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Billet de blog 8 novembre 2024

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CELUI QUI FAIT DES PROVISIONS N’EST JAMAIS DÉÇU // Entretien avec Philomène Debien

“Il y a aussi un truc de collectionneur, ce n’est pas qu’une histoire de business et je trouvais ça beau de le montrer.”

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Entretien avec Philomène Debien à propos de son film Celui qui fait des provisions n'est jamais déçu, sélectionné à la 28ème édition du festival Les Ecrans Documentaires. Propos recueillis et racontés par Lili-Charlotte Raud 

Peux-tu te présenter et parler un peu de ton parcours cinématographique ?  

À la suite du master Histoire et Audiovisuel, j’ai fait une recherche sur un crime raciste des années 80, sur la manière dont il a été médiatisé et j’ai collaboré en 2019 avec Nabil Djedouani, le réalisateur de Rock Against Police en mettant en images mes recherches. C’est à cette occasion que j’ai rencontré Mohammed, le personnage principal du film. Lorsque j’ai commencé à le filmer, je le prenais un peu comme un exercice pratique puis, lors du tournage, j’ai rencontré le monteur dans un collectif où l’on s’entraide pour des projets de cinéma, Dorian Liscouët. Dès lors, il m’a prêté un peu de matos, et on a monté le film ensemble dans la foulée. Pendant que je tournais ce documentaire, j’ai postulé à un atelier de réalisation qui était organisé par Cinéma 93 et le festival Côté court « l’Atelier »,  qui est une résidence d’un an pour des réalisateurs autodidactes. 

Quelle a été la genèse du film ? Est-ce le personnage ou le sujet qui t’a intéressé en premier lieu ?  

C’est un peu un mélange des deux parce que je connaissais bien Mohammed, qui est quand même un mec incroyable. Le film parle de certaines choses qu’il fait, mais en fait, il touche absolument à tout. Je l’avais connu avec des photos qui ont été utilisées dans le film Rock Against Police et pareil, ce sont des appareils photo qu’il a trouvé à la déchetterie et qu’il a appris à utiliser seul, donc il avait ce truc autodidacte assez fou. Je l’ai d’abord connu par son travail, une série de photos sur son quartier, qui a intéressé le réalisateur, puis on s’est rencontrés et on est restés amis. En allant chez lui assez souvent, il m’a initié à tout un monde de la nuit avec ces rituels de déchetterie qui m'intéressaient beaucoup. Même l’endroit était assez fascinant, ce qu’il y trouvait aussi. J’avais vraiment envie de documenter ces sorties là, et en même temps, le personnage et sa facilité à parler, son appart, son amour pour la musique, en faisait un sujet qui me plaisait beaucoup. J’ai l’impression qu’il y a 1000 descriptifs pour ce film, il y a des gens qui m’ont dit que c’était un film d’amitié, d’autres sur la débrouille ou encore l’autoformation. Pour plein de gens, ça a lancé des débats sur l’écologie, sur ce qu’on jette, réutilise, mais aussi le fait de meubler sa maison avec des choses qu’on récupère. Il y a pleins de dimensions donc je trouvais ça assez intéressant.  

Tu as réalisé ce film seule, quel impact cela a-t-il eu sur le déroulement du tournage ?  

Quand j’en ai parlé avec Mohammed la première fois de l’envie de filmer ces sorties là, c’était un peu le deal aussi, que je sois seule. Étant donné qu’il faut être assez discret, le fait d’être seule était plus simple et ça le mettait moins en danger. Donc ce premier exercice a été assez formateur parce qu’il fallait que tout marche, en même temps filmer et qu’il s’adresse à moi donc c’était une bonne expérience pour se former. J’aime bien filmer toute seule, mais à l’avenir, je me dis que ce serait pas mal d’avoir une équipe aussi pour déléguer toute la partie technique. 

Comment as-tu pensé le tournage et comment se sont finalement déroulées ces pérégrinations nocturnes ? 

J’ai tourné quatre fois entre février et mai. À chaque fois, je suis restée au moins deux jours, à la fois pour le filmer pendant la journée et pour faire une ou deux sorties à la déchetterie. On a parfois eu quelques difficultés notamment en rencontrant le froid polaire ou lorsqu’il a plu et qu’on était trempés avec le matériel et les batteries dans le froid… Donc ces quatre fois ont permis de garder les meilleures séquences, pas forcément en fonction des trouvailles, mais plutôt de son énergie sur le moment et des conditions. J’aimais bien l’idée de tourner sur un temps limité, de se donner un temps qui permet de choisir entre ce qu’il y a et non d’attendre la trouvaille du siècle.  

Dans le synopsis, c’est écrit qu’il revend ses trouvailles une fois réparées mais ça n’apparaît pas dans le film, est ce que c’est un choix de ta part au montage ?  

Je me posais un peu la question de comment le protéger, d’une certaine manière, puisque c’est illégal donc j’ai fait attention à ne pas filmer la déchetterie en grand-angle par exemple. Je l’ai filmé en train d’envoyer des colis alors qu’il ne le fait pas tout le temps, ce n’est pas 100 % de ses revenus, mais quand il a besoin d’argent, il revend les objets qu’il répare. Je m’étais dit que je ne voulais pas que ça apparaisse pour sa sécurité. La déchetterie, c’est vraiment l’endroit qu’il connaît par cœur, où lui va beaucoup seul, mais parfois, il y a des copains qui l’accompagnent. En plus, au milieu du tournage, il y a eu, pour la première fois en 15 ans d’histoire de la déchetterie, des caméras et des détecteurs de mouvements qui ont été posés. J’ai cru que ça allait arrêter le tournage, mais on faisait juste plus attention. Quelques mois plus tard, l’un de ses amis s’est fait attraper et a reçu une plainte pour recel et une amende, mais il y retourne quand même (rires).  

Il y a aussi un truc de collectionneur, ce n’est pas qu’une histoire de business et je trouvais ça beau de le montrer. J’aime bien aussi le fait qu’il connaisse la valeur de tout ce qu’il a, mais ça ne veut pas forcément dire qu’il va les revendre, il connaît la valeur des objets et aime savoir qu’ils lui appartiennent.  

On entend ta présence par moment, quelle place souhaitais-tu occuper dans le film ?  

Ça a été une vraie question au montage, parce qu’au début, je n’avais pas pour idée qu’on  m’entende. Et en fait, on comprend très bien qu’il s’adresse à moi, à quelqu’un qu’il connaît bien et donc j’ai essayé de me retirer au maximum. Mais on a discuté avec le monteur de me garder à quelques moments pour être assez juste sur le fait qu’on ait tourné ensemble et que ce n’est pas une caméra qui se voulait omnisciente. 

On se demande si la caméra utilisée n’a pas été, elle aussi, trouvée et réparée par Mohammed ?  

À un moment, ça a été l’idée parce qu’il a trouvé des caméras et je m’étais dit que ça serait aller encore plus au bout de l’idée, mais techniquement, c’était vraiment une image  très dégradée. Quand j’ai commencé à tourner, j’ai pris ce que j’avais sous la main. Je n’avais qu’un petit caméscope, puis un ami m’a prêté un HF. Je ne pensais pas garder ces images, mais ça m’a plu que ce soit filmé home-made, qu’on sente les mouvements de ma main. Puis le monteur m’a prêté sa Go-pro pour des raisons pratiques, je pouvais alors la mettre sur le vélo, escalader les murs… C’était plus simple. J’ai fait le choix de garder la plupart des images en intérieur au caméscope avec ce côté image de famille, et, à l’extérieur, la Go-pro, qui permettait de mieux distinguer les objets et de filmer dans le noir. Ces caméras sont pratiques et s’oublient vite et je ne voulais pas être cachée derrière une caméra. D’ailleurs, la toute première scène du  film, c’est la première que j’ai filmée avec lui et tout de suite, il s’est mis à parler en oubliant la caméra, ce qui a permis de le montrer comme je le connaissais.  

Quelle expérience c’était en tant que premier film et quels sont tes prochains projets ?  

Il y a un truc que je trouve marrant avec Mohammed depuis qu’on a tourné ce film, il  m’appelle souvent en me disant qu’il a fait une super trouvaille, qu’on aurait trop dû tourner cette scène… J’ai l’impression que ça lui a permis d’avoir un regard sur ce qu’il fait et ça lui a donné envie de filmer, de rendre cinématographiques pleins de choses qu’il fait maintenant. Dans quelques années, je ne sais pas où il sera, même s'il m’a dit qu’il habiterait toujours à côté d’une déchetterie, ça me plairait bien de le suivre peut-être sur d’autres sujets, pourquoi pas de la fiction. Depuis, j’ai fait l’Atelier proposé par Ciné 93 et le festival Côté-Court de septembre à juin dernier, on avait des rendez-vous mensuel avec un parrain ou une marraine qui suivait nos projets, et, dans ce cadre, j’ai travaillé sur le portrait d’un libanais qui vit à Paris et qui a survécu  il y a 10 ans à un attentat à la voiture piégée dans son quartier. C’est un film sur la rémission physique et psychologique que j’ai commencé à tourner seule, ici aussi, depuis octobre 2023. 

Propos recueillis et racontés par Lili-Charlotte Raud 

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