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Billet de blog 26 février 2015

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Petite Contre-Histoire de la Suburbia Américaine

Les films hollywoodiens nous offre souvent une vision de la suburbia (banlieue américaine) respectant le récit soi-disant fondateur d’un tel développement urbain de l’après-guerre : cette forme semi-urbaine consisterait en la facilitation de l’accès à la propriété pour toute famille de la classe moyenne.

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Les films hollywoodiens nous offre souvent une vision de la suburbia (banlieue américaine) respectant le récit soi-disant fondateur d’un tel développement urbain de l’après-guerre : cette forme semi-urbaine consisterait en la facilitation de l’accès à la propriété pour toute famille de la classe moyenne. Cet article ne s’attachera pas à démentir un tel récit – d’autant moins que ses conséquences économiques sont importantes – mais plutôt à complexifier celui-ci par l’intermédiaire d’une trop courte contre-histoire de la suburbia américaine. Cette dernière s’organise à cinq échelles.

La première de cette échelle est celle du territoire national et de son infrastructure. En 1949, cinq entreprises, dont General Motors, toutes liées à l’industrie automobile, sont reconnues (mais non punies) de complot monopolistique lorsqu’elles achètent les tramways et trains électriques de quarante-cinq villes américaines pour pouvoir les détruire par la suite. Un tel monopole de la voiture est néanmoins consolidé par le « National Interstate and Defense Highways Act » conçu par l’administration Einsenhower et voté en 1956. Celui-ci engage la construction massive des autoroutes américaines sur l’ensemble du territoire. De plus, ces autoroutes sont conçues comme pouvant potentiellement servir l’armée dans un contexte incertain de guerre froide. C’est ainsi qu’on peut voir des essais d’atterrissage d’avions militaires de l’OTAN sur de nouvelles autoroutes en Allemagne de l’Ouest à la même époque.

À l’échelle des états, la suburbia et son étalement urbain permettent à la fois une dispersion géographique des humains et des ressources. Cette dispersion est envisagée comme réponse stratégique vis-à-vis du risque de bombardement nucléaire, particulièrement craint durant les années de construction de la suburbia[1] On trouve ainsi de nombreuses études d’époque, ainsi que des exercices à taille réelle, examinant l’impact matériel qui résulterait d’une telle attaque militaire.

Au niveau de l’espace urbain lui-même, l’individualisation des corps par l’intermédiaire de leur automobile, ainsi que la disparition de l’espace public de type méditerranéen permettent un contrôle de la population et des mouvements sociaux potentiels naissant généralement d’un tel espace. Le shopping mall et ses avatars deviennent les espaces aseptisés, privatisés et rentables de la rencontre avec l’altérité. Ceux-ci sont policés par des forces de sécurité, elles-aussi privatisées.

Passons désormais à la maison suburbaine elle-même. Le travail d’Olivia Ahn sur la ville suburbaine de Levittown (Long Island) nous montre combien cet espace domestique est organisé autour d’un corps que l’architecture va contribuer à ‘genrer’ : la femme de l’après-guerre doit redevenir la figure casanière qu’elle était avant la guerre. La maison suburbaine est donc conçue de telle manière que la femme en soit l’usagère principale, comme l’argumente le designer Henry Dreyfuss lorsqu’il définit des rôles précis pour ses deux modèles corporels et ‘genrés’, Joe et Josephine. Le design d’objets ou de véhicules militaires, de bureau, ou à l’usine sera ainsi conçu autour du corps de Joe, alors que les objets domestiques (l’aspirateur, le téléphone, le fer à repasser, etc.) seront basés sur le corps de Josephine.

On peut aller encore plus loin dans ce travelling avant, tout en restant dans ce renforcement des normes du genre : la construction suburbaine se fait à la même époque que le développement de l’industrie pharmaceutique au sein d’un capitalisme qui s’affirme de plus en plus en opposition au modèle soviétique. C’est ainsi que la pilule contraceptive est produite, distribuée et enfin consommée par de nombreuses femmes américaines comme l’explique Beatriz Preciado dans son livre Testo Junkie (Grasset, 2008). La pilule, objet paradigmatique dont l’ingestion volontaire constitue une sorte de cérémonial politique pour Preciado, intervient donc au sein d’un programme alliant gestion démographique et production de capital.

Nous pouvons conclure cet article par l’évocation du livre Relocations (New York University Press, 2011) écrit par Karen Tongson et analysant de quelle manière le récit dominant d’une suburbia blanche génératrice d’un imaginaire hétérosexuel fort – la suburbia étant généralement le lieu approprié de la reproduction – peut se trouver dérangé par un autre imaginaire produit par les populations suburbaine queer et/ou de couleur, non-décrites par le récit originel. Ces populations occupent pourtant une place majoritaire au sein de nombreuses régions suburbaines comme c’est le cas pour celles décrites par Tongson, l’Inland Empire et l’Orange County, toutes deux en Californie. L’architecture participant largement à la formation des imaginaires, nous pouvons envisager l’ensemble des échelles énumérées au sein de cet article pour intervenir au sein de cet espace surburbain dont la praxis politique est bien plus politique que l’on veut bien admettre généralement. 

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