
« Je ne voulais pas écrire ce livre », avoue Javier Cercas en ouverture. « Parce que j’avais peur ». Peur de ne pas arriver à lire, à dire, la vérité juste, tant l’affabulation est grande? Peur que retracer le mensonge n’en vienne à l’expliquer, et de là à le justifier, l’excuser ? Et pourtant le livre est bien là. Un gros livre sur un grand sujet. Le sujet, le « héros », c’est Enric Marco, espagnol de Barcelone, qui pendant presque trente ans s’est fait passer pour un ancien déporté dans l’Allemagne de Hitler et un survivant des camps nazis, qui avait pendant trois ans présidé la grande association espagnole des anciens déportés, qui avait tenu des centaines de conférences et accordé des dizaines d’entretiens, qui avait reçu d’importantes distinctions officielles, jusqu’au jour où l’on découvre que tout cela est mensonge, que Enric Marco est un homme banal, sans convictions, un homme résigné qui se range toujours du côté de la majorité.
La quête de Javier Cercas commence par une recherche méthodique et précise de l’exacte vérité. Chaque pièce du puzzle du parcours d’Enric Marco retrouve son vrai visage et sa juste place. L’énormité de l’imposture s’affiche au fur et à mesure que le récit fait apparaître comment le mensonge appelle le mensonge, comment l’imposteur n’a pas d’autre issue que de poursuivre dans l’imposture. Mais rien n’est fini quand l’imposture est dévoilée : Marco, devenu un grand menteur et un grand maudit, est-il pour autant un faux héros ? Ne peut-il pas être à la fois un malfrat et un héros, comme Don Quichotte était à la fois fou et sensé ? Car qu’est-ce que la vérité, et l’a-t-on jamais, la vérité ? Et qu’est-ce qu’un héros ? Si un héros est celui qui sait dire « Non, Marco », qui a toujours choisi la vie aux dépends de la vérité et à l’encontre de toutes les règles de la morale, n’a-t-il pas, parfois, dit un Oui qui serait aussi un Non ?
Javier Cercas ne donne pas de réponse à ces questions. Il n’a pas de certitudes à imposer au lecteur, il a seulement des convictions profondes qui sont encore en forme d’interrogation. Mon coup de cœur pour ce livre est d’abord un coup de cœur de la raison. À cause de la grandeur du sujet et de la hauteur de vue avec laquelle il est traité. À cause de la force de l’écriture. À cause de la grandeur des vérités, des convictions qui guident le récit et la réflexion. Mais c’est aussi un coup de cœur du vrai cœur, devant tant de simplicité de l’auteur à dire ses interrogations, à avouer qu’il n’a pas de réponses, à achever le livre exactement sur le point qui l’ouvre, la raison de sa peur d’écrire ce livre.
Javier Cercas est un grand écrivain et l’Imposteur est un grand livre. C’est lui qui ouvrira Les Correspondances 2015. Un signe qui place le festival sous l’angle du dire vrai, sans facilité, sans fioriture, sans convenance ? Chiche !
L’Imposteur est le sixième livre de Javier Cercas chez Actes Sud.
Le Grand Entretien inaugural du festival accueillera Javier Cercas le mercredi 23 septembre à 18 heures Place de l’Hôtel-de-Ville. C’est Pascal Jourdana qui en sera le maître d’œuvre. Javier Cercas sera également reçu le jeudi 24 septembre à 11 heures place D’Herbès par l’Apéro Littéraire du Comité de lecture : lecture d’extraits du livre par les « liseurs » du Comité de lecture guidés par Raphaël France-Kullmann, débat animé par les bibliothécaires Nathanaële Corriol et Sylvie Pezon.