Ça fait un mois que j'ai rejoint l'équipe d'un service de pédopsychiatrie logé dans les tréfonds d'un parc national aussi vaste, sauvage et mystérieux qu'isolé et difficile d'accès par ses petites routes serpentant incertainement la montagne. Après 27 ans passés dans ma ville natale, je me sens ici comme Blanche Neige, au milieu des forêts de châtaigniers, chevreuils, petits oiseaux, mais aussi, comme j'allais rapidement m'en rendre compte, des blaireaux et vautours, spécificité de la faune locale...
Ce premier poste est une chance inouïe, tant s'ouvre à moi un univers de magie où sentiment d'étrangeté cohabite avec petits miracles quotidiens. Voyage en terre inconnue où les jeunes habitants qui la peuplent sèment regards, sourires, légo ou larme comme autant de petits cailloux blancs menant aux histoires, secrets et blessures qui envahissent leur intérieur. Certains balisent ce chemin par le mystère du vide, de l'absence. Sans regard, sans parole, sans geste ou toucher. D'autres peuvent vous guider à grands coups de cris, d'agitation, de griffure, de sidération. L'un d'entre eux peut même soudainement vous regarder dans le fond des yeux tout en grattant délicatement la peinture qui est venue s'accrocher à votre joue, et tout ça sans peur, sans angoisse. Éclat de rire ou d'un mot qui émerge pour la première fois. Moment de grâce. Violent d'intensité, mais loin d'être douloureux. Véritable travail de funambule où la ribambelle de soignants qui constitue l'équipe sert de filet qui amortit les chutes inévitables, inhérentes à toute véritable rencontre.
Au fil des déambulations dans les différents espaces ou recoins de la maison et du jardin qui nous hébergent, j'apprends à découvrir et à connaître mes collègues, les enfants et leurs parents. Et rapidement me confronte à l'autre côté de la réalité : l'hôpital de jour, partie du service chargée d'accueillir les enfants qui présentent les pathologies ou troubles les plus lourds, comme de l'autisme ou de la psychose infantile, est menacé de fermeture.
Menace de fermeture du lieu de soin pour les enfants les plus malades ? Forte de mes quelques années de militantisme syndical, je garde mon calme, pas de soucis, on va s'organiser, écrire un courrier et demander à rencontrer le DRH pour qu'il nous confirme et justifie les choix de l'hôpital magistralement gestionnaire, avant d'envisager d'autres actions...
« Non, mais alors vous n'êtes ni notre mère ni notre psy, ce n'est pas d'écoute là tout de suite dont nous avons besoin, c'est de réponses claires aux questions suivantes : la direction de l'hôpital a-t-elle réellement l'intention de fermer de l'hôpital de jour ? Si oui, quand ? Et dans ce cas, qu'allons-nous faire des enfants nécessitant ce type de soin et d'accompagnement ? »… Réponses claires demandées, réponses claires reçues : oui, l'hôpital de jour est bien voué à une fermeture imminente, et les enfants seront orientés vers le service de la ville principale du département, située à 45 minutes de notre petite bourgade, ce sera plus rentable. « Mais, Monsieur Blaireau, alors que l'on est sensé, en tant que service public hospitalier, offrir des soins adaptés et de proximité, certains enfants se tapent déjà plus de 2 heures de trajet en taxi aller-retour pour se rendre jusqu'ici ! Ils n'iront jamais à Grande-Ville ! Alors qu'est-ce qu'ils vont devenir ?
- Et bien ils resteront sur le bord de la route. »