L'audience au fond du recours de dissolution des Soulèvements de la terre devant le Conseil d'État aura lieu le vendredi 27 octobre à 14h00. Cela va évidemment être un moment majeur pour l'histoire du mouvement et une audience particulièrement emblématique pour l'avenir des libertés publiques et politiques. Nous appelons donc à un rassemblement de soutien dès midi devant le Conseil d'État en présence de l'ensemble des ONGs, syndicats, partis politiques, associations qui se sont portées co-requêrantes ou intervenantes volontaires contre la dissolution des Soulèvements de la terre !
Cette audience aura un caractère très particulier puisqu'elle se fera pour l'occasion devant la section du contentieux, une section du Conseil d'État qui réunit 15 juges et "où sont jugées les affaires qui présentent une importance remarquable". Mais aussi parce que des recours au fond contre des dissolutions d'autres structures aux engagements politiques divers et pour certains profondément antinomiques y seront étudiés à la suite, celle du groupe antifasciste lyonnais la GALE, de la Coordination contre le Racisme et l'Islamophobie (CRI), mais aussi de l'Alvarium une organisation néo-fasciste.
Cette audience prend une dimension préoccupante puisqu'a contrario des décisions prises par ses pairs en leur qualité de juges des référés pour suspendre la dissolution de la GALE et des Soulèvements de la terre, le rapporteur public a annoncé qu'il se prononcerait vendredi, quant à lui, en faveur de leur dissolution, ainsi que de celle des deux autres groupes visés (1). En ce qui concerne les Soulèvements de la Terre, rien ne justifierait matériellement une décision qui irait à rebours de celle prise en août. Aucun fait tangible nouveau n'a pu être apporté par le ministère de l'intérieur dans ses écrits (2). Il est donc à craindre que le rapporteur public propose une nouvelle interprétation, visant à faire jurisprudence quant au champ d'application de la dissolution, avec une vision extensive et liberticide de la notion de "provocation", dont la définition même a justifié la saisine de la formation solennelle de jugement du Conseil d'Etat pour se prononcer sur ces affaires. Dans ce contexte de "tir groupé", le rapporteur public semble vouloir mettre sur un même pied des mouvements on ne peut plus différents, voire clairement antagonistes, pour l'intérêt public que sont l'écologie et l'antiracisme face à un groupement à visées ouvertement néofasciste et xénophobe. On doit craindre enfin le risque de surveillance massive qu'aggraverait une telle jurisprudence dans un contexte où la représentante du ministère de l'intérieur n'avait déjà pas hésité à asséner en référé que "les personnes [154 884 à ce jour] qui ont choisi d'adhérer aux soulèvements de la terre entrent ipso facto dans le scope des services de renseignements".
Nous attendons pour notre part évidemment, à l'issue du délibéré de cette nouvelle audience, que les juges du Conseil d'État confirment les arguments de fond et sans ambigüités qui les ont amenés à suspendre la dissolution en août (3). C'est-à-dire, entre autres :
que "le doute sérieux" quant à la légalité du décret de dissolution soit confirmé ;
que "ni les pièces versées au dossier, ni les échanges lors de l’audience, ne permettent de considérer que le collectif cautionne d’une quelconque façon des agissements violents envers des personnes" ;
que nos actions "ne peuvent pas être qualifiées de provocation à des agissements troublant gravement l'ordre public de nature à justifier l'application des dispositions précitées du 1° de l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure" permettant une mesure de dissolution en Conseil des ministres. (4)
Gageons que les membres du Conseil d'État continueront à condamner l'inaction gouvernementale face à l'urgence climatique et à l'effondrement de la biodiversité plutôt que de prohiber les mouvements qui assument la nécessité d'agir en conséquence.
Rappelons que des milliers de personnes, ainsi que des organisations syndicales, politiques et environnementales (5) se sont portées co-requérantes contre la dissolution de la coalition que constitue les Soulèvements de la terre, affirmant ainsi le caractère composite, massif, multiple et indissoluble du mouvement !
Elles porteront ainsi la voix des 150 000 personnes et 200 comités locaux, pour qui le maintien d'un mouvement de défense des terres et de l'eau est absolument vital.
Un certains nombre d'autres organisations (6) se sont portées quant à elles intervenantes volontaires et affirment ainsi que la dissolution des Soulèvements de la terre constituerait une grave violation de la liberté d'expression et d'association, dans un contexte de répression accrue des mouvements sociaux.
Après le soulèvement de solidarité inouï de ces derniers mois, il est aujourd’hui plus que jamais impensable qu’une dissolution abolisse le courage de lutter. Il n'y aura plus de répit pour mettre à l'arrêt les projets climaticides qu’une partie croissante de la population conteste, et qui compromettent dramatiquement le futur de la jeunesse. Dans les Deux-sèvres et dans la Vienne, la justice vient encore de donner raison aux combats précurseurs menés par les Soulèvements de la terre et les collectifs locaux, avec l’annulation de 15 projets de bassines. Quel est donc le degré de déconnexion à la realité et de soumission aux lobbys privés des dirigeants qui pensent pouvoir interdire aux habitant.es de ce pays de désobéir alors que leur eau est empoisonnée, que les terres et forêts sont en péril, et que le vivant se meure. La situation climatique et sociale est bien trop grave pour qu'il y ait le choix de continuer à agir ou non.
Un soutien large et attentif sera nécessaire vendredi ! Soyons nombreuses et nombreux à nous retrouver devant le Conseil d'État à midi, avant l'audience !
Ce qui repousse partout ne peut être dissout. On ne dissout pas un soulèvement !
(1) dont la dissolution avait en revanche été confirmée lors des référés
(2) https://www.lalettre.fr/fr/action-publique_executif/2023/10/23/gerald-darmanin-sans-illusion-pour-la-dissolution-des-soulevements-de-la-terre,110079583-art
(3) Rendu de décision du Conseil d'État sur la suspension de la dissolution des SDT, 11 aôut 2023 : https://www.conseil-etat.fr/actualites/le-conseil-d-etat-suspend-en-refere-la-dissolution-des-soulevements-de-la-terre
(4) dans le détail de la décision d'11 août de Conseil d'Etat : « si le décret contesté fait grief au collectif Les Soulèvements de la Terre de provoquer à des agissements violents à l’encontre des personnes et des biens, il ne résulte pas des pièces versées au dossier du juge des référés ni des éléments exposés à l’audience que ce collectif cautionne d’une quelconque façon les violences à l’encontre des personnes. S’agissant des violences alléguées à l’égard des biens, il ressort des pièces versées au dossier, ainsi que des éléments exposés à l’audience, que les actions promues par les Soulèvements de la Terre ayant conduit à des atteintes à des biens se sont inscrites dans les prises de position de ce collectif en faveur d’initiatives de désobéissance civile et de « désarmement » de dispositifs portant atteinte à l’environnement, dont il revendique le caractère symbolique, et ont été en nombre limité. Eu égard au caractère circonscrit, à la nature et à l’importance des dommages résultant de ces atteintes, le moyen tiré de ce que les actions reprochées au collectif ne peuvent pas être qualifiées de provocation à des agissements troublant gravement l’ordre public de nature à justifier l’application des dispositions précitées du 1° de l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure, notamment au regard des exigences découlant des articles 10 et 11 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, est, en l’état de l’instruction, propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de ce décret. » (JRCE, 11 août 2023, Les Soulèvements de la Terre, n° 476385)
(5) Liste des organisations co-requérantes : Bloom, Longitude 181, Ingénieurs sans frontières Agrista, Polinis, One Voice, Bio Consom'acteurs, L'Atelier Paysan, EELV, LFI
(6) Liste des intervenants volontaires : Agir pour l'environnement, Union syndicale Solidaires, Collectif des associations citoyennes, Centre Athenas, Intérêt à Agir, Terre de liens, Vous n'êtes pas seuls, Métamorphoses, Zéro Waste France, Extinction Rebellion, Notre Affaire à tous, Greenpeace, les Amis de la Terre, ATTAC, Alternatiba, ANV COP21, la Confédération Paysanne, SAF, Gisti, Dal, Benoît Biteau, Philippe Descola, Cyril Dion, Julie Ferrua, Youlie Yamamoto

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