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Pouvez-vous vous présenter ?
Je m’appelle François Robic. Je viens de l’Ariège, dans les Pyrénées. J’ai fait la Fémis en section décoration. Je n’ai pas été formé à la réalisation mais j’ai toujours réalisé des films en parallèle de manière autodidacte. Où que je sois est mon premier documentaire. Avant ça j’avais fait 3 courts-métrages de fiction.
Pourquoi vous êtes-vous lancé dans ce premier documentaire ?
Je n’avais fait que de la fiction jusqu’ici mais mon premier court métrage se passait dans le village où j’ai filmé le documentaire : les Cabannes, lors de sa fête annuelle. Les habitants y jouaient leur propre rôle et la fête était filmée dans un mode documentaire. J’adore les documentaires en tant que spectateur mais j’avais très peur d’en réaliser un. Mais je sentais que ma sœur se situait à un âge charnière au moment où j’ai décidé de faire le film, mon intérêt pour elle était grand et c’était le moment où jamais de s’y mettre. Je la trouve assez mystérieuse et opaque, j’avais envie de la filmer dans ses relations avec notre cousine et ses amis pour en savoir plus et aussi parce que je les trouvais très drôles. J’aimais bien l’idée d’essayer de réaliser un film touchant et drôle. C’est l’angle du lieu qui m’a guidé, c’est ça le sujet du film pour moi, le fait qu’ils soient tous si différents mais connectés de manière très forte en termes géographiques, ce qui crée une grande force dans les relations qui les lient.
Est-ce que le fait de filmer ses proches a ajouté des contraintes supplémentaires ?
Je n’en ai pas eu en termes techniques. Lors du tournage, j’étais tout seul. Ils me connaissent très bien. J’avais une proximité avec eux. C’était facile de passer du temps avec eux, de filmer des moments privés. Seulement, cette proximité et l’amour que j’ai pour eux m’ont perturbé quand je me suis retrouvé à devoir monter le film. Le film n’était pas scénarisé mais après le tournage, je me suis retrouvé avec une quantité d’images conséquente : j’avais beaucoup filmé, sur plusieurs périodes pendant 5 mois. J’ai dû me poser des questions de narration : qu’est-ce que j’avais envie de raconter à propos de ma sœur, des autres personnages. Il y a quelque chose de bizarre quant au fait de filmer des personnes desquelles on est proche. J’avais l’impression parfois de ne pas réussir à dire toute leur vérité, de montrer des choses qu’ils n’auraient pas forcément exposées. Et puis j’avais l’impression d’utiliser quelque chose de leur vie pour faire un film à moi. C’est une idée avec laquelle je n’étais pas toujours complètement à l’aise.
Comment avez-vous articulé les différents profils de ces jeunes, entre ceux qui partent et ceux qui restent ?
Je n’ai pas vu beaucoup de films sur des jeunes attachés à leur village d’origine comme je le suis. Le plus souvent j’ai vu le portrait de jeunes qui voulaient se barrer. Ma sœur et ses amis ne sont pas dans ce cas : ils ont un attachement à ce lieu très fort. Je trouvais que c’était un sujet de film suffisant, pertinent. Ce n’est d’ailleurs pas une question propre à la ruralité. Devenir adulte, être attaché à l’endroit où on a grandi et devoir en partir (peu importe la raison) ou alors faire le choix d’y rester, je pense que c’est un questionnement universel. La question de partir ou rester là où on a grandi se pose toujours pour tout le monde, il y a des gens pour qui, j’imagine, c’est simple d’y répondre et d’autres pour qui c’est compliqué. Pour moi c’est compliqué. Filmer ma sœur et ses amis dans ce questionnement c’était une façon de parler de moi aussi.
Un exemple : Maël, le jeune éleveur, en toute logique, il reste, il fait ce qu’il aime et il est attaché à ce village là aussi par le métier. Mais cela lui pose des questions : parfois il se demande comment ça serait ailleurs. D’un autre côté, ma sœur, c’est l’inverse : elle est partie mais elle se demande ce que ça ferait si elle était restée. Je trouve que ces allers-retours sont intéressants, c’est comme ça que l’on a pensé le film avec Dinah la monteuse. Cette question nous a guidés pour monter cette alternance entre ces différentes personnes, car il y a quand même pas mal de monde. C’était un enjeu de trouver à chacun une place, comment passer des uns aux autres.
Est-ce que vous pensez qu’il faut faire une différence entre les questions de fond que se posent ces jeunes et leurs petits tracas du quotidien, ou cela fait partie d’un tout ?
Je pense que les grands sujets apparaissent dans des petites choses. Quand Tina me parle du boulot, des transports, elle le fait de manière assez humble et précise ; elle parle d’elle-même, de façon pragmatique. Le fait de filmer et de le mettre en perspective dans un film en entier, cela pose ces questions de manière plus globale. C’est ce qui est intéressant dans les documentaires et les films en général : ce qui peut sembler petit et assez quotidien peut prendre une ampleur universelle. Je pense que toute personne qui réalise un film a envie de ça et on n’y arrive pas toujours et je ne sais pas si j’y suis arrivé cette fois-ci.
Cependant, pour monter le film, Dinah et moi ne nous sommes pas posé la question en ces termes. On a réfléchi plus simplement en se demandant avec qui on avait envie d’être successivement, dans quelle humeur. On a beaucoup cherché à alterner les tonalités, à créer de la variation entre des conversations plus profondes et des moments légers plus comiques. La question de la tonalité, je pense que c’est quelque chose de fondamental, c’est ce qui crée du rythme. J’aime en tant que spectateur que les choses s’alternent. Ici le film commence sur quelque chose de drôle puis revient sur quelque chose de plus mélancolique, s’inverse pour redevenir drôle, etc.
Cet attachement à ce village, aux montagnes, est-ce que vous vouliez le transmettre ?
Le lieu était hyper important : tous les films que j’ai faits, que ça soit des fictions ou ce documentaire, je les ai toujours tournés au même endroit et l’aspect cartographique m’intéresse beaucoup. Je trouve que dans ce film-là c’est particulièrement présent. Je suis un gars de la montagne, c’est le type de paysage que je préfère. Dans un film je trouve que la montagne, c’est à la fois un enfermement, le village est encaissé dans une vallée, mais en même temps je ne vois pas ça comme ça. Je voulais filmer des jeunes qui n’étaient pas dans une posture misérabiliste, dans un ennui et dans une volonté de se barrer. Je pense que beaucoup de personnes de l’extérieur se diraient : « Ah mais, dans ce village, à 20 ans, ça doit être terrible. On doit s’ennuyer. Tout ce que veulent les jeunes qui vivent là ça doit être partir en ville. » En fait non, ce n’est pas aussi évident que ça. Ces aprioris du spectateur, c’est intéressant de jouer avec aussi, à mon avis.
Dans la première séquence du documentaire, votre cousine dit : « Je ne sais pas ce qu’il veut de ce clip ton frère, il va être inutile ». Pourquoi avez-vous voulu garder ce clip alors ?
C’est une idée de la monteuse du film. J’avais demandé à ma sœur et ma cousine de se filmer à un moment donné parce que je pensais que ça pouvait être intéressant, un jour où je ne pouvais pas être avec elles, où elles ne voulaient pas de moi aussi. Je ne le pensais pas comme le début du film, je ne savais même pas si ça allait être utilisé. J’avais envie de poser une relation de cousines, et cette séquence me semblait être la plus appropriée pour cette relation. Elles étaient hyper expressives, libres, drôles et je pense que c’était aussi dû au fait qu’elles étaient seules. Le fait qu’elles soient filmées avec autant de modestie, par un téléphone qui tombe tout le temps, ça me plaisait. Je pense que parfois on n’a pas vraiment besoin de beaucoup plus pour être touché et intéressé devant un film.
PROPOS RECUEILLIS PAR GAËTAN THOMAS