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Billet de blog 21 avril 2022

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Couple hétéro et compromis

Comment être en couple avec un homme quand on est féministe ? Comment conjuguer ses convictions militante et son amour ? Pourquoi être dans une relation hétérosexuelle parait si dur une fois la déconstruction commencée ?

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

La première chose que je me suis demandée en commençant cet article était : mais qu’est-ce que mon copain va en penser ?

Pourquoi moi, militant.e non-binaire féministe et queer, allié.e de la cause anti-raciste, avais-je peur du jugement d’un homme (d’autant plus celui que j’aime) dans ce que je pouvais écrire sur mes ressentis dans les relations hétérosexuelles ?

Je m’appelle Léo, j’ai 20 ans, et parfois je doute d’être encore aligné.e avec mes convictions car je sors avec un homme. Et que c’est épuisant de sortir avec un homme. C’est subir des violences ordinaires, de manière perpétuelle, c’est la fermer même si on n’en n’a pas envie. Parce-que la socialisation primaire et secondaire en tant que femme est bien présente, et que le patriarcat détruit le couple. Même si ma mère qualifie le mien de « matriarcat ». Je mets ce mot entre guillemets puisque selon Françoise Lhéritier le matriarcat c’est la neutralité du pouvoir, comme si les femmes ne pourraient jamais et n’auraient jamais pu l’avoir entièrement.

Je m’appelle Léo, j’ai 20 ans, et j’ai aussi été victime de violences sexuelles. Je fais partie des 97%, des 8 sur 10 ou des 1 sur 3 selon les statistiques que vous choisissez de croire. Je préfère dire que je fais partie des 100%. Parce-que ce qui unit les femmes aujourd’hui c’est la peur du viol. Et ça, je l’ai subi, dans ma chair, j’avais 17 ans. Et pourtant j’ai continué à relationner avec des hommes, qui m’ont plus ou moins bien traité.e, plus ou moins écouté.e, mais jamais complètement. Car aucune relation hétérosexuelle n’est parfaitement équitable, même pas celle d’un.e militant.e.

Avec tous mes privilèges de personne blanche, venant d’un milieu bourgeois et me destinant à la recherche en théorie féministe, j’ai décidé d’écrire sur l’épuisement dans les relations hétérosexuelles. En effet, j’ai grandi dans un milieu très majoritairement blanc, eu accès à une éducation qualifiée d’élitiste, avec un collège et lycée privé réputé à Paris et désormais entré.e SciencesPo Paris, je pense posséder un certain nombre d’armes à la fois théoriques, mais aussi politiques pour lutter contre le patriarcat. Cependant cela m’apparait si difficile, qu’aujourd’hui je livre tout ceci à mon ordinateur.

Une relation hétérosexuelle pour moi, comporte de manière inhérente de la peur, et des sacrifices, auxquels on ne consent pas forcément. Je pourrais énumérer ces petits sacrifices, quotidiens et anodins, qui rongent pourtant notre épanouissement : le choix des films le soir devant Netflix, le choix de la musique qui occupe l’espace de l’appartement, le degré de rangement de ce dernier, le désintérêt ou le manque d’enthousiasme ressenti face à nos centres d’intérêts alors que l’on fait tout pour s’intéresser aux leurs. Si compromis il y a dans ce quotidien hétéronormé, le sacrifice est toujours à notre préjudice.

On parle de plus en plus de charge mentale, mais ce terme n’englobe pas tous les compromis, le travail de care gratuit, la prise en charge de la santé mentale et physique de nos copains qui en découle. Le care, tel qu’il est défini par Robin West, est le travail maternel, d’écoute, de prise en charge des maux physiques et mentaux, ainsi que l’écoute et le travail domestique gratuit fourni par les femmes envers les personnes qui leur sont proches. Il profite donc grandement aux hommes, qui, ne se rendant pas compte de ce fameux travail, prennent celui-ci pour acquis et s’épanouissent dans leur vie aussi grâce à ce dernier. Prendre les rendez-vous chez le médecin, lui rappeler de prendre ses médicaments, sont des actions qu'il est difficile de s'empêcher de faire. Car même si l'on sait qu'il faudrait arrêter de les materner, l'apprentissage de l'amour patriarcal fait qu'on continue de les traiter comme nos enfants. 

Ce n’est pas prendre en compte l’hypervigilance qu’implique le fait même de sortir avec un homme. Aussi bienveillant soit-il, à chaque dispute la pensée « mais il pourrait me frapper » me passe par la tête. A chaque fois. Chaque haussement de voix, chaque action me paraissant démesurée me fait peur car elle pourrait mener à de la violence physique. Et même si cette peur peut être justifiée par un passé d'abus, elle est pourtant commune à toutes les personnes socialisées ou perçues comme femme. En effet, la peur des hommes est ce qui nous lie, et non des attributs corporels. 

C’est ne pas prendre en compte l’isolement dont sont victimes (c’est la seule fois où j’emploierai ce terme pour parler d’eux) les hommes : on se trouve alors être leur copine, leur meilleure amie, et leur psy en même temps. Car si la socialisation secondaire pousse les femmes à nouer des liens proches, tout en se dépréciant les unes les autres, les garçons n’ont pas cette opportunité. Par le refus du patriarcat d’accepter les émotions des hommes comme légitimes, il les pousse à s’isoler, garder pour eux et ne se livrer qu’aux personnes sensibilisées au care : leurs petites amies. Ainsi, le soutien émotionnel apporté est, par essence, non-équitable. Et on se dit que ce n’est pas grave, mais si ça l’est.

Le couple hétérosexuel n’est pas sur un pied d’égalité, dès le départ, et cette égalité est difficile à atteindre. On nous apprend à ne rien dire, on nous apprend que si on dit quelque chose on est reloue, hystérique, qu’on en fait tout un plat. Alors on ne dit rien et on envoie la liste de courses, on achète la bouteille de vin pour la soirée, et on vérifie qu’il a bien fait sa valise. Tout ça est un mélange de care forcé, de charge mentale et de peur de déplaire.

Parce-qu’il y a aussi ça : la peur de déplaire, la peur de se faire plaquer parce-qu’on n’est pas suffisamment disponible, suffisamment une « bonne copine ». J’aime mon copain de tout mon cœur, mais souvent je me demande comment rééquilibrer cette balance. La vérité c’est que je ne sais pas. Je pense que personne n’a la réponse. Je ne suis pas ici pour faire l’apologie du lesbianisme politique, là n’est pas l’enjeu. Je pense que l’on peut aimer les hommes, et un en particulier, et pourtant remettre en question les enjeux de pouvoir qui se jouent dans le confinement d’un appartement.

Mais aussi l’image qu’on lui donne, à lui, dans sa vie. Être militant.e en couple avec un homme c’est un tone policing quasi permanent pour se faire apprécier par ses ami.e.s, qui, pour la plupart, ne sont pas aussi engagé.e que soi. C’est rire à des blagues un peu limites, et râler avec lui après, parce-qu’on ne peut pas paraitre reloue. Sinon on le met dans une position inconfortable, et on fait passer son confort avant le nôtre. C’est mettre un soutien-gorge sous sa robe en anticipant d’éventuelles réflexions, c’est se caler sur lui, son degré d’acceptation de notre militantisme.  

La pression implicite autour du sexe aussi, qui malgré les paroles rassurantes sur le fait que ce n’est pas au centre du couple, revient toujours au galop. Et si je ne lui plais plus un jour ? Et si je ne lui donne pas assez de sexe (j’emploie le terme « donner » puisque le sexe fait partie d’un marché implicite inhérent aux relations de couple hétérosexuelles). Ainsi, la sexualité se doit d’être épanouie, équitable, même si parfois les injonctions reviennent au galop et on le fait passer avant soit, régulière, même débridée. Puisque militant.e je devrais accepter plus de pratiques, avoir des idées farfelues. Parce-qu’être militant.e est une étiquette en soit, dans toute ma vie, et ma relation n’y échappe pas.

Comment faire pour concilier son amour et son militantisme ? Peut-on être épanouie en couple en déconstruisant tout, tout le temps, de son mieux ? J’espère que oui, et chaque jour j’y arrive, même si je fais toujours des compromis.

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