Les 5 de la MEM
ou
récit (non achevé) de l'impunité patronale
Cette affaire est certes beaucoup moins exotique que celle des 5 de Miami. Elle est même d’une triste banalité. C’est d’ailleurs de cette banalité même qu’elle tire tout son malheureux intérêt.
Septembre 2013 : L’entreprise MEM, fabricant de machines-outils pour scierie située à La Coquille, en Dordogne, est placée en liquidation judiciaire suite à une mauvaise gestion de l’équipe dirigeante en place.
Octobre 2013 : Le Tribunal de Commerce de Périgueux se prononce en faveur de l’offre de reprise présentée par M. LOYET Michel sous l'enseigne « MEM INDUSTRY » (Groupe FINEGA).
M. LOYET ne veut pas reprendre toute l’entreprise. Onzesalariés sont licenciés et doivent quitter l’entreprise. Mais parmi eux se trouvent cinq délégués du personnel, tous élus sous étiquette CGT. Heureuse coïncidence.
Mais, s’agissant de représentants du personnel, les licenciements de ces 5 travailleurs sont soumis à l’avis de l’Inspection du Travail qui diligente une enquête.
A l’issue de ladite enquête, contradictoire comme le veut la procédure, le doute n’est plus permis : un lien est établi entre l’appartenance syndicale de ces salariés et le fait qu’ils ne soient pas repris avec le reste du personnel. L’Inspecteur refuse les licenciements.
Lorsque le lendemain de cette décision, nos 5 gaillards se présentent à la porte de leur établissement pour y travailler, M. LOYET leur en fait interdire l’entrée, ce qui constitue un délit d’entrave puni d’un an d’emprisonnement et de 3750 d’amende. Que notre lecteur transi d’inquiétude se rassure, ce nouvel employeur ne sera nullement inquiété pour ces faits. Du reste, il demandera à deux d’entre eux de revenir provisoirement accomplir une mission dans le cadre d’une grosse commande reçue par l’entreprise… A cette occasion, le patron, bon vainqueur, propose à ces deux-là d’être réintégrés s’ils rendent leur carte syndicale. Les deux entêtés refusent.
Avril 2014 : L’employeur obtient du Tribunal de Commerce une décision fort accommodante, afin que les activités auxquelles nos cinq travailleurs étaient affectés soient expressément mentionnées comme n’étant pas reprises... Ce rectificatif, qui se fait sans même que soit convoqué le représentant du personnel, permet désormais à l’employeur de soutenir qu’il n’y a pas discrimination syndicale, puisque la non reprise des cinq devient une décision du Tribunal de commerce…
Août 2014 : L’employeur fait appel de la décision de l’Inspecteur devant le Ministère du Travail, prétendant que ces 5 salariés-là n’ont jamais fait partie des activités de l’entreprise qu’il a reprise, s’appuyant alors sur le « rectificatif » obtenu du Tribunal de commerce, sans rechercher s'il y a eu discrimination syndicale. Le Ministère du Travail autorise alors les licenciements.
Mais il se trouve que cette décision du Ministère ne vaut pas en elle-même licenciement. Il faut désormais que l’employeur procède à ce licenciement. M. LOYET s’y refuse, considérant qu’ils n’ont jamais été ses salariés (tout en ayant demandé à l’inspection et au Ministre l’autorisation de les licencier…). Il est décidé à leur en faire baver.
Aussi les 5 salariés ne sont-ils toujours pas licenciés… en droit du moins. A ce titre, le Tribunal des Prud’hommes a systématiquement condamné l’employeur au versement des salaires et à la production des fiches de paie, chaque fois qu’il a été saisi.
Sentant que la lame du glaive de la Justice n’est pas très affutée le concernant, l’employeur s’assoit sur la décision du juge, considérant que les 5 salariés n’ayant jamais fait partie de son entreprise, il n’a ni à les licencier, ni à leur verser un salaire…
Les 5 salariés se retrouvent donc aujourd’hui sans statut, sans ressource. Ils ne peuvent prétendre aux allocations chômage, puisque non licenciés. Ni à aucune aide, puisque salariés. Ils ne peuvent pas non plus rechercher d’emploi : ils ont un contrat de travail !
Comme écrit plus haut, le tribunal des Prud’hommes a maintes fois été saisi, et a toujours donné raison à nos 5 cégétistes bornés. Mais le patron, lui, a décrété qu’il « refusait » les décisions de justice. Aucune autorité, administrative, politique, judiciaire, n’est venue depuis lui en demander compte.
N’ayant pas eu d’autre choix que saisir l’huissier pour obtenir paiement des sommes dues, c’est ensuite avec ce dernier que les 5 ont dû engager un bras de fer pour que les sommes saisies le soient rapidement, afin de faire face aux besoins les plus élémentaires du quotidien. Mais l’huissier ne trouve sur les comptes de l’entreprise que de quoi verser à chacun des salariés entre 200 et 500 euros, sur les milliers que leur doit l’employeur. Une insolvabilité qui tombe à point nommé. Et pendant ce temps, cinq travailleurs n’ont toujours aucun revenu.
Aujourd’hui les 5 de la MEM sont toujours sans le moindre revenu, et ne peuvent compter que sur la solidarité syndicale pour se nourrir. Mais l'Etat intervient : on leur a fait miroiter la possibilité de toucher prochainement le RSA...
Dans le même temps M. LOYET jubile : l'entreprise ne compte plus aucune représentation du personnel. Ce qui ne l'empêche pas de battre de l'aile. C'est finalement un coup de malchance pour la propagande libérale : une entreprise va fermer ... et il sera difficile d'accuser la CGT.
Chacun aura pu s’étonner de l’efficacité récemment retrouvée d’une justice pénale capable de condamner en deux semaines à de la prison ferme des adolescents ayant braillé quelque incantation stupide qui, pour blâmable qu’elle soit, n’a privé personne de pain.
Mais quand il s’agit de ce terrorisme-là, celui qu’exerce le patronat exempté de toute obligation sociale contre une poignée de travailleurs conscients, l’Etat semble bien moins affairé à mettre en branle l’arsenal judiciaire.
Il faut dire que le gouvernement est bien occupé à casser un peu plus, entre autres, les Prud’hommes et l’Inspection du Travail, avec la loi Macron.
Quoi qu’il en soit, la totalité de l’appareil d’Etat n’a pas l’air si occupée que cela… Pour preuve : lorsqu’au cours d’une manifestation dans les rue de Périgueux, des affiches sont apposées au Tribunal de commerce, le qualifiant de « mafia », le délégué CGT de la MEM (l’un des « 5 ») et la responsable de l’union locale sont convoqués par la police sur ordre du Procureur de la Répugn… Pardon. De la République.
Le 4 février 2015
Léon Kouptsov