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Billet de blog 23 avril 2024

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Lettre aux parents du petit Gabriel

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Monsieur et Madame A.,

C'est un courrier difficile que je vous adresse aujourd'hui, mais il est maintenant urgent que je vous parle de votre fils, le petit Gabriel, tant je suis inquiète quant à son comportement.

En effet, depuis quelques mois, loin de s'améliorer, de maturer comme il serait légitime de l'attendre, Gabriel régresse jusqu'à présenter maintenant une menace certaine pour les autres.

Nous connaissons toustes sa propension à se mettre en scène, à prendre la parole en public, ce qui a peut-être pu donner lieu un temps à de très belles représentations théâtrales. Mais aujourd'hui, les limites semblent se brouiller pour le petit Gabriel qui en arrive à confondre le moindre espace de vie collective avec une scène de spectacle. Il prend toute la place, toutes les places, parle à tors et à travers, n'entend plus la contradiction. Son rapport à l'autre, au différent, apparaît altéré : il a un recours massif à la stigmatisation, au rabaissement, à l'humiliation et la punition. Notons, facteur aggravant, qu'il s'en prend particulièrement aux plus jeunes et plus petits que lui. Outre un manque d'empathie, Gabriel se montre enfermé dans une appréhension binaire des choses, manifestement incapable, ou refusant d'accéder à la complexité. Enfin, son accès au doute, à la remise en question, semble compromis. Il préfère à cela rejeter de façon systématique la faute sur l'autre, leur reprochant généralement ce que lui-même fait d'ailleurs, faisant par-là même l'économie de sa propre responsabilisation, refusant d'assumer les conséquences de ses actes et de ses choix. Autrement dit, et je suis désolée de vous le formuler aussi brutalement, mais Gabriel se comporte comme un tyran, usant et abusant de la violence, de la menace et de l'intimidation pour asseoir sa toute-puissance. S'il ne présente aucun danger directement pour lui-même, le danger qu'il représente aujourd'hui pour les autres motive ce courrier et l'urgence qu'il y a à prendre des mesures pour limiter votre fils.

Bien sûr, tout le monde est traversé à certains moments de sa vie d'aspirations violentes. Moi-même, je dois l'avouer, tendrais volontiers vers des mesures coercitives, voire de rétorsion physique envers votre fils, une paire de gifle et au coin ! Heureusement, comme l'immense majorité des personnes, j'ai appris avec le temps à inhiber mes pulsions sadiques et de destruction, condition fondamentale au vivre ensemble. Et je rappelle que cette inhibition est également à la base de tout travail éducatif et pédagogique, puisque c'est avant tout par l'exemple que l'on apprend.

C'est pourquoi, au travers de ce courrier, je choisis aujourd'hui la voie du dialogue et de la réflexion pour éclairer, comprendre le fonctionnement de votre fils, condition préalable à toute hypothèse de solution. Peut-être le fonctionnement de votre enfant est-il le résultat de l’interaction complexe de facteurs multiples : une histoire personnelle et familiale singulière, dans un contexte de privilèges économiques, sociaux, voire culturels, qui concourent au développement de tendances à la déconnexion de la réalité, à un égotisme hypertrophié, à une condescendance sans limite. Ou bien est-il porteur d'un handicap mental et/ou psychiatrique, ce que seuls des évaluations réalisées par des professionnels qualifiés pourraient confirmer, et qui impliqueraient une nécessité de soin et d'accompagnement adaptés. Peut-être, et ce n'est pas à exclure, a-t-il été aussi influencé par d'autres qui ont vu en lui le moyen d'arriver à leurs fins perverses.

Mais, dans tous les cas, si l'on suit les propos de votre fils, vous seriez vous-mêmes les seuls coupables de ses agissements. Dans le cas où vous adhéreriez et valideriez l'idéologie de votre enfant, merci de faire parvenir un chèque de 200 milliards d'euros à l'ordre de « Trésor Public », de façon à réparer l'ensemble des services publiques, garants d'une vie digne pour le plus grand nombre, que votre petit Gabriel participe grandement à casser.

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