J'ai voulu répéter Cette Lettre dAnatole France, noyée dans un commentaire du billet précédent. Fin octobre 2014* en deviendra le premier commentaire accompagnateur. Je vous en souhaite bonne lecture, contacts affichés ou non. Merci !...bl
UNE LETTRE D'ANATOLE FRANCE
Je le dis avec un douloureux orgueil : il était mon ami. Je l'ai vu de près. Ce grand homme se montrait dans l'intimité simple et cordial. Il était la douceur et la bonté mêmes. De toutes les facultés que la nature a accordées à ce surhomme, celle d'aimer est peut-être celle qu'il a exercée le plus complètement. J'ai entendu cette grande voix, qui emplissait le monde de ses éclats lumineux et terribles, se faire pour un ami cordiale et caressante.
Son savoir était sûr et profond. Il s'étendait au-dessus du cercle si large des questions sociales. sur toutes les choses de l'esprit.
On m'excusera de rappeler qu'un jour, au Palais de Justice, dans la salle des Pas Perdus, pendant l'affaire Dreyfus, après avoir fait un tableau large et profond de cette cause qui remua toutes les consciences, il nous récita les plus beaux vers de l'époque Louis XIII et les commenta avec un goût exquis.
Il y a moins d'un mois, l'allant voir dans sa maison de Passy, si modeste,ou, pour mieux dire, si pauvre, mais si glorieuse, je le trouvai lisant dans le texte une tragédie d'Euripide. Son esprit immense se délassait de l'étude par l'étude et se reposait d'une tâche par une autre.
Dans la sérénité d'une conscience pure, poursuivi par d'effroyables haines, en butte à des calomnies, il ne haïssait personne. Il ignorait ses ennemis. Le martyr a couronné sa vie exemplaire et le donne en exemple à tous les bons citoyens et à tous les serviteurs de l'humanité.
Mon coeur trop plein éclate. Je ne sais que balbutier. Ma douleur m'étouffe. Ne plus jamais le revoir, lui qui fut le plus grand des coeurs, le plus vaste des génies, le plus noble des caractères.
J'apporte avec une tendresse respectueuse à sa veuve et à ses enfants, à ses amis, à ses collaborateurs, au grand Parti socialiste, pour lequel il est toujours vivant, mes profondes condoléances. Anatole France.