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Billet de blog 31 mai 2017

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Le 'reset' à la française

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 "Aucun sujet essentiel ne peut être traité aujourd'hui sans dialoguer avec la Russie" affirmait hier Emmanuel Macron. En conférence de presse avec son homologue russe le président français a donné ainsi une leçon de Realpolitik au nom de la lutte contre le terrorisme international. Après tout, il y a seulement quelques semaines, lors de son débat face à une prorusse Marine Le Pen, le candidat Macron affirmait que les gouvernements russe et français "nous n'avons ni les mêmes valeurs ni les mêmes objectifs". De même, on a dû mal à croire que le leader d'En Marche fut le favori de Moscou dans la course à l'Élysée, à en croire la presse russe et les déclarations des hommes politiques proches du Kremlin.

Dans un match de symboles, 'Emmanuel XIV' a accueilli dans son Château de Versailles le nouveau tsar de la Russie. À trois siècles de la visite de Pierre le Grand en France, le fondateur de Saint Pétersbourg laisse ainsi sa place à Vladimir Poutine, lui-même originaire de cette métropole reconnue comme la plus européenne des villes russes. Espérons que l'histoire ne se répètera pas, puisque c'est justement au retour de sa tournée en Europe Occidentale, en 1721, que Pierre le Grand recevait le titre d'Empereur de tous les Russes.

 "Pierre le Grand c'est le symbole d'une Russie qui veut s'ouvrir à l'Europe" rappela le président français. Toutefois, force est de constater que, trois siècles plus tard, cette ouverture peine toujours à se traduire dans la réalité. Une approche commune sur le dossier syrien, un conflit ukrainien très absent, la propagande russe, les cybers attaques des hackers de l'est, etc. Le 'dialogue exigeant' promis par Macron a clairement eu lieu. Mais en géopolitique, tout comme dans un roman policier, les non-dits sont souvent les maîtres silencieux qui mènent le jeu.

TERRORISME ET CONFLIT SYRIEN

Les dits. La lutte contre le terrorisme international est sans aucun doute la base sur laquelle Moscou est capable de construire un pont diplomatique vers l'Europe. De Madrid à Saint-Pétersbourg, en passant par Paris, Nice ou Berlin, c'est bien la 'grande Europe' de Charles de Gaulle, de l'Atlantique à l'Oural, qui a été touchée par le fléau du fondamentalisme islamiste. "Notre priorité absolue c'est la lutte contre le terrorisme et l'éradication des mouvements terroristes, en particulier de Daesh" a affirmé Macron "c'est le fil directeur de notre action en Syrie”. À ce sujet, le président français a expliqué le besoin de "renforcer notre partenariat avec la Russie". Dans ce contexte, Paris propose d'organiser une 'transition démocratique' en préservant l'État Syrien. "Je considère que les états faillis sont une menace pour nos démocraties", a-t-il déclaré.

Les non-dits. Poutine peut bien s'en réjouir. On est ici très loin du 'Assad must go' de l'axe Obama-Hollande. Sous le drapeau de la stabilité régionale, le démantèlement du régime et la persécution de tous ses représentants, jusqu'au dernier fonctionnaire, ne sont plus d'actualité. Assad must go? Pas tout de suite, à en croire le silence de Macron sur le sujet. Cependant, et malgré le rapprochement des positions, tout porte à croire qu'une coalition unique contre le terrorisme international (comme l'avait prôné Poutine en septembre 2015 lors de son discours à l'ONU) est inenvisageable dans l'état actuel des choses. Collaboration? Oui. Mais chacun de son côté. Les puissances occidentales et les monarchies sunnites d'un côté et Moscou, Téhéran et Ankara (qui se tourne de plus en plus vers l'est) de l'autre.

LE CONFLIT UKRAINIEN

Les dits. Le conflit armé dans la région du Donbass a fait déjà plus de dix mille morts et causé le déplacement de plus d'un million de personnes. La guerre aux portes de l'Europe ne semble pourtant pas être une question fondamentale aux yeux du nouveau président français, qui se contenterait d'annoncer une nouvelle réunion Berlin-Paris-Moscou-Kiev pour étudier la situation. "Notre souhait, c'est que dans les meilleurs délais puisse se tenir à nouveau un échange sous le 'Format Normandie' et qu'un bilan complet sur ces éléments puisse être partagé".

Les non-dits. 'La Crimée a été annexée par la Russie tandis que Moscou mène une guerre contre l'Ukraine à Donbass'. C'est la déclaration dont rêvait certainement le président ukrainien Petro Porochenko. Mais on en est loin, très loin. La Crimée est, du début, la grande absente des négociations de paix basées sur les Accords de Minsk, une feuille de route qui n'a pas fait avancer les choses sur le terrain. De ce fait, Emmanuel Macron, qui a vite survolé le dossier, n'a fait aucune allusion à l'ingérence du Kremlin dans la crise ukrainienne. Un autre non-dit? Les États-Unis à la table de négociation? Certainement pas. Tout porte à croire que les leaders français et allemands ne laisseront pas Washington se mêler de cette affaire européenne. “Les Européens doivent prendre leur destin en main” a déclaré cette semaine Angela Merkel.

“Je suis convaincu que les intérêts fondamentaux de la Russie et de la France sont plus importants que la situation politique actuelle” affirmait hier Vladimir Poutine. C'est peut-être le cas. Si le terrorisme international arrive à s'imposer dans la durée comme le sujet le plus important de la politique internationale, tel est le souhait du leader russe, le dossier ukrainien pourrait devenir une question mineure incapable d'entraver le développement de bonnes relations entre Moscou et le reste du monde. Tout comme d'autres sujet épineux tels que les prisons de Guantanamo pour Washington, la Bande de Gaza pour Tel Aviv, ou la militarisation de la Mer de Chine Méridionale pour Pékin.

La levée des sanctions occidentales à l'encontre de la Russie et son retour au G8 n'est pas pour demain. La France et l'Europe partagent de nombreux sujets épineux à l'égard de Moscou. Le président Macron n'a pas mâché ses mots face à son homologue russe. Il a accusé Spoutnik et Russia Today d'être des organismes de propagande et rappelé l'affaire des cyber attaques au QG d'en Marche lors des élections présidentielles.

Cependant, si l'on peut tirer des enseignements de l'histoire, les membres permanents du Conseil de Sécurité des Nations Unies arrivent à trouver, tôt ou tard, un accord, souvent au détriment des intérêts des petits pays du monde. Au nom de la Realpolitik, le temps nous dira si la lutte contre le terrorisme international devient le sujet fédérateur susceptible de rassembler les grandes puissances de la planète, même si elles n'ont "ni les mêmes valeurs ni les mêmes objectifs", à en croire le candidat à la présidentielle Emmanuel Macron.-

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