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Le port du masque permet aux jeunes garçons une liberté de ton essentielle pour le déroulement du film.
D’où vous est venue cette idée ?
Cette idée s’est imposée du fait du droit à l’oubli en vigueur en France, qui impose à tout média l’anonymat physique, patronymique et situationnel quant aux mineurs délinquants. Mais ce « droit à l’oubli », qui protège les jeunes gens et qui leur offre le droit à un nouveau départ dans la vie pose un énorme problème en terme de cinéma. Parce que ça fait d’eux des silhouettes,
des tâches floues, des ombres, des fantômes en quelque sorte, mais pas des personnages de film.
Donc j’avais ce désir de film, mais il fallait trouver une forme qui permette d’être au plus près des jeunes gens sans montrer leur visage. Et petit à petit l’idée est venue de leur proposer de travailler avec des masques et de leur permettre de prendre eux-mêmes possession de l’image qu’ils allaient montrer, de cette image qui leur était retirée.
Les discours des garçons semblent étonnamment matures et réfléchis sur le sens de la vie et la condition qui est la leur. Comment parvient-on à faire émerger ce type de réflexion au cours d’un tournage ?
Je ne dirais pas que le tournage a fait émerger ces réflexions chez les garçons, mais plutôt qu’il a permis de les rendre audibles par tout un chacun. Pour certains la prise de parole a émergé de discussions plus longues que nous enregistrions et dont je montais des bribes d’une fois sur l’autre pour les leur faire écouter. C’est parfois de cette façon qu’ils ont pu réaliser qu’ils avaient quelque chose de fort à dire. Et pour certains ce long dialogue repris à chaque fois que je revenais a permis de
faire tomber la colère, la rage parfois qui accompagnait ce qu’ils avaient à dire. Avec l’un des garçons on est carrément passés ensemble par l’écriture. Un autre, à l’aise à l’oral, a choisi de parler en «IN» plusieurs fois. Un autre encore a réussi à prendre la parole seulement à la toute fin du tournage lorsque nous nous connaissions mieux et qu’il m’avait accordé sa confiance.
Beaucoup de choix de réalisation semblent évoquer l’enfermement et l’isolement de ces jeunes. Pensez vous que le CEF permette une réelle réinsertion de ceux qui y séjournent ?
A l’heure actuelle il n’y a aucune étude sérieuse sur les résultats des CEF en termes de réinsertion. Ce que je peux dire c’est que les jeunes gens que j’y ai rencontrés, unanimement, se sentaient mieux en CEF qu’en prison. Et il est évident qu’ils y sont mieux qu’en prison, enfermés en cellule 22 heures sur 24. Une énorme polémique a existé à la création de ces centres et perdure encore aujourd’hui, concernant notamment le coût journalier d’un jeune placé en CEF qui est de 650 ou 700 euros, et
qui fait que beaucoup de gens se disent, certainement à juste titre, qu’avec autant d’argent on pourrait faire des millions d’autres choses en milieu ouvert avec ces jeunes gens, peut-être avec plus de jeunes, peut-être plus en amont, avant que la délinquance soit installée, et dans une durée plus longue que les 6 mois de placement proposés par les CEF.
Comme le dit l’ancien juge des enfants Jean-Pierre Rosenczveig, le mandat d’une prison est de garder le détenu par-devers lui. Une démarche éducative, en revanche, doit assumer les risques de l’éducation, et en tout premier lieu celui du refus du jeune... Ce que ne font pas les CEF. Donc les prisons qui se veulent maintenant éducatives et les lieux-dits éducatifs qui enferment, tout cela est source de confusion.
propos recueillis par Vincent Wulleman