
Agrandissement : Illustration 1

D’après ce que j’ai compris dans le documentaire, nous ne savons pas si Hydra est immortelle. Peut-être a-t-elle survécu à de nombreuses générations, sans que l’on puisse savoir quand elle est née et quand elle mourra. L’immortalité, l’un des plus grands fantasmes de l’humanité, peut-elle être attribuée à Hydra ?
Hydra ne vieillit pas. Dans ce sens, elle est immortelle. Mais elle reste un animal d’eau : mettez-la hors de son milieu et elle meurt. Ce qui fascine vraiment est la résistance d’Hydra. Coupez-la en 20 morceaux, et elle survivra. Le problème de son âge, c’est qu’il est impossible à définir. Trouvée dans la nature, les scientifiques sont incapables de définir l’âge d’Hydra : elle ne montre aucun signe de vieillissement. L’une de ses études est celle du professeur de biologie et de biologie moléculaire Daniel E. Martinez à Pomona College, en Californie. Ce professeur voulait prouver, étude à l’appui, que Hydra vieillit comme tous les autres animaux. De façon assez ironique, il a prouvé le contraire. Hydra ne vieillit pas. Selon les publications de l’étude, le taux de mortalité de Hydra est très bas. Le taux est si bas qu’il est estimé qu’un individu pourrait vivre de 494 à 3376 ans.
Ainsi, bien sûr, le documentaire invite à penser à l’immortalité. Ce fantasme de l’immortalité m’évoque le mythe de la Déesse de l’Aurore, Éos. Cette dernière tombe amoureuse d’un humain, Tithon. Mais Tithon, contrairement à la déesse, est mortel. Éos demande alors à Zeus de rendre son amant éternel, et Zeus accepte. Pendant un moment, Tithon et Éos vivent des jours heureux. Mais Éos commence à remarquer que la santé de Tithon décline. Son corps se transforme sous les effets du temps. Éos réalise alors qu’elle a accordé à son amant l’immortalité, mais pas la jeunesse éternelle. Tithon est alors condamné à un sombre destin, son enveloppe physique décline, il n’est plus rien. Pourtant il ne meurt jamais. Hydra, elle, possède la jeunesse éternelle. Elle ne vieillit pas.
Le temps est un véritable personnage de nos vies. Il est indispensable au fonctionnement de notre société, et ce depuis longtemps. Or, le documentaire se termine sur la phrase « what do they put on the cake ? » : comme Hydra ne vieillit pas, on ne peut savoir quel chiffre mettre sur son gâteau d’anniversaire. Hydra défie-t-elle notre perception du temps ?
Je suis une artiste visuelle. Une des œuvres que j’ai réalisée est Immortal’s Birthday, une photographie de la fête d’anniversaire (avec un gâteau) que j’ai réalisée pour Hydra. Sur le gâteau, j’ai mis le chiffre 8 à l’horizontale, pour qu’il imite le signe de l’infini. J’ai travaillé sur des sujets très sérieux, mais l’originalité de Hydra a été une occasion de jouer avec certaines questions et certaines notions.
Durant le documentaire, Hydra semble danser au rythme de la bande son. Elle bouge au rythme des mélodies futuristes, épurées, et parfois submergeantes. Les images et le son s’accordent de façon à hypnotiser le spectateur. Vouliez-vous transmettre au public votre fascination pour Hydra en l’hypnotisant ?
Charles Quevillon a été responsable du son. Il a composé beaucoup de pièces destinées à la danse. Il serait heureux de savoir que sa bande son fait cet effet-là. Plus j’observe et j’étudie Hydra, plus elle me fascine. Elle est si simple, pourtant les questions qu’elle pose sont si complexes. Quant à l’aspect assez submergeant du documentaire, c’est volontaire. The Problem of the Hydra fut diffusé pour la première fois dans une galerie d’art. Le but était donc de créer une œuvre visuelle devant laquelle les gens s’arrêtent. Comme Hydra, j’espère que le documentaire interpelle, intrigue.
Dans La Volonté de Puissance, Nietzsche affirme que pour créer la plus infime connaissance, les hommes doivent croire à une fausse réalité, à des individus, à du durable. Selon lui, tout repose sur une erreur volontaire et fondamentale. Or, Hydra remet en question des principes de base, que l’on croit communs et évidents. Hydra donne-t-elle raison à Nietzsche ? Ou, au moins, Hydra prouve-t-elle que, dans l’expérience humaine, très peu de choses sont certaines ?
Ce n’est qu’en croyant à une réalité communément acceptée que les hommes peuvent créer de grandes choses. Sans ces généralités acceptées par tous, l’homme ne peut rien accomplir. Si on s’y met, tout peut être remis en question, jusqu’aux concepts qui paraissent les plus simples. On accorde à la vie et à la mort des définitions simples et acceptées par tous. Pourtant, ces deux concepts peuvent être redéfinis, divisés en de multiples sous-concepts (mort cérébrale, seconde vie des donneurs d’organes…). C’est en voulant approfondir et préciser les définitions qu’elles deviennent malléables. Alors, dans ce cas, j’imagine que Nietzsche a raison. Cette réflexion m’évoque le travail d’Anil Seth, un neuroscientifique anglais qui enseigne à l’Université de Sussex. Il avance que nous hallucinons tous notre réalité consciente. Ce que nous voyons devant nous est ce que notre cerveau devine approximativement. Ce que notre conscience accepte comme la réalité est une hallucination confuse de notre cerveau. Les trompes-l’œil illustrent cette théorie. L’illusion du canard lapin en est un bon exemple. Selon ces théories, notre réalité est construite de toute pièce. Hydra, elle aussi, remet en question les grands principes établis par les hommes : la vie, la mort, le temps. Hydra résiste à tout, même aux évidences.
Avez-vous un dernier mot ?
Le film est très court, les phrases sont rapides. Je révèle très peu de choses à propos d’Hydra. J’espère vraiment que mon documentaire éveille le désir d’en savoir plus sur cet être fascinant.
PROPOS RECUEILLIS ET TRADUITS PAR SOPHIE DUCROCQ