L'article a été réalisé dans le cadre d'un entretien avec Clément Herbert à propos de son film Sorn sélectionné à la 28ème édition du festival Les Écrans Documentaires.
Le film de fin d’études représente toujours une étape un peu particulière dans le parcours du cinéaste qui s’est initié aux études de cinéma. C’est l’œuvre avec laquelle on doit s’ouvrir au monde, l’œuvre qui nous permet de témoigner de notre parcours en tant qu’artiste, de faire la synthèse de notre évolution en tant qu’individu. C’est le cas de Sorn de Clément Herbert, court-métrage documentaire qui poursuit formidablement cette quête.
À l’issue de son Master 2 Parcours Documentaire de création, Clément est chargé de réaliser un court-métrage. L’exercice est assez libre, à l’exception du montage et l’apport de deux intervenants. Clément est seul aux manettes. La forme aussi est libre, et son intérêt grandissant pour la forme documentaire, notamment ceux d’Alexandre Sokourov et de Jean-Baptiste Alazard, le pousse à réfléchir la « matière de l’image », ainsi que le « rapport aux mots, et à la trame d’un récit ». Le moule sur lequel est fait Sorn ne ressemble donc à aucun autre, car il n’est “que” la projection singulière et intime des réflexions et questionnements soulevés par Clément au moment de sa création. « Le court-métrage doit se faire en deux mois, le deuxième mois était consacré au montage, le premier a davantage servi pour l’écriture et le tournage. » C’est durant cette période qu’il réfléchit énormément au fond et à la forme de son court-métrage. « C’est un projet qui s’est écrit et réalisé en même temps » explique-t-il, « et qui m’a surtout permis de trouver ma place ». Mais que souhaite donc transmettre Clément Herbert avec Sorn ?
Originaire d'Ariège, sa première intention est de rendre hommage aux paysages et à l’histoire de ce département, à ce territoire d'enfance dans lequel il a grandi. Il souhaite travailler sur ces lieux qu’il connaît et qui lui ont toujours semblé « hors réalité ». Seul petit malus, le métrage doit être tourné dans un périmètre géographique de 30 kilomètres autour de l’école. Il commence donc très tôt les prises de vues ; « je voulais une image qui renforce cette sensation hors réalité que je ressentais face à ces paysages ». Armé d’un appareil photo numérique, il souhaite « initier des fragilités » au cœur des images qu’il filme. Il tourne en intérieur, « une grange abandonnée, une vieille maison en bois », en extérieur « un massif forestier, des montagnes ». Il filme tout ça, à « différentes heures de la journée et de la nuit ». Et ce, pour trouver les textures qui accompagneront au mieux son souhait de sur-naturaliser les environnements de son enfance. Il travaille en amont le grain de ses images, à l’aide de différents objectifs, d’une intensification du bruit numérique, puis avec un peu de bricolage aussi, étalant par exemple « du baume à lèvres sur son objectif pour renforcer l’épaisseur de son rendu ».
Si Clément travaille autant sur ce rapport à l’obscurité et aux ombres rendues, c’est parce qu’il souhaite faire jaillir de ces prises de vues un imaginaire « qui fait un pas sur le côté, mais qui n’annihile pas le réel pour autant. », à l’image des contes et mythes ardéchois dont il va s’inspirer en partie pour sa narration. Le cinéaste Clément accumule ainsi des extraits de contes et mythes « où l’imaginaire traverse des territoires […], où les histoires orales sont transmises de génération en génération […] et où elles s’inspirent et s’ancrent dans la réalité des lieux ». Il revisite entre autres les contes de Nannette Lévesque, une conteuse ardéchoise du XIXe siècle qui lui inspire d’ailleurs le titre du film. « Sorn vient des sornettes, le nom que l’on donnait à l’époque à ces récits souvent imprégnés d’une charge fantastique très forte ».
Sorn parle de cette « tradition orale qui existait à l’époque, où l’on se partageait des histoires durant des veillées nocturnes […], c’est des récits que l’on se raconte dans l’obscurité ». Toujours à l’instar des contes, l’idée était également de travailler sur la « notion de traversée […], de proposer un mouvement, une entrée dans différentes spatialités […] comme un voyage qui amène d’une maison à une autre. » C’est cette exigence que souhaite prolonger Clément, de sa mise en scène à sa narration. Une narration qui établit un lien direct et sensible à la nuit et à l’enfance, qui tisse son récit dans l’ombre et qui s’ancre dans une réalité à la fois familière et étrangère, une réalité « pleine de dérèglements et de manifestations surnaturelles » comme il l’explique. À ce moment du processus créatif, Clément cherche encore à « trouver sa place » dans « cette accumulation littéraire et visuelle ». Et c’est afin de parfaire ce travail sur les réminiscences de l’enfance qu’il se décide à intégrer - en plus de la sienne - une voix-off d’enfant chuchotant, qu’il enregistre durant le tournage. « La voix a réellement renouvelé l’approche visuelle du métrage […] la narration est vraiment apparue à ce moment-là […] et le montage a aidé à la prolonger ».
Réalisé avec l’aide de Marie Bobichon, une collègue du Master de Clément, le montage a été une étape majeure dans le développement de Sorn. Il a permis de « donner une constance à tout ça, à toute cette accumulation ». Il a permis d’apporter « des éléments plus concrets au court-métrage […] et à la charge personnelle que je mettais dans cette voix […], de travailler davantage cette matière, entre le souvenir et le rêve ». À partir de ce moment-là et jusqu’à la fin du deuxième mois, Clément continuera de construire ce qu’il appelle la « cartographie intime » de son œuvre, jusqu’à trouver l’équilibre parfait, celui qui lui convient.
En définitive, je dirais donc que Sorn de Clément Herbert - ainsi que l’histoire derrière sa fabrication - est à l’image de la petite fille des contes dont il s’est inspiré ; le témoin d’un long cheminement, d’une traversée précieuse et sensible dont le chemin prend fin une fois la maison atteinte.
Propos recueillis et racontés par Sergio Nicolau.