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Billet de blog 8 novembre 2024

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SKATEPARK // Entretien avec Annabelle Martella Fanny Chaloche

« La représentation de la campagne dans les films ne correspondait pas à notre vécu. [...] On voulait faire un film qui nous parlait à nous ».

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Entretien avec Annabelle Martella Fanny Chaloche à propos de leur film Skatepark, sélectionné à la 28ème édition du festival Les Écrans Documentaires. Par Pauline Bourrel

Ce qui m'a tout de suite interpellé, c'est que vous êtes deux réalisatrices pour ce film. Avez-vous l'habitude de travailler ensemble ?

Fanny : C’est la première fois qu’on fait un film ensemble, mais on se connaît depuis qu’on a dix ans. On s’est rencontrées dans le collège des ados qu’on a filmé, dans le Loiret. Vu qu’on se connaît depuis très longtemps, ce n’était pas la première fois qu’on réfléchissait à faire un projet ensemble.

Comment vous êtes-vous réparti le travail ?

Fanny : C’est un film qui ne s'est pas vraiment écrit avant le tournage ; il s'est beaucoup construit dans l’oralité. Pendant les moments de vide du tournage, on en profitait pour échanger nos idées. Sur la partie plus technique, j'étais davantage à la prise d'images, même si on travaillait certaines prises en amont, et c’est Annabelle que l’on entend questionner les personnages dans le film. Après chaque tournage, on revoyait les rushes et on les travaillait ensemble. On avait deux ingénieurs son qui se relayaient selon leurs disponibilités, et il nous arrivait aussi de prendre le son de temps en temps.

Qu’est-ce qui vous a donné envie de faire ce film ?

Annabelle : Avec Fanny, on vient de Châtillon-Coligny. À 18 ans, on est parties à Paris pour nos études. En rencontrant des gens de notre âge, on s’est rendu compte qu’ils n’avaient pas du tout eu la même adolescence que nous. Je me suis aussi rendu compte que ce sont ces années-là où j’ai été le plus exposée à la mixité sociale, en traînant avec des gens de milieux sociaux et d’âges différents. Ça nous a vachement travaillé pendant des années. On avait un rapport aux sorties, à la culture, aux amitiés aussi, qui n’était pas le même que les autres. On dormait très souvent chez nos amis, on devait toujours se débrouiller comme on pouvait pour sortir, on faisait beaucoup de vélo, on allait rarement au cinéma parce que le plus proche était à 20 kilomètres… Avec Fanny, on portait tous ces questionnements, que ce soit en termes de souvenirs ou de représentation. La représentation de la campagne dans les films ne correspondait pas à notre vécu. C’est ce qui nous a donné envie de faire ce film.

Comment avez-vous convaincu autant de jeunes d’accepter de se faire filmer au quotidien, à l’âge où l’on cache tout à ses parents ?

Fanny : Il y a eu cinq tournages bien distincts : en février, avril, juin, août et octobre. On restait à chaque fois entre une semaine et dix jours. Notre technique a été d’arriver directement avec notre caméra. On a exposé aux ados notre envie de faire un documentaire sur l’adolescence en milieu rural. Kim, l’une des seules filles qui traîne au skatepark, a été très emballée par le projet et nous a présenté du monde. Quand on venait, il n’y avait pas de rendez-vous imposés, on les prévenait qu’on était là pour quelques jours, et ils venaient s’ils le souhaitaient. Parfois, ils venaient juste pour discuter. Au final, on a eu très peu de refus de la part des jeunes qu’on rencontrait.

Annabelle : Il y avait aussi beaucoup de moments non filmés. On parlait de la vie ensemble, ils venaient se confier à nous. Je pense que tous ces moments informels ont permis de créer cette relation de confiance qu’on a. Le fait qu’il n’y ait pas de contrainte, c’était aussi lié à notre choix de filmer dans un lieu public, représentatif d’une forme de liberté. Aussi, on a pris le risque de ne pas demander les droits à l’image dès le début. Ce n’est qu’après le tournage qu’ils ont fait signer toutes les autorisations à leurs parents. On estimait qu’ils étaient assez responsables pour savoir s’ils voulaient être filmés ou non et que c’était une manière de les responsabiliser. 

Mais alors, comment avez-vous décidé de faire de Wido le personnage principal ? Est-ce que ça s'est fait progressivement ?

Fanny : On ne cherchait pas absolument un personnage principal. On l’a rencontré lors du premier tournage, et on a eu un coup de cœur. Il nous faisait confiance, donc il se livrait beaucoup, ce qui était intéressant pour le film.

Annabelle : C’est vrai qu’il y a toujours eu une forte complicité entre nous trois. On retrouvait beaucoup de choses de notre adolescence en lui. Il nous disait « C’est dommage que vous n’ayez pas notre âge, on aurait été amis au collège. » Avec Wido, le film dépasse les questions de l’adolescence en ruralité. C’est aussi un film sur quelqu’un qui grandit, qui a envie d’avoir des amis, de créer des liens, qui est plein d’énergie et, par moments, rempli de mélancolie parce qu’il ne rentre pas dans le groupe, il traînait donc avec plusieurs groupes différents. Ça dépasse la simple idée de parler de l’adolescence en ruralité.

Est-ce que vous visiez un public en particulier avec ce film ?

Annabelle : On ne s’est pas vraiment posé la question, je crois. On voulait faire un film qui nous manquait à nous, un film qu’on aurait aimé voir. C’est donc aussi pour les personnes qui ont eu une adolescence similaire ou qui la vivent en ce moment.

Fanny : Pour moi, ce qui est super dans ce film, c’est qu’il est universel. Chacun peut y trouver un reflet de son adolescence. Ça peut paraître cliché, mais je pense que c’est surtout des sensations qu’on transmet à travers ce film. C’est pour ça qu’une personne de 50 ans ou un ado peuvent l’apprécier, chacun peut se rappeler de son adolescence ou de cette période de la vie.

Il y a une scène du film qui m’a un peu interpellée. C’est la seule scène où la caméra pose problème. Est-ce que vous pourriez expliquer ce qui se passe dans cette scène ?

Fanny : Les ados qu’on voit au loin, c’est la bande rivale du village voisin. Pendant tout l’été, il y avait des petites embrouilles entre les deux bandes, des histoires de « gang » très fantasmées. En réalité, il ne se passait pas grand-chose. Dans cette scène, il y avait quand même une partie d’eux qui était un peu en panique, et je crois que nous aussi on se laissait prendre à leur jeu. On entend Kim qui nous dit d’éteindre la caméra. En fait, ce moment illustre bien la relation qu’on a avec eux ; on est dans leur bande, avec eux face aux autres. Si on met cette scène en parallèle de la suivante, celle où ils sont dans la voiture, en « performance de masculinité et virilité », on les titille sur leurs histoires d’amour, ça raconte à la fois notre relation avec eux, et en même temps leurs histoires et leurs fantasmes.

Comment le film a-t-il été reçu par les jeunes ?

Fanny : La première projection était en petit comité, dans un cinéma, avec l’équipe du film et les jeunes. C’était important pour nous d’avoir un temps très privilégié avec eux, de pouvoir discuter, de connaître leur perception du film. On voulait leur montrer que le résultat n’appartenait qu’à nous. Ça reste cependant la projection la plus stressante car c’est leur avis qui était le plus important pour nous. Ils ont bien accueilli le film, ils l’ont adoré et surtout, ils nous ont dit qu’ils s’étaient sentis représentés de manière juste.

Annabelle : Après cette première projection, on en a fait une autre dans le village voisin avec des habitants et la plupart des parents. Aujourd’hui, on leur donne des nouvelles du film ; certains répondent, d’autres pas. Kim accompagne beaucoup le film, elle le présente en salle, anime même des débats. D’ailleurs, elle sera présente à la projection des Écrans Documentaires ! Elle est très investie, et ça nous fait vraiment plaisir.

Propos recueillis et racontés par Pauline Bourrel

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