Tout système qui fonde son fonctionnement sur le centralisme (« démocratique » soit-il) produit dans un même temps une logique centripète, l’aspiration de tous ses éléments par le « dedans », et un rejet, voire une horreur, du « dehors ». D’où, au PCF naguère, au PS aujourd’hui et depuis longtemps, le culte du Parti, de son appareil, de ses instances, de ses cellules (terme biologique, peu courant pourtant dans le vocabulaire de la gauche. Bernard-Henri Lévy l’a bien senti en appelant le PS « Grand corps malade »). Tout discours exogène, toute analyse non conforme aux analyses du Parti, non idiomatique, est forcément hostile : l’ennemi est l’ennemi, puisqu’il est dehors ! On a encore en mémoire fraîche la construction paranoïde du discours incarné par Georges Marchais. Des « forces d’argent » acharnées à la ruine du Parti, aux social-démocrates traitres à la cause du peuple ouvrier, jusqu’au pire enfin : la tentation nationaliste (« produisons français, achetons français ») teintée de xénophobie et d’antisémitisme (Le juif allemand Cohn-Bendit, les bulldozers de Vitry).
Le Parti Socialiste est issu de la même matrice idéologique et organisationnelle. Il est aujourd’hui victime du syndrome qui a emporté le PCF dans les limbes de l’Histoire. A se donner comme propre objet de son existence, il finit par ne plus s’alimenter de son rapport au monde extérieur. La culture d’appareil y est omniprésente dans les modes de fonctionnement, dans les rapports hiérarchiques internes, dans la tête même du plus modeste des militants. Ajoutez-y, comme verrou, une multitude de micro-privilèges liés à des fonctions électives si petites soient-elles (conseiller municipal dans une bourgade de 3000 habitants !) et le tour est joué : la Forteresse est construite et bouclée ! Et quand vous êtes dans la forteresse, la mission existentielle devient l’unique mission : survivre, en combattant tout ce qui menace le grand Ordre intérieur. Toute pensée, toute action, ne doit, ne PEUT avoir d’autre objet. L’analyse du monde, la compréhension de ses mutations, la nécessaire prospective politique sont, a priori, inféodées à cet unique objet : l’intérêt du Parti. C’est la machine à ne-pas-penser, et, accessoirement, la machine à perdre. Car, c’est le paradoxe mortifère des dynamiques partisanes aveugles : à ne vouloir que le bien du Parti, on le tue à coup sûr !
Parce que le « dedans » et le « dehors » ne sont pas si bien dessinés que ça ! Quand une voix se fait entendre du « dedans » pour dire qu’il y a problème au Quartier-Général, aussitôt le corps tout entier travaille au rejet pour faire de cette voix un corps étranger. La plus éclatante démonstration est incarnée par Ségolène ROYAL : alors même qu’elle était choisie par une majorité des militants, elle a suscité une haine sans précédent dans les arcanes « biologiques » de l’appareil. Tout a été mis en œuvre pour la faire échouer, de la tête du Parti à la plupart des fédérations départementales, des sections locales. Le voilà, éclatant, le paradoxe : Ségolène offrait une chance au PS de faire sa mue du « dedans », au bon moment, de retrouver l’air du grand large, la richesse du monde dans sa complexité, la dynamique de la vie et de la victoire. L’appareil paranoïaque a rendu sa réponse « naturelle » : plutôt mourir !
Et cette réponse, il l’a tenue jusqu’au bout de l’ignominie. Comme des dictateurs iraniens, jusqu’à tricher à des élections ! Vous n’en avez pas de preuve me dit-on ? Non. Juste un grand trouble et ça suffit pour faire des dégâts effroyables ! A Téhéran, M. Moussavi a annoncé tranquillement sa victoire (large) une heure après la fin du scrutin. Une heure plus tard, déferlante pour Ahmadinejad. A Paris, Manuel Valls a annoncé tranquillement la victoire (large) de Ségolène une heure après la fin du scrutin. Une heure plus tard déferlante « nordiste » pour Martine AUBRY. Plus que troublant, terrifiant !
La logique de la forteresse fait obligatoirement de « l’ennemi intérieur » un danger bien plus inquiétant que « l’ennemi extérieur ». C’est que le premier est dans la place et qu’il est bien plus difficile de le couvrir des oripeaux de l’ennemi. Alors on tente de le pousser dehors, comme Martine AUBRY vient de le faire pour Manuel VALLS. « Tu n’es pas dedans, va dehors, qu’on te voie clairement ! ». Le problème insoluble pour le PS, c’est que les « ennemis » intérieurs se multiplient proportionnellement à l’absurdité du système d’appareil : Royal, Valls, Peillon, Moscovici. Pour parler comme Bruno Bettelheim, Martine AUBRY semble défendre aujourd’hui une « Forteresse Vide », ou qui ne saurait tarder à l’être.
Sauf à rompre totalement avec la logique mortelle qui l’a produite : le stalinisme et ses succédanés.