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Billet de blog 23 avril 2010

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Drôles d'histoires belges

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Rien à voir avec les faits d'actualité qui mettent notre voisine Belgique à la une des journaux.

Non. Je me demande avec insistance et depuis longtemps pourquoi Diable les Belges sont-ils depuis des décennies l'objet national de blagues imbéciles et surtout profondément humiliantes ? Je finis par être saisi d'un doute. Est-ce un vrai problème ? Habitués à cette antienne de l'histoire belge, nous sommes plus ou moins convaincus que ça ne mange pas de pain, que ce n'est pas grave, qu'il faut avoir de l'humour (!!). Bref, pas de quoi écrire à sa mère et encore moins sur son blog de "Mediapart "! Et il se dit qu'ils font de même. Mais l'ampleur du phénomène et son aptitude à ne jamais passer de mode, finissent par provoquer malaise. Et puis quoi, si j'étais Belge je serais meurtri par cette image dégradante que les Français, dans leur suffisance, donnent de mon pays et de ses habitants !

Les Irlandais racontent des blagues sur les Anglais (et inversement). Les Grecs sur les Turcs (et inversement). Dont acte. Ces joutes sont nourries historiquement par des rapports conflictuels entre les nations, les peuples. Des états éternels rivaux, des colonisateurs et des colonisés. Mais les Belges ? Rapports étroits, certes, mais jamais, que je sache, conflictuels. Rien qui puisse fonder le mépris, voire la volonté d'humiliation, contenus dans les blagues les concernant. Au contraire, il est rare qu'on évoque les Belges hors de locutions stéréotypées : « Nos amis Belges », « Nos voisins Belges ».

Et si c'était justement là le problème ? Nos amis, nos voisins, nos frères ? Si c'était justement cette proximité, pas seulement géographique mais culturelle, historique, « identitaire », qui est la source des pulsions agressives, voire haineuses que charrient nos blagues belges ? Un chroniqueur « chronique », un « confrère » donc, a parlé récemment dans ces colonnes de « différence tolérable » dont il dit, fort justement, que la locution même est intolérable. Et si, à ce concept de « différence tolérable », on ajoutait celui de « ressemblance intolérable » ? Si la violence incompréhensible des histoires belges était issue de notre ressemblance intolérable avec « nos voisins Belges » ?

C'est qu'il me gêne mon voisin. Mon voisin de palier par exemple. Surtout mon voisin de palier. Il fait du bruit avec sa marmaille, on sent ses odeurs de cuisine, il pourrait mettre la musique moins fort, choisir ses heures pour planter un clou. Enfin, c'est un malotru, un rustre, je ne le supporte pas ! Ma marmaille fait aussi du bruit, mais ils sont si mignons mes petits. Mes odeurs de cuisine sont, elles, appétissantes ! Ma musique est plus belle que celle du rustre d'à côté. Quant au clou, j'ai bien le droit de planter un clou chez moi tout de même ! Je ne tolère pas qu'il fasse la même chose que moi, alors qu'il est un autre. Sa ressemblance avec moi est illégitime, parce que sa différence est irréductible. De quoi se mêle-t-il de me ressembler ?

On a dû se tromper de combat dans les années soixante. Les slogans étaient, ils sont encore, « acceptons nos différences ». On aurait sûrement mieux fait de lancer un vaste chantier sur ce qui est en œuvre : la haine du même. Plus exactement de l' « autre même ». Avec un autre slogan : « acceptons nos ressemblances ». Plus ambitieux, plus compliqué ! Le premier meurtre connu dans nos cultures, est celui d'un frère. Cain hait Abel, parce que Cain est Abel. Comme lui il veut être le bon, le juste, le bienheureux. Mais c'est l' « autre-même » qui jouit de ce statut envié. Sa jouissance est intolérable car c'est la mienne qu'il me vole. C'est dans cet espace étroit du même à l'autre que se glisse la haine. Du voisin. Du Belge. Et, pour peu que cette insupportable prétention à la ressemblance vienne d'un autre un peu plus « autre », les ravages sont aussitôt effroyables. L'Arabe, le Juif, le noir. Son projet c'est de jouir, chez moi, comme moi, donc à ma place. Et s'il y réussit, ma jouissance est écornée car il ne peut jouir qu'en diminuant mon droit à la jouissance. S'il n'était pas là je jouirais plus. Si on le mettait dehors, je jouirais plus.

Alors on l'a mis dehors, sans cesse dans l'Histoire. Comment ne pas expulser les Juifs d'Espagne (et de presque partout ailleurs) quand ils plastronnent et étalent partout leur jouissance, leur réussite, leur richesse ? Les musulmans de Bosnie ? Les Tutsi du Rwanda ? Pourquoi pas, certains y songent, les Falachas d'Israël ? Le passé, le présent regorgent de ce fantasme meurtrier d'extraction chirurgicale de l'autre moi-même qui me ferait, assurément aller mieux, vivre mieux, jouir mieux du travail, des richesses, des femmes ! Et comme le pire est toujours à venir il me semble qu'il est urgent d'apprendre à supporter nos ressemblances malgré nos différences.

Bon. Je ne vois pas pourquoi je continuerais à sourire poliment quand on me raconte une histoire belge. Ah oui pardon ! Parce que c'est pas bien grave, ça mange pas de pain, y'a pas de quoi écrire sur son blog de Mediapart ! J'avais oublié un instant...

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