Entretien avec Augustine Caille à propos de son film À Poings et À Coeurs sélectionné à la 28ème édition du festival Les Écrans Documentaires.
Comment as-tu eu envie de faire ce film ?
L’envie est née dans un cadre précis puisqu’il s’agit de mon film de fin d’études à l’université Paris I et qu’il a été réalisé en partenariat avec le Centre Pompidou pour le festival Hors-Pistes. L’année de mon Master, le thème était « Les règles du sport ». Le sport n’a jamais vraiment été ma came, même si ça le devient de plus en plus, donc j’ai surtout eu envie de faire un film qui me correspondait. J’ai essayé de trouver une entrée plus personnelle dans le monde sportif pour pouvoir m’approprier le sujet, c’est pour ça qu’il est question de transidentité dans le sport.
Comment définir ton lien avec la boxe en particulier et le sport en général ?
Comme beaucoup de personnes LGBTQIA+, j’imagine, ma relation au sport a été très conflictuelle tout au long de ma vie et notamment à l’école. Quand tu n’es pas maître ou maîtresse de ton corps ou lorsqu’il est assimilé à tort par tes professeurs ou par tes pairs, c’est vraiment dur de vouloir en prendre soin ou même de chercher à mieux le comprendre, à l’apprivoiser. À l’instar, du parcours des boxeuses dans le film, l’envie de sport est donc plus tardive et elle vient accompagner la transition dans la réappropriation de son corps.
Comment s’est déroulée la rencontre avec les boxeuses ?
J’avais déjà des ami·es qui faisaient du sport dans un club de boxe queer en Île-de-France, le CISN’T, et j’ai aussi posté un message sur Twitter pour en savoir plus sur les pratiques sportives de la communauté trans. Une boxeuse qui venait de s’inscrire au CISN’T m’a répondu et a accepté de participer au projet. Lors de notre rencontre, j’ai senti une personnalité à la fois extravertie et drôle, d’autant qu’elle fait aussi un peu de mannequinat donc elle était déjà assez à l’aise avec le fait d’être filmée. Ensuite, il a fallu obtenir l’accord de l’association puis du lieu, en sachant qu’il s’agit d’un espace indépendant plutôt précaire et qui, pour protéger les personnes qui s’y rendent, n’est pas forcément enclin à s’ouvrir ou à être rendu visible par des médias. Une photographe était déjà venue, mais c’est la première fois que le CISN’T faisait l’objet d’un tournage, j’ai eu beaucoup de chance.
Peux-tu revenir sur les conditions de tournage ?
Je venais systématiquement seule, avec le matériel de l’école : une caméra Blackmagic et un Zoom pour le son. Le tournage a duré environ cinq semaines avec un jour de tournage par semaine. C’était finalement assez rapide, le format attendu par l’université étant de 8 minutes maximum. On m’a d’ailleurs beaucoup dit que le film était trop court. J’aurais aimé filmer plus longtemps, si cela avait été possible, car je sentais que petit à petit la confiance s’installait et que certaines commençaient à s’ouvrir au moment où le tournage touchait à sa fin. Mais, d’une certaine manière, j’ai déjà l’impression de leur avoir beaucoup pris en imposant une caméra dans leur espace, sans participer aux entraînements de boxe. C’est en partie pour ça que je n’imagine pas les filmer à nouveau ou travailler sur un format plus long.
Le club de boxe est un espace intéressant conçu comme un lieu de vie avec des espaces conviviaux et une cuisine. J’avais donc imaginé filmer les boxeuses dans ces endroits lors de discussions plus informelles. Mais, en réalité elles sont avant tout là pour boxer et ces moments n’ont finalement pas eu lieu, c’est pourquoi les quelques entretiens ont été faits face caméra, lors de rapides pauses entre deux entraînements. J’aurais aimé que ces séquences d’entretiens soient un peu moins mises en place, mais, je me suis vraiment adaptée au temps qu’elles pouvaient m’accorder. En termes d’images, c’était très intéressant de naviguer entre les tatamis et je trouvais aussi que la lumière du lieu était assez belle pour sublimer les corps. Nous nous étions mises d’accord pour séparer l’espace en deux, afin de ne pas filmer celles qui ne le souhaitaient pas. Au début, seules deux boxeuses avaient accepté d’être filmées et, au fur et à mesure, d’autres se sont prêtées au jeu. Il y avait donc une double contrainte à la fois d’espace et de consentement - une vigilance nécessaire aussi pour ne pas prendre le risque d’outer des personnes de force.
À Poings et À Cœurs a été sélectionné dans plusieurs festivals et projeté à diverses occasions, comment l’as-tu vécu ?
Les boxeuses du film ont été mes premières spectatrices et c’était assez angoissant, mais, tout s’est très bien passé. Ensuite, il faut dire que j’ai été assez surprise du parcours du film, je ne m’attendais pas forcément à ce qu’il soit autant vu. C’est un enjeu particulier aussi de savoir à quel point il faut montrer le film. Je pense que c’est important de trouver un équilibre entre la démarche d’ouverture et de compréhension de nos vécus, tout en ne prenant pas le risque de révéler trop de choses et de trop exposer des personnes vulnérables qui risqueraient alors d’être mises en danger. En tout cas, je sais que les boxeuses étaient très fières d’elles lors de la première projection, et je sens aussi que les personnes trans qui ont vu le film se sentent représentées, car j’ai eu de bons retours de leur part. C’est vraiment ce qui compte le plus selon moi, l’avis des personnes concernées.
C’est un film sur des boxeuses trans, mais c’est aussi un film qui parle de toi, comment as tu imaginé ce lien ?
L’idée de ma présence dans le film est venue après le tournage. Je réfléchissais à ce qu’on voyait déjà constamment parmi les représentations des personnes trans dans le sport, et ce que j’ai observé, c’est qu’on se concentre essentiellement sur les différences physiques et physionomiques des athlètes trans dans le sport à haut niveau. Je trouvais que ça ne me correspondait pas du tout et que c’était à la fois polémique et pas assez humain, alors, j’ai pensé que ce serait pertinent de parler de moi et de mon rapport au sport, car c’est la seule chose que je connais vraiment. J’ai aussi joué sur la symbolique du chevalier pour faire le lien entre la boxe comme sport de combat généralement associé au masculin et à la violence, mais qui permet aussi de se défendre et de se forger sa propre armure. Il y a enfin un clin d’œil esthétique au film Orlando, ma biographie politique de Paul B. Preciado, que j’ai vu pendant que je réalisais le film, qui m’a touché parce qu’il parle de nous avec justesse et que j’ai trouvé visuellement très réussi.
La boxe symbolise à la fois la puissance et la vulnérabilité, la lutte et la solidarité ; est-ce que ce sont ces paradoxes là que tu es allée chercher ?
Pendant les entretiens individuels sans caméra, j’ai questionné les boxeuses sur leur rapport au sport et à la boxe. Elles-mêmes confirment cette idée de vraiment se réapproprier leur corps dans un endroit safe et de se défendre des violences qu’elles peuvent subir au quotidien. Et en effet, la boxe est censée être un sport de combat, mais, en réalité, il y a un rapport assez doux, d’entraide et de solidarité qui s’opère dans une dynamique d’autodéfense au sein d’une communauté. Ce qui est certain, c’est que ça donne beaucoup de confiance de pouvoir se retrouver dans des lieux sans regards extérieurs, potentiellement transphobes et de se préparer ensemble à affronter le monde extérieur.
Quelques mots pour conclure sur ta démarche en tant que réalisatrice ?
Lors d’une projection, Alexis Langlois, qui a notamment réalisé les Reines du Drame, a dit quelque chose de très intéressant et que j’aime bien reprendre, car je trouve que c’est très important. Souvent, quand on parle de militantisme trans ou queer, certaines personnes sous-entendent que l’on demande à être considéré·es comme tout le monde. Alors qu’en fait, ce n’est pas grave de ne pas être comme tout le monde, c’est même bien d’ailleurs. On s’en fout d’être normales, l’important, c’est que malgré le fait qu’on soit chelou·es, bizarres ou que sais-je, ce qui compte, c’est qu’on soit quand même accepté·es pour qui nous sommes.
Propos recueillis et racontés par Emma Bouvier.