et les cités de Seine-Saint-Denis, entre les essais nucléaires au Sahara (1960) et les incinérateurs en banlieue parisienne.

Racisme environnemental et ségrégation urbaine

Les chercheurs et militants nomment racisme environnemental cette situation où des populations racisées ou marginalisées subissent davantage les nuisances écologiques du fait de discriminations systémiques. Le terme, apparu aux États-Unis dans les années 1980 (sous la plume de Benjamín Chavis), s'applique de plus en plus à la France. Il désigne « la double peine » vécue par les quartiers populaires : « subir l’injustice sociale et l’injustice écologique », résume une tribune récente (Fatima Ouassak, 2022). Quand on constate que les usines polluantes, les autoroutes, les décharges ou les sites Seveso sont concentrés près des quartiers où habitent les classes populaires, on ne peut parler de coïncidence fortuite. C'est bien le résultat d'un système, d'une « organisation urbaine des inégalités » léguée par l'histoire. Pendant des décennies, l'urbanisme et les politiques du logement ont entériné une ségrégation socio-spatiale : d'un côté des banlieues pavillonnaires et des centres-villes protégés, de l'autre des ensembles d'habitat social regroupant les catégories populaires (ouvriers, employés, immigrés) sur des terrains moins valorisés. Dans ce cadre, il était « logique » d'y implanter aussi ce que personne ne souhaite près de chez soi (les "LULU" - Lieux Urbains de Logement Indésirables selon l'acronyme des urbanistes) : grands axes routiers, usines à risque, centres d'enfouissement, etc. Les habitants de ces quartiers, longtemps exclus des cercles de décision, n'avaient ni le poids politique ni les moyens financiers pour s'y opposer. Comme le notait déjà un rapport du Conseil économique, social et environnemental, les loyers plus bas et la faible influence politique des habitants ont contribué à faire des quartiers populaires les « premières lignes » face aux désastres environnementaux (Conseil économique, social et environnemental, 2018). On le vérifie empiriquement : en Île-de-France, 22 % de la population des QPV cumule au moins trois pollutions ou nuisances majeures, contre 12 % de la population hors QPV (Agence nationale de la cohésion des territoires, 2021). Ce différentiel illustre le biais systémique en défaveur des pauvres. Ainsi formulé, le racisme environnemental ne renvoie pas à des intentions explicitement racistes de la part des décideurs, mais bien à un système de discrimination indirecte - un racisme structurel - qui fait que ce sont majoritairement des personnes d'origine populaire et non-blanche qui écopent des pires conditions écologiques de vie. Enfin, il convient de souligner que ce racisme environnemental s'articule à d'autres formes de domination : il va de pair avec le racisme policier (quartiers relégués sur-surveillés), avec les discriminations socio-économiques (chômage, précarité plus élevés en banlieue), et avec le patriarcat. Sur ce dernier point, l'approche écoféministe rappelle que les femmes des milieux populaires - souvent en première ligne pour défendre la santé des familles et organiser la solidarité de quartier - subissent fortement la dégradation de l'environnement (par exemple, la charge de chercher des alternatives quand l'eau du robinet est impropre ou que la nourriture saine manque). Ces femmes sont aussi porteuses de solutions innovantes, ce que nous aborderons plus loin.

Capitalisme urbain et injustice spatiale

Le troisième facteur explicatif est plus global : il s'agit des logiques du capitalisme urbain néolibéral qui, depuis des décennies, gouvernent l'aménagement des villes. Le marché et la recherche de profit ont tendance à creuser les écarts territoriaux. D'une part, la valorisation foncière privilégie les quartiers déjà attractifs : on y investit pour créer des éco-quartiers, des coulées vertes, des tramways modernes, car cela attire une population solvable et augmente les prix du mètre carré. D'autre part, les zones à faible valeur foncière - souvent les banlieues populaires - supportent les infrastructures indésirables car le foncier y est moins cher et les habitants moins « rentables » électoralement. Ce mécanisme produit une ville à deux vitesses, que le géographe américain David Harvey décrit comme un processus d'accumulation par dépossession : la richesse et le bien-être accumulés d'un côté ont pour corollaire la dépossession (y compris écologique) de l'autre. Paris offre un cas d'école. La capitale présente l'image d'une ville « verte » (vélos, jardins partagés, berges piétonnes), mais cela masque une réalité très contrastée entre l'hypercentre embourgeoisé et la ceinture populaire. Non seulement la pollution de l'air y demeure plus élevée au nord et à l'est (arrondissements populaires) qu'au sud et à l'ouest, mais les capacités d'adaptation diffèrent : ainsi, lors des pics de pollution, les personnes aisées peuvent souvent télétravailler, partir quelques jours ou s'équiper de purificateurs d'air, autant d'options inaccessibles à la plupart des habitants de la couronne périurbaine. On voit également un apartheid urbain dans l'accès aux aménités : aux cadres supérieurs les éco-quartiers neufs et les centres-villes végétalisés, aux classes populaires les cités bétonnées où l'on peine à planter des arbres. L'actualité nous en fournit une illustration : à quelques kilomètres de HLM sans climatisation où des jeunes ouvrent illégalement des bouches d'incendie pour se rafraîchir l'été (risquant 5 ans de prison et 75 000 € d'amende pour ce geste de désespoir), on construit des « forêts urbaines » et des jardins sur les toits dans des secteurs en cours de gentrification. Ce décalage alimente un sentiment d'abandon et d'injustice chez les habitants des quartiers populaires, qui constatent que la transition écologique en cours bénéficie surtout aux autres. Comme l'écrit la politologue Fatima Ouassak, trop de décideurs adoptent encore un regard paternaliste néocolonial et un mépris de classe à l'égard des quartiers populaires, les considérant « au mieux comme un laboratoire où expérimenter des projets pensés ailleurs, au pire comme un territoire à civiliser » (Fatima Ouassak, 2022). En somme, la situation actuelle résulte d'un enchevêtrement de rapports de force : la colonialité du pouvoir (centre contre périphérie, Blancs contre racisés), le racisme et le classisme structurels, et la logique du profit avant tout. Cette imbrication explique pourquoi les politiques publiques traditionnelles peinent à corriger ces inégalités quand elles ne les aggravent pas -, ce qu'illustre la prochaine partie.


III. Les impasses des politiques actuelles : une écologie technocratique, inégalitaire et « verdie »

Malgré l'urgence, les politiques écologiques menées jusqu'à présent en France n'ont pas su répondre à la question des banlieues - voire ont contribué involontairement à renforcer les injustices socio-écologiques. On peut incriminer une approche trop souvent technocratique et aveugle aux inégalités, où les mesures standardisées ignorent les besoins différenciés des territoires et des classes sociales.

Invisibilisation des premiers concernés

Première limite : l'absence ou la marginalité des quartiers populaires dans l'élaboration des politiques vertes. Historiquement, l'écologie politique française s'est construite comme un combat universaliste « pour la planète », mené en grande partie par des militants issus des classes moyennes blanches. Les problématiques spécifiques des banlieues - pollution locale, transports du quotidien, habitat dégradé - ont été reléguées derrière les grands enjeux globaux (changement climatique, biodiversité) traités de façon abstraite. Jusqu'à récemment, il était rarissime que des habitants de cité siègent dans les instances consultatives environnementales ou participent aux conférences climat. Cette sous-représentation a conduit à des angles morts dans les politiques publiques. Par exemple, le Plan Climat national a longtemps mis l'accent sur la réduction des émissions de CO2 sans prévoir de volet « justice climatique » significatif. De même, la Convention citoyenne pour le climat (2019-2020) - exercice démocratique novateur - n'a pas réellement intégré la voix des quartiers populaires (seule une infime fraction des 150 citoyens tirés au sort en était issue). On a ainsi manqué l'occasion de formuler des mesures vraiment adaptées à ces contextes spécifiques. Au niveau local, beaucoup de Plans climat air énergie territoriaux (PCAET) et de projets d'écoquartiers ont principalement visé les centres urbains ou les secteurs à gentrifier, pas les cités excentrées. Cette myopie sociale de l'écologie technocratique a eu pour conséquence que certaines mesures, pourtant bien intentionnées sur le plan écologique, se sont révélées socialement injustes ou inapplicables en banlieue.

Écologie punitive et biais de classe

L'exemple de la taxe carbone et des Gilets Jaunes en 2018 est emblématique. Le gouvernement de l'époque avait décidé d'augmenter la taxe sur les carburants pour des motifs écologiques, sans mesurer qu'il frappait ainsi en premier lieu les ménages périurbains dépendants de la voiture. L'explosion sociale qui s'en est suivie a montré le rejet d'une écologie perçue comme punitive et déconnectée des réalités populaires. On observe une dynamique comparable avec les Zones à faibles émissions (ZFE) qui se généralisent aujourd'hui : l'intention - réduire la pollution urbaine - est louable, mais la méthode - l'interdiction brutale des vieux véhicules - pénalise surtout les plus précaires. En région parisienne, comme on l'a vu, la ZFE Grand Paris revient à interdire la voiture à des dizaines de milliers de travailleurs pauvres d'ici 2024. Sans aides suffisantes pour changer de véhicule ou alternatives de transport adaptées, beaucoup vivront cela comme une injustice supplémentaire, un peu sur le modèle du péage urbain de Londres qui exclut de facto les plus modestes du centre-ville. Cette écologie à deux vitesses alimente un ressentiment compréhensible : pourquoi imposer aux habitants de Sevran de se passer de leur vieille voiture alors que dans le même temps les cadres supérieurs continuent de prendre l'avion pour leurs loisirs ? De plus, certaines dispositions actuelles frisent l'absurde au regard de la justice sociale : on subventionne l'achat de voitures électriques neuves (bonus écologique) - ce qui profite surtout aux ménages aisés - tandis qu'on menace d'amendes ceux qui roulent avec un diesel de 20 ans d'âge faute de moyens. L'effort écologique demandé n'est pas réparti équitablement, et les populations populaires le perçoivent avec d'autant plus d'amertume qu'elles savent n'être pour presque rien dans la crise climatique (leur empreinte carbone moyenne est bien plus faible que celle des plus riches).

Verdissement gentrificateur et rénovation excluante

Parallèlement, lorsqu'il y a enfin des investissements écologiques dans les banlieues, ils s'accompagnent trop souvent d'une gentrification qui en limite les bénéfices pour les habitants d'origine. Plusieurs projets de rénovation urbaine récents, présentés comme des « requalifications vertes » de grands ensembles, ont en réalité abouti à la déplacement partiel des populations locales. Comme l'observe une militante de Vaulx-en-Velin (banlieue de Lyon) : « Les projets de rénovation urbaine servent bien souvent à changer la population d'un quartier. En clair, on fait de nouveaux logements et commerces, généralement enrobés de vert, qui permettent d'attirer de nouvelles populations dans ces zones dites défavorisées » (Militante de Vaulx-en-Velin, 2022). Ce processus, connu sous le terme d'éco-gentrification, a été documenté dans plusieurs villes. Par exemple, à Paris, la transformation « verte » de certains quartiers populaires (installation de jardins partagés, piétonnisation, requalification des berges du canal, etc.) s'est accompagnée d'une hausse des loyers qui pousse dehors les plus pauvres. De même, la création d'espaces verts en banlieue sans maîtrise foncière publique peut susciter une spéculation immobilière et une arrivée de classes moyennes, modifiant la sociologie locale. En soi, améliorer l'environnement d'un quartier populaire est une nécessité ; le problème vient de l'absence de garde-fous sociaux pour empêcher que seuls des habitants plus riches n'en profitent. Verdir ne suffit pas, encore faut-il ne pas exclure. Or, l'ANRU (Agence nationale pour la rénovation urbaine) et les aménageurs locaux n'intègrent pas toujours cette exigence. On privilégie parfois l'esthétique verte au bénéfice écologique concret pour les habitants. Un cas caricatural : la « résilience » d'un quartier est améliorée sur le papier en construisant des immeubles HQE (Haute Qualité Environnementale) - mais ces derniers, plus chers, ne sont pas accessibles aux anciens résidents relogés en lointaine périphérie. Ainsi, l'écologie technocratique actuelle tend à traiter les symptômes environnementaux sans considérer la justice sociale, et peut déboucher sur une sorte de greenwashing social. Un quartier n'est pas durable si ses habitants d'origine n'y ont plus leur place, même s'il obtient un label écologique.

Manque de volontarisme et de mesures réparatrices

Enfin, il faut souligner le manque de mesures ambitieuses spécifiques pour les banlieues dans les politiques publiques récentes. Malgré quelques plans ponctuels, on cherche en vain l'équivalent d'une véritable stratégie d'écologie populaire au niveau national. Les investissements de rénovation énergétique de l'habitat (via le dispositif MaPrimeRénov') ont très insuffisamment atteint le parc HLM ou les copropriétés dégradées des quartiers pauvres, faute de financements adéquats et de portage public fort. De même, la lutte contre la pollution de l'air s'est limitée à des mesures générales (ZFE, primes à la conversion automobile) sans plan massif de développement du transport en commun gratuit ou abordable pour les banlieues enclavées. Les associations locales se plaignent aussi du manque d'appui : les collectifs de terrain qui mènent des projets écologiques dans les quartiers (jardins partagés, ateliers santé environnement, etc.) obtiennent des subventions dérisoires comparées aux besoins. Quant à la réparation des dégâts passés, elle reste un angle mort : à la différence des États-Unis où l'on parle de « Justice Environnementale » avec des fonds dédiés pour les communautés affectées, en France aucune politique de grande ampleur n'a été mise en œuvre pour dépolluer systématiquement les sites toxiques en banlieue, indemniser les victimes de pollutions industrielles, ou compenser le différentiel d'espérance de vie lié aux inégalités environnementales. Le droit à un environnement sain, pourtant proclamé dans la Charte de l'environnement de 2005, demeure lettre morte pour les plus modestes. Ce manque de volontarisme entretient un sentiment d'abandon. Il alimente aussi la méfiance vis-à-vis des discours écologiques officiels, perçus comme hypocrites : comment croire à la promesse d'une « transition écologique pour tous » quand, sur le terrain, rien ne change ou trop peu ?


IV. Pour une écologie populaire et inclusive : propositions concrètes

Face au constat accablant, il est urgent d'inventer une écologie populaire et réparatrice plaçant les banlieues au premier plan. Une telle perspective s'inspire à la fois des luttes de terrain et de propositions politiques portées par divers mouvements.

Redonner la parole et le pouvoir aux « premiers concernés »

La construction d'une écologie populaire commence par la reconnaissance et l'implication des habitants des quartiers populaires en tant qu'acteurs à part entière de la transition. Il s'agit d'inverser la logique top-down : au lieu d'imposer d'en haut des mesures, partir des besoins et des savoirs locaux. Concrètement, cela passe par l'organisation d'espaces de délibération et de décision inclusifs. Il pourrait s'agir d'instituer dans chaque grande agglomération un Conseil populaire de la transition écologique, réunissant habitants des QPV, associations de quartier, syndicats locaux et experts, pour orienter les politiques climatiques locales en fonction de critères de justice sociale. Cette démocratisation doit aussi se faire sur le terrain : il faut soutenir les initiatives émergées spontanément des quartiers. Ces dernières années, une nouvelle génération de collectifs est apparue, incarnant cette écologie bottom-up : Banlieues Climat, Ghett'up, Front de Mères, Génération Lumière, etc. Le collectif Banlieues Climat, fondé par le jeune Féris Barkat, a par exemple lancé la première École populaire du climat à Saint-Ouen en 2024 pour former et sensibiliser les habitants sur les enjeux éco-climatiques. Le Front de Mères, animé par Fatima Ouassak, a ouvert à Bagnolet une Maison de l'écologie populaire, espace d'éducation populaire où les parents (surtout les mères) des quartiers peuvent s'approprier les sujets environnementaux. Ces initiatives, souvent portées par des jeunes et des femmes issus de l'immigration post-coloniale, incarnent concrètement la convergence entre justice sociale, antiracisme et écologie - on y retrouve l'héritage de l'écoféminisme . L'approche écoféministe rappelle que les femmes des milieux populaires - souvent en première ligne pour défendre la santé des familles et organiser la solidarité de quartier - subissent fortement la dégradation de l'environnement. Ces femmes sont aussi porteuses de solutions innovantes. Pour en savoir plus sur un exemple concret de mobilisation féminine face aux injustices environnementales, vous pouvez consulter mon article sur [l'empoisonnement de Flint](https://blogs.mediapart.fr/leoloka/blog/070425/lempoisonnement-de-flint-histoire-dune-mobilisation-feminine), qui explore comment les femmes de Flint, Michigan, ont transformé leur colère en action politique face à une crise sanitaire majeure. Également de l'écologie décoloniale (puisqu'elles partent de la réalité des racisés et valorisent leurs savoirs). L'État et les collectivités doivent activement soutenir ces collectifs (financement, reconnaissance, mise à disposition de locaux) au lieu de les considérer avec condescendance. Une écologie populaire réussie sera co-construite avec les premiers concernés ou ne sera pas.

Réparer les injustices environnementales : le devoir de justice

Ensuite, une écologie véritablement réparatrice doit s'atteler à corriger les torts du passé et du présent. Cela implique des mesures fortes de dépollution, de protection sanitaire et de compensation orientées en priorité vers les territoires sacrifiés. Dans L'Avenir en Commun, on trouve l'idée d'un plan d'urgence de dépollution des régions durablement contaminées, avec un effort prioritaire sur les territoires ultramarins empoisonnés (chlordécone en Martinique et Guadeloupe). Appliquer un tel plan aux banlieues hexagonales signifie : recenser systématiquement les friches industrielles polluées, les sols chargés en métaux lourds (plomb, arsenic...), les nappes phréatiques souillées, et lancer un grand chantier public de dépollution (désamiantage, décontamination des sols, etc.), créateur d'emplois locaux. Parallèlement, il faut renforcer drastiquement la réglementation des sites à risque : création d'une autorité indépendante de sûreté des installations classées, multiplication par 10 des amendes maximales en cas d'infraction environnementale, et fermeture progressive des installations les plus dangereuses situées en zones densément peuplées. Les habitants des quartiers populaires ont droit à la même sécurité environnementale que les autres ; aucune usine Seveso ne devrait jouxter une cité HLM sans plan de réduction de risque ou de relocalisation. Sur le plan sanitaire, le principe de réparation implique aussi d'indemniser les victimes des pollutions : par exemple, créer un fonds national pour les personnes souffrant de maladies liées à une exposition environnementale (tels les riverains de l'étang de Berre, ou des anciens sites AZF, etc.), à l'image du fonds d'indemnisation du chlordécone envisagé pour les Antilles. De même, il conviendrait de faciliter les recours juridiques collectifs (class actions) pour les habitants de quartiers victimes de nuisances illégales - par exemple, une action de groupe des résidents d'un ensemble HLM contre un pollueur voisin dépassant les normes. Enfin, la notion de réparation comporte une dimension symbolique et politique : la reconnaissance officielle du racisme environnemental et des injustices écologiques subies. Cela pourrait passer par la création, au sein du Défenseur des droits, d'une délégation dédiée à la lutte contre le racisme environnemental, chargée de recueillir les signalements et de proposer des évolutions législatives. En somme, réparer signifie faire justice : reconnaître le préjudice, y remédier par des mesures correctives, et garantir la non-répétition en inscrivant l'égalité écologique dans le droit. À cet égard, la constitutionnalisation du droit à respirer un air sain et du droit à la protection de la santé environnementale pourrait donner un levier juridique aux citoyens des banlieues pour exiger des plans d'action lorsque ces droits ne sont pas respectés.

Investir dans une transition écologique au service des quartiers

Le troisième volet consiste à engager une bifurcation écologique orientée vers l'intérêt général, en veillant à ce que les quartiers populaires en soient bénéficiaires et acteurs privilégiés. Cela suppose de restructurer l'économie urbaine pour qu'elle cesse de produire de la relégation et commence à produire de la solidarité écologique. Concrètement, plusieurs grandes politiques publiques peuvent y contribuer :

Rénovation massive de l'habitat et justice énergétique

Il faut lancer un plan Marshall d'isolation et de rénovation thermique, ciblant en priorité les logements sociaux et les copropriétés dégradées des quartiers modestes. Isoler ces bâtiments, installer du double vitrage, moderniser le chauffage, c'est réduire la facture énergétique des locataires (lutte contre la précarité énergétique), améliorer leur santé (moins d'humidité, de moisissures), et diminuer les émissions de CO2. Ces travaux peuvent créer des milliers d'emplois locaux non délocalisables dans le BTP vert ; il faudra veiller à recruter et former des jeunes des quartiers à ces métiers (isolation, génie climatique, pose de panneaux solaires, etc.), participant ainsi à la lutte contre le chômage. On pourrait conditionner les marchés publics de rénovation à l'insertion d'un quota de salariés résidents en QPV.

Mobilité durable et accessible

Pour casser l'enclavement, l'offre de transports en commun dans les banlieues doit être radicalement améliorée. Il s'agit d'investir dans de nouvelles lignes de tramway, de bus express en site propre, de navettes électriques vers les zones d'emploi, et de rouvrir des gares de trains de banlieue là où elles manquent. La gratuité ciblée des transports peut être un levier d'équité : rendre gratuits les transports urbains pour les moins de 25 ans, les chômeurs et précaires, et d'étendre la gratuité totale dans les réseaux qui le peuvent. Parallèlement, favoriser le covoiturage solidaire et les flottes partagées dans ces zones peut offrir des alternatives à la voiture individuelle. L'écologie populaire doit signifier qu'abandonner son vieux diesel ne soit pas une perte de mobilité mais, au contraire, l'accès à un transport meilleur marché et moins polluant. Investir dans le ferroviaire du quotidien plutôt que dans de nouvelles autoroutes ou mégaprojets inutiles est un choix d'aménagement écosocialiste assumé.

Reconquête de l'espace urbain et verdissement inclusif

Il est crucial de réintroduire la nature dans les quartiers bétonnés, mais en le faisant pour et avec les habitants. Cela signifie plus de parcs publics, d'aires de jeux ombragées, de jardins partagés au pied des immeubles - des aménagements co-conçus avec les riverains. Par exemple, transformer des dalles de parking en friche en parc urbain, végétaliser les cours d'école et les abords d'immeubles, planter des arbres le long des avenues. Ces projets doivent s'accompagner de mesures anti-spéculatives (par exemple, sanctuariser le foncier en régie publique ou en coopérative d'habitants, pour éviter la flambée des loyers aux abords des nouveaux parcs). On peut également confier la gestion de certains espaces verts aux associations de quartier, dans le cadre d'aménagements participatifs. L'objectif est de réduire l'îlot de chaleur, d'améliorer le cadre de vie (ombre, nature, biodiversité urbaine) et de retisser du lien social par la gestion commune d'un bien environnemental. Une écologie sociale réussie se verra dans le paysage : demain, pourquoi les cités HLM ne deviendraient-elles pas des « quartiers durables » exemplaires, avec toitures végétalisées, potagers collectifs, aires de compostage, récupération des eaux pluviales, etc. ? Notons que sur 115 quartiers dits durables recensés en Île-de-France, 30 incluent au moins partiellement un quartier prioritaire - signe que c'est possible. Il faut généraliser ces démarches en veillant à ne pas aboutir à l'éviction des habitants originels, comme discuté plus haut.

Économie locale, emplois verts et services publics

La transition écologique doit être l'occasion de relocaliser des activités utiles dans les banlieues qui en ont besoin. Par exemple, développer des ateliers de recyclage et de réparation (vélo, électroménager) employant des jeunes du coin, soutenir l'essor d'entreprises d'économie circulaire (recyclage des déchets du BTP, agriculture urbaine) sur les friches industrielles réaménagées, ou encore implanter des fermes urbaines et circuits courts pour approvisionner les cantines locales en produits frais. De plus, les services publics écologiques doivent irriguer ces territoires : création de maisons de la santé environnementale (pour suivre les pathologies liées à la pollution), multiplication des points de contrôle de la qualité de l'air et de l'eau (avec transparence des données), déploiement de médiateurs environnementaux qui font le lien entre population et autorités (comme le prévoit la création de défenseurs de la nature au niveau communal). Un autre enjeu est l'accès à une alimentation saine et durable : la lutte contre la « malbouffe » passe par l'installation de marchés bio abordables dans les quartiers, par des épiceries coopératives, par la gratuité des repas bio dans les cantines scolaires des zones défavorisées (mesure expérimentée par certaines municipalités). Il s'agit de faire mentir l'idée reçue selon laquelle l'écologie serait « un luxe de bobos » : au contraire, chacun doit pouvoir bénéficier d'une eau potable de qualité, d'une alimentation sans pesticides, d'un air respirable et d'un logement économe en énergie, indépendamment de ses revenus ou de son lieu de résidence.

Légiférer pour la justice environnementale

Sur le plan institutionnel, la France gagnerait à intégrer explicitement la notion de justice environnementale dans son droit. Cela pourrait prendre la forme d'une loi-cadre contre les inégalités environnementales, établissant par exemple un principe d'action affirmative écologique : toute politique environnementale devrait comporter un volet réduisant les écarts d'exposition aux pollutions entre catégories sociales. On pourrait fixer des objectifs chiffrés : réduction de X % en 5 ans de l'écart de concentration de NO2 entre les quartiers les plus pauvres et la moyenne nationale, etc. Par ailleurs, la reconnaissance du crime d'écocide (déjà proposée par certains mouvements) enverrait un signal fort aux pollueurs industriels : plus jamais un scandale comme l'amiante, Metaleurop ou Lubrizol ne devra laisser impunément des populations locales avec un environnement ravagé. Enfin, intégrer la lutte contre le racisme environnemental dans les missions du futur Haut-Commissariat à l'égalité des territoires (ou équivalent) permettrait de cibler les investissements publics vers les zones cumulant pauvreté et dégradation écologique. En clair, inscrire noir sur blanc que les quartiers populaires ne doivent plus être les oubliés de l'écologie.


Conclusion : Réhabiliter les banlieues comme cœur de la transition écologique

Les banlieues populaires, qu'on a trop longtemps considérées comme des périphéries insignifiantes, sont en réalité un épicentre stratégique de la transition écologique et sociale. D'une part, parce que c'est là que se concentrent nombre de problèmes à résoudre - pollutions, précarité énergétique, mobilités subies, etc. - sans lesquels la transition restera incomplète et injuste. D'autre part, parce que c'est là que réside une part importante de la population (plus de 5 millions de personnes dans les QPV en France métropolitaine) et une réserve énorme d'énergies humaines, de compétences et de créativité souvent sous-estimées. Faire des banlieues le cœur d'une écologie populaire n'est pas seulement une question de justice réparatrice, c'est aussi un choix d'efficacité : aucune politique climatique ne réussira si la moitié de la société est laissée pour compte. En impliquant pleinement les classes populaires urbaines, on élargit la base sociale de la transition, on crée un sentiment de communauté d'intérêts face aux défis écologiques (plutôt qu'une division « bobos » vs « prolos »), et on libère un potentiel d'innovation sociale (les modes de vie sobres, la débrouille solidaire, existent déjà en banlieue et peuvent inspirer d'autres modèles).

Réhabiliter la banlieue, c'est en faire un lieu d'espoir et d'action plutôt que le symbole d'un malaise. Cela suppose de rompre avec les politiques d'abandon ou de stigmatisation, et d'adopter une vision éco-socialiste, qui ne craint pas d'affronter les pouvoirs économiques pour défendre le bien commun. Il faudra du courage politique pour réguler les industries polluantes, investir des milliards dans les services publics verts, contrecarrer la spéculation immobilière - bref, changer de cap par rapport au capitalisme qui produit ces inégalités. Mais le jeu en vaut la chandelle : en résorbant la fracture écologique qui traverse nos territoires, on contribuera aussi à résorber la fracture sociale et la fracture démocratique. Une écologie décoloniale et réparatrice aura de surcroît des effets vertueux au-delà des banlieues : en se connectant aux luttes des Outre-mer et du Sud global (contre la pollution, l'accaparement des terres, le dérèglement climatique), elle participera d'un front commun international pour la justice environnementale.

En définitive, repenser les banlieues comme le cœur stratégique de la transition écologique invite à renverser notre regard : ces « banlieues toxiques » stigmatisées peuvent devenir des banlieues résilientes et émancipées, à condition qu'on leur en donne les moyens politiques. Ce combat s'inscrit dans un horizon plus vaste de transformation sociale : il rejoint l'idéal d'une société qui conjuguerait enfin dignité sociale, vitalité démocratique et soutenabilité écologique. Ni oubliées, ni sacrifiées, les banlieues populaires doivent être aux avant-postes de cette révolution écosociale - pour leur avenir, et pour notre avenir commun.

Pour compléter l'article "Banlieues toxiques : pour une écologie réparatrice et inclusive", voici une conclusion globale qui intègre une réflexion sur la crise environnementale dans son ensemble, en soulignant le rôle du capitalisme et des inégalités qu'il engendre :



 La Crise Environnementale, Symptôme d'un Capitalisme Dévorant

La crise environnementale que nous traversons n'est pas un phénomène isolé ; elle est le symptôme le plus alarmant d'un système économique et social profondément injuste et insoutenable : le capitalisme. Les inégalités environnementales observées dans les banlieues populaires ne sont qu'une facette d'un problème mondial où les logiques de profit et d'accumulation priment sur la préservation de la planète et le bien-être des populations.

Le capitalisme, en tant que système, repose sur l'exploitation des ressources naturelles et humaines pour maximiser les profits. Ce modèle a conduit à une dégradation massive des écosystèmes, à une pollution généralisée, et à un réchauffement climatique qui menace la survie de millions d'êtres humains et d'espèces. Les plus grandes multinationales, souvent responsables des émissions de gaz à effet de serre et de la destruction des habitats naturels, continuent d'échapper à leurs responsabilités grâce à leur influence politique et à des stratégies d'optimisation fiscale. Pendant ce temps, les populations les plus vulnérables, qu'elles vivent en banlieue ou dans des régions défavorisées du monde, subissent de plein fouet les conséquences de cette crise qu'elles n'ont pas provoquée.

Cette situation est d'autant plus révoltante que les solutions existent. Les technologies pour réduire les émissions, pour produire de l'énergie propre, pour restaurer les écosystèmes, sont disponibles. Pourtant, les décisions politiques et économiques restent largement influencées par les intérêts des grandes entreprises et des élites financières, qui privilégient la croissance économique à court terme au détriment de la durabilité à long terme. Les négociations internationales sur le climat, comme celles de la COP21 à Paris, ont montré que les engagements des États restent insuffisants et souvent non contraignants, laissant les plus gros pollueurs libres de poursuivre leurs activités destructrices.

Face à cette urgence mondiale, il est impératif de repenser notre modèle économique et social. Une transition écologique juste et inclusive ne peut se contenter de mesures techniques ou de déclarations d'intention. Elle nécessite une transformation profonde de nos modes de production et de consommation, une redistribution des richesses, et une réduction drastique des inégalités. Cela implique de remettre en question les privilèges des plus riches, de taxer équitablement les pollueurs, et de donner la priorité aux besoins des populations les plus affectées.

Les banlieues populaires, en tant que territoires sacrifiés du capitalisme, doivent être au cœur de cette révolution. Elles incarnent à la fois les injustices du système actuel et le potentiel d'une alternative plus solidaire et durable. En investissant dans ces quartiers, en impliquant leurs habitants dans les décisions écologiques, et en réparant les torts passés, nous pouvons non seulement améliorer leur qualité de vie, mais aussi montrer la voie à une société plus juste et plus respectueuse de l'environnement.

En fin de compte, la crise environnementale est une crise du capitalisme. Pour la surmonter, il ne suffit pas de réformer le système ; il faut le transformer. Cela nécessitera du courage politique, de la solidarité internationale, et une mobilisation citoyenne sans précédent. Mais c'est le seul chemin viable pour garantir un avenir digne et durable à toutes et à tous.


1. Institut Paris Région (2021)

   - Institut Paris Région. (2021). ‘Environnement et inégalités sociales en Île-de-France’ FNAU. https://www.institutparisregion.fr

2. École des Hautes Études en Santé Publique (EHESP) (2019)

   - Annesi-Maesano, I., Laurier, D., Declercq, C., & Pascal, L. (2019). ‘Social inequalities in mortality attributable to air pollution in Paris: A small-area ecological study’. Environmental Health, 18(1), 1-11. https://ehjournal.biomedcentral.com/articles/10.1186/s12940-019-0458-1

3. Observatoire des inégalités (2022)

   - Observatoire des inégalités. (2022). ‘Rapport sur les inégalités environnementales en Île-de-France’. https://www.inegalites.fr

4. Département de Seine-Saint-Denis (2022)

   - Département de Seine-Saint-Denis. (2022). ‘Inventaire des friches industrielles polluées en Seine-Saint-Denis’. https://seinesaintdenis.fr

5. Ministère de la Transition écologique (2021)

   - Ministère de la Transition écologique. (2021). ‘Risques technologiques et inégalités territoriales’. https://www.ecologie.gouv.fr

6. Assemblée nationale (2019)

   - Assemblée nationale. (2019). *Rapport d’enquête sur l’incendie de Lubrizol*. https://www.assemblee-nationale.fr

7. Insee (2020)

   - Insee. (2020). ´Parc automobile et revenus’. https://www.insee.fr

8. Réseau Action Climat (2023)

   - Réseau Action Climat. (2023). ‘Analyse critique des Zones à faibles émissions (ZFE)’. https://reseauactionclimat.org

9. Malcom Ferdinand (2023)

   - Ferdinand, M. (2023). ‘Une écologie décoloniale’. Entretien avec Mediapart. https://www.mediapart.fr

10. Fatima Ouassak (2022)

    - Ouassak, F. (2022). ‘La Puissance des mères’. La Découverte. Tribune dans Libération. https://www.liberation.fr

11. Banlieues Climat (2023)

    - Banlieues Climat. (2023). ‘École populaire du climat à Saint-Ouen’. https://banlieues-climat.org

12. Front de Mères – Maison de l’écologie populaire (2021)

    - Front de Mères. (2021). ´Projet de la Maison de l’écologie populaire à Bagnolet’. https://www.bondyblog.fr

13. Conseil économique, social et environnemental (2018)

    - Conseil économique, social et environnemental. (2018). ‘Rapport sur la ségrégation socio-spatiale et les inégalités environnementales’. https://www.lecese.fr

14. Agence nationale de la cohésion des territoires (2021)

    - Agence nationale de la cohésion des territoires. (2021). ´Rapport sur les pollutions cumulées dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV)´. https://www.anct.gouv.fr

15. Commissariat général au développement durable (CGEDD) (2020)

    - Commissariat général au développement durable (CGEDD). (2020). ´Rapport sur les risques technologiques et la proximité des sites Seveso’. https://www.ecologie.gouv.fr

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.