Clément Cogitore est une sorte de Stalker. Conjointement passeur et chaman, ses films sont des essais ou des poèmes visuels et sonores très sensoriels, aux intensités variables. Ils se souviennent autant d’Andreï Tarkovski qu’ils évoquent les couches d’espaces et de temps de l’explorateur-géographe Chris Marker. En commun chez les trois cinéastes : une même volonté d’explorer la permanence des mythes, sacrés ou profanes, anciens ou contemporains. Une même capacité aussi à produire des récits ou des contes initiatiques à l’intérieur desquels les rêveries de l’enfance, territoire mystérieux et réservoir à fictions inépuisable, ne sont jamais très loin.
On pourra le mesurer, les pratiques cinématographiques de Clément Cogitore sont en mutation constante. Elles croisent différents registres (fiction, documentaire, cinéma expérimental, imagerie scientifique), se déploient sur des supports variés (photographie, musique, vidéo, installation) et intègrent de multiples régimes d’images (archives, caméra infrarouge, images thermiques, captures d’écrans, etc.). Récemment, Clément Cogitore a élargi son répertoire en enregistrant, pour la plateforme numérique de l’Opéra national de Paris, un court métrage tiré d’une partie de ballet Les Indes galantes (2017) de Jean-Philippe Rameau.
Un pied dans le champ de l’art ; l’autre dans le cinéma d’auteur. Clément Cogitore fait partie de ces artistes qui, avec les moyens du cinéma, augmentés aujourd’hui par les innovations et les apports technologiques, opèrent aux frontières du visible. Et de l’audible, car les sons – bruissements, échos, bruits parasites, musiques, voix – définissent autant des espaces physiques que des flux intérieurs, des navigations mentales instables élaborées grâce à un travail très musical d’agencement des matières. Pour pénétrer ces zones doublement incertaines, dans les images comme dans les sons (L’Intervalle de résonance, 2016), Clément Cogitore joue avec la plasticité des différents matériaux. Il les modèle et les manipule pour imaginer d’autres perceptions et ouvrir à d’autres réalités.
Pour autant les questions politiques ne sont pas exclues des recherches et expérimentations formelles. Elles sont mêmes présentes dès l’origine, en constituent le socle (Chroniques, 2006). L’exode, les migrants, l’exil, l’errance, la traque, les clandestins, la guerre : ces thèmes et leurs figures se déclinent dans un certain nombre d’œuvres (Parmi nous, 2011 ; Ni le ciel, ni la terre, 2015). La mise en scène y est alors anti-spectaculaire et le langage plutôt raréfié.
« Ceci est l’histoire d’un homme marqué par une image d’enfance. » Cette première voix qui ouvre La Jetée, le film de Chris Marker, pourrait être l’un des passeports pour accéder au(x) laboratoire(s) ou à l’atelier de Clément Cogitore. Les questions temporelles qui, entre autres, taraudaient Marker trouvent à l’évidence des traductions chez l’auteur de Bielutine - dans le jardin du temps (2011), avec ses éclairages à la bougie et ses visages enténébrés surgis d’un autre temps. Ou encore dans Braguino ou la communauté impossible (2017), à l’étrange beauté mélancolique un peu inquiète, avec sa tête d’ours décapitée et ses enfants presque muets postés au fin fond de la taïga. Cette puissance d’évocation perméable à toutes sortes d’interprétations est au cœur du travail de Cogitore. Une dimension plurielle, esthétique autant qu’humaine, que nous vous convions à découvrir.
Éric Vidal, programmateur aux Écrans Documentaires
Vendredi 10 novembre, rencontre et projections en présence de Clément Cogitore au festival Les Écrans Documentaires :
14h00
Ni le ciel ni la terre, de Clément Cogitore (2015, 100')
16h00
Parmi nous, de Clément Cogitore (2011, 30')
L'intervalle de résonance, de Clément Cogitore (2016, 23')
Les Indes galantes, de Clément Cogitore (2017, 5')
20h00
Bielutine - dans le jardin du temps, de Clément Cogitore (2011, 40')
Braguino, ou la communauté impossible, de Clément Cogitore (2017, 49')