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Billet de blog 4 novembre 2024

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ALLÔ MAMAN // Entretien avec Regine-Gwladys Lebouda

“J’ai le droit de choisir une autre voie, ça ne me rend pas moins mère. C’est le dilemme, l’équilibre précaire de toutes les femmes, je crois.”

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Entretien avec Régine-Gwladys Lebouda à propos de son film Allô maman sélectionné à la 28ème édition du festival Les Écrans Documentaires.

Bonjour Gwladys et merci de m’accorder cet entretien. Pourquoi ce choix de sujet et pourquoi avoir filmé ta propre histoire ? 

À l’origine, ce n’était pas prévu que je parle de moi. Je savais que je voulais parler d’immigration, mais au départ, j’allais sur des questions plus politiques, plus frontales, je n’avais pas du tout prévu d’être au-devant de la caméra. C’est une idée qui a émergé petit à petit. Quand j’ai pris la décision de quitter le Cameroun, je me suis dit que ce serait facile à vivre, que le contact serait facile à maintenir, et puis, la réalité, c’est que, c’est beaucoup plus difficile que ça. J’ai d’abord fait un appel à témoignage sur les réseaux, cherché des femmes qui avaient vécu une histoire similaire. C’est grâce à cet appel à témoignage que je me suis rendu compte que mon amie, qui apparaît dans le film, vivait la même chose. Parce que la vérité, c’est qu’on n’en parle pas. Je croyais naïvement qu’elle avait voyagé avec ses enfants, mais ce n’était pas le cas. J’ai redécouvert cette amie à travers le film. Aucune femme n’avait encore porté cette parole à l’écran, on n’a pas de récit sur ce type de  parentalité là. Et la raison, c’est simplement parce qu’aucune réalisatrice n’y a été confrontée (rires). Le fait d’être à cette place et d’avoir les outils pour faire un film m’a permis d’aborder ce sujet. Et c’est un sujet que j’ai encore envie de creuser, j’ai encore plein de choses à dire là-dessus, je n’ai pas tout abordé dans ce premier film.  

Étant toi-même devant la caméra, as-tu donné des directives spécifiques à ton équipe sur la manière de te filmer ? Comment garder la bonne distance quand on parle de soi ?  

C’est le plus grand enjeu du film. C’était la première fois que je me mettais en scène, j’ai plutôt toujours adopté une posture externe dans mes productions. En tant que journaliste, on essaie de se placer le plus loin possible de ce qu’on veut filmer. Ma posture me faisait douter de la pertinence même du film, de ma légitimité. Il fallait reconstituer ce que je vivais, être nue devant la caméra, sans surjouer la réalité, pour me mettre dans une posture de témoignage. En montrant autant de ma vie dans le film, je trouvais qu’il était inutile d’ajouter la voix off que j’avais initialement prévue. Cela faisait trop d’éléments personnels. J’ai choisi de laisser le film vivre par lui-même avec ces séquences sans voix off. 

On vit avec toi les difficultés de communication avec ta fille, qui sont parfois frustrantes aussi pour nous en tant que spectateur.ice… 

Garder ce côté chaotique du son et de l’image était un vrai choix narratif. C’était aussi l’une de mes réticences, mais l’équipe m’a beaucoup rassurée et accompagnée là-dessus : même si le son n’est pas parfait, même si l’image est difficile à suivre, l’émotion est là. C’est cette expérience immersive qui me permet de déconstruire l’imaginaire que j’avais, je pensais que je pourrais rester en contact facilement grâce au téléphone. Ces bugs donnent aussi des éléments d’un autre contexte, celui de la fracture numérique. La mauvaise connexion internet complique le lien, et malgré tout, ce qui reste, c’est l’amour entre une mère et sa fille, la volonté de quand même ne pas se séparer.  

Tu poses cette question autour du film : « comment partir sans mourir dans le quotidien de ma  fille ? ». Pendant le film, on passe plus de temps avec Hannah, à travers ton écran, qu’à partager ta vie en France. Est-ce que cela reflète ton ressenti ?  

Énormément ! Parce que ma première année en France a quand même tourné autour de ce sentiment de culpabilité. Même en étant en cours, je me demandais ce que mon enfant était en train de faire, est-ce que sa journée s’était bien passée ? Est-ce qu’elle avait bien fait ses devoirs ? Hannah était omniprésente.  

Il y a aussi autre chose. En discutant avec mon amie, je me suis rendu compte que son expérience plus longue de la parentalité à distance finissait par éroder le lien mère-enfant, et ça, c’était plutôt effrayant pour moi. Cela justifiait le fait de m’accrocher au téléphone : il est présent tout au long du film pour illustrer le partage entre deux univers. Le téléphone est témoin de cette  dualité entre ambition et culpabilité, entre mon corps qui intègre un nouvel environnement et mon cœur qui reste accroché à son trésor de l’autre côté. Il est donc conçu comme un personnage à part entière qui porte le lien mère-fille malgré la distance. 

Ce qui m’a également intéressée dans ton récit, c’est la place que tu donnes au rire ; par exemple, quand tu fais une blague à Hannah, qui est triste, en lui disant que tu vas venir lui faire des bisous et lui croquer l’oreille quand tu rentreras. C’était important pour toi de ramener de la légèreté dans le récit, qu’on puisse aussi partager des moments de joie ?  

Tout à fait, je voulais de l’empathie, mais pas de la pitié. Construire ce récit, c’est assumer que malgré la complexité de la situation, je trouve quand même des moments de soutien auprès de mon amie, des moyens de dédramatiser la situation auprès de ma fille, parce que même si c’est dur pour moi, j’essaie de ne pas lui montrer. La situation de « croquer l’oreille » jusqu’à aujourd’hui, elle m’en parle encore, elle me dit « quand tu rentreras, il ne faudra pas que tu me croques l’oreille ! » (rires). Je fais l’effort d’intégrer des choses comme ça, des chatouilles, même quand je ne peux pas lui en faire dans notre quotidien. Pour le film, ça donne de la place à des éléments de ma vie à moi, des éléments de socialisation. La douleur n’est pas omniprésente dans mon quotidien, mais elle s’inscrit dans une expérience plus variée et plus diverse.  

Pendant le film, tu exprimes clairement et sans te justifier auprès du spectateur que ton départ  est un choix, alors qu’on attend toujours des mères qu’elles adoptent des postures  sacrificielles. C’est un positionnement politique très fort… 

Complètement. C’est le désir de connaître le cinéma qui nous a séparées, qui m’a poussée à partir. Pour moi, le film, l’outil cinéma, est aussi le témoin de notre résilience à toutes les deux.  C’est la trace de ce qu’on aura vécu pendant cette quête de croissance professionnelle que je me suis accordée. J’ai aussi la volonté de lui enseigner cette aisance à se choisir. Je lui dis « Je suis ta mère, mais pour un an, je vais devoir te laisser parce que j’aspire à mieux. Et si toi, tu es face à ce genre de choix, accomplis-toi. Le fait d’être mère ne doit pas te limiter dans tes ambitions ». C’est la trame derrière mon geste, aussi bien dans le voyage que dans le film. C’est un héritage pour elle en tant que femme. Il n’y a pas une solution, tout dépend du ressenti de chacune, mais ce choix, qui n’est pas la solution privilégiée, est une option qu’il faut mettre sur la table. La plupart des femmes font comme ça, mais on a le droit de choisir l’autre option, sans toutefois abandonner son rôle de mère. J’ai le droit de choisir une autre voie, ça ne me rend pas moins mère. C’est le dilemme, l’équilibre précaire de toutes les femmes, je crois.  

Est-ce qu’il y a d’autres choses que tu souhaites nous partager ?  

J’aimerais dire que faire ce film m’a vraiment montré l’importance de construire un point de vue et d’assumer sa vision de la vie et du monde. J’ai compris à quel point nos histoires personnelles peuvent avoir un écho plus universel. Ce film a lié ma part d’intime et ma part de politique. Pour le contexte, je suis arrivée en France en 2023, pendant les débats sur l’immigration et le regroupement familial. J’étais tétanisée en me disant « Mais est-ce qu’ils se rendent compte de la douleur que c’est d’être loin de sa famille ? ». J’étais terrorisée par le fait que les gens pensent qu’il est normal de limiter ce droit, de faire famille avec les siens. Le documentaire a été réalisé avec d’autres étudiants à l’image, au son et au montage. J’ai bénéficié d’excellents accompagnateurs pour l’écriture, pour la réalisation et pour le montage qui m’ont permis de cadrer mon propos et de prendre du recul sur un film qui m’impliquait littéralement corps et âme. Étant devant la caméra, je ne maîtrise pas grand-chose de ce qu’il se passe de l’autre côté, t’imagines ! En tant que réalisatrice, c’est un gros challenge et il faut faire complètement confiance à son équipe. C’était un travail à mille mains, et je me suis laissée porter par cette énergie collective. Ce sont d’ailleurs mes camarades de classe qui m’ont encouragée à incarner mon histoire alors que je n'arrivais pas à trouver un sujet dans un pays où je n’avais pas de lien social. Ils m’ont dit « laisse tomber les migrants devant l’Hôtel de Ville, c’est ton histoire avec la petite qu’on veut ! » (rires). Je suis vraiment pleine de gratitude envers l’équipe du master DEMC et pour toutes ces rencontres que j’ai faites en France. 

Propos recueillis et racontés par Marion Ablain.

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