Entretien avec Raphaële Raffort et Matthias Simonet à propos de leur film Le Dernier Soir, sélectionné à la 29ème édition du festival Les Ecrans Documentaires
Agrandissement : Illustration 1
Quelle est la genèse de votre film Le Dernier Soir ?
Matthias : Initialement, on avait en tête de faire un documentaire sur la question de l’occupation visuelle sur des territoires entre la campagne et la ville, savoir qui est présent. Typiquement Marine Le Pen et Fabien Roussel en 2022 sur les campagnes, alors qu'au centre-ville il y avait beaucoup plus de soutien pour Emmanuel Macron et la France Insoumise ; ça nous questionnait. C’est notre rencontre avec Léo qui a transformé le film, qui est devenu ce huis clos en voiture.
Raphaële : On était en plein dans la campagne présidentielle, quelques mois avant l'élection, on faisait souvent le même trajet pour aller au travail. Parfois, on passait d’une heure à l’autre et on voyait que l’affiche sur le panneau avait changé pour une autre, on a commencé à tiquer. On était assez étonnés qu’en quelques heures ça puisse changer, donc on a imaginé les personnes derrière tout ça et on s’est dit qu’il y avait quelque chose à filmer à ce sujet.
M : On s’était aussi impliqué sur la campagne de la France Insoumise et un soir, lors d’une réunion de travail, un des militants, le référent collage (Léo) raconte exactement ce qu’on s'était imaginé. Il nous a dit : « Venez vendredi soir ça risque d’être marrant ! ». On ne connaissait pas la législation et on s’est retrouvés sur ce dernier soir de collage…
Pourriez-vous vous présenter, de quelle formation êtes-vous issus, quel a été votre parcours cinématographique ?
M : Je n’ai pas de formation vraiment technique en cinéma mais j’ai fait l’option cinéma au lycée, puis un master à Poitiers en analyse cinématographique, puis j’ai rapidement monté une association d’éducation aux médias. Je suis rentré dans le documentaire assez tôt : Peter Watkins a été la rencontre amoureuse, ce qui m’a inspiré dans l’éducation aux médias libres et la place de l’image dans nos sociétés, et à partir de là j'ai eu envie de faire mes propres créations.
R : Moi j’ai fait l’option cinéma au lycée qui a été ma base pour apprendre le montage, même si on était sur cassette DV à l’époque. Après j’ai fait les Beaux Arts de Limoges où j’ai développé un travail vidéo avec ce même questionnement autour de l’image au sens propre et figuré, un peu comme dans le film finalement. Puis je me suis dirigée vers le CREADOC à Angoulême qui est un master professionnel d'écriture et de réalisation documentaire.
Comment s’est passée la rencontre avec votre couple de personnages ?
On était impliqué sur le pôle communication à LFI, et à la suite de quelques réunions préparatoires au parti LFI, un lien de confiance s’est créé avec Léo. Il nous a donné rendez-vous un soir sur un parking, au premier panneau. Il devait venir seul, on avait prévu notre tournage en fonction mais on a dû s'adapter techniquement avec Juliette. Ça s'est transformé en un portrait d’un couple de colleurs et étant nous aussi un couple de réalisateurs, on a trouvé ça amusant. Cette belle intimité s’est imposée à nous parce que finalement on ne filme pas deux militants qui se connaissent, mais un couple avec des tempéraments qui se complètent bien. On est partis avec eux, ils étaient méga speed et c’est là qu'on a appris qu’à minuit tout est fini, il devient interdit de coller. Sur le tournage c'était assez fou : on leur posait des questions, ils s'interrompaient pour se donner des directions et après ils reprenaient, ils étaient super à l’écoute malgré la tension qui montait en flèche dans l’habitacle.
Le fait de rejoindre LFI ne répondait donc pas à une initiative de repérages en vue de ce film ?
Non, finalement c’est le militantisme qui a presque devancé les repérages. On n’avait pas la volonté de faire un film partisan mais on s’est posé la question, est-ce que c’est un film militant ? Évidemment que c’en est un, ce qu’on a souhaité surtout garder c’est montrer ce combat contre l’ennemi commun qui est l'extrême droite. La constatation de la montée de l'extrême droite et l’importance du visuel dans les campagnes électorales nous ont poussés à faire le film mais aussi à nous engager politiquement, en l'occurrence avec la France Insoumise parce que c’est ce parti là qui électoralement a le plus de chance et qui est en accord avec des valeurs et initiatives qu’on soutient. Ce qu’on aime c’est questionner la place de ces images. C’est vraiment un château de sable qui se construit avec ses règles mais aussi cet engagement, ce geste un peu « républicain » d’arracher l'extrême droite qui fait du bien aussi et qui est important, sinon, s’il n’y avait pas les quelques acharnés qui tournent dans la ville, on n’aurait potentiellement que du Le Pen et du Zemmour !
Le Dernier Soir est une co-réalisation, avez vous l'habitude de travailler ensemble ? Comment s’est organisé ce travail en binôme ?
C’est notre première co-réalisation. On avait déjà travaillé ensemble pour une émission de radio libre à Angoulême où on questionnait la notion de la « valeur travail », et on a justement un projet qu’on aimerait développer autour du travail mais pour l’instant on est aux prémices de notre réflexion.
R : Au niveau de l’organisation du travail on est assez complémentaires, j’avais des bases en son après ma formation au CREADOC donc je me suis mise à la perche pour le tournage et Matthias à l’image. On s’est répartis les tâches de cette manière, ce qui n’a pas empêché pendant le tournage de se donner des indications respectivement. On a réalisé le montage ensemble, on a eu la chance d’avoir accès au Studio Off Courts en Normandie, qui nous a accueilli pendant une semaine pour faire une première version de montage.
M : Je crois qu’on a trouvé notre manière de travailler. C’est vrai que moi quand les choses sont déjà tournées j'aime bien penser global, voir ce qui fonctionne ou pas, mais je suis moins bon sur les détails techniques, de ce qui peut ou non marcher, alors que Raphaëlle va super vite sur ce point donc c’est très fluide.
On comprend que ces militants font partie d’un groupe. À quel moment avez-vous souhaité intégrer ces conversations Whatsapp et ainsi rendre cette action plurielle en nous sortant de leur duo ?
En effet, il y avait ce besoin de montrer qu’on ne suit pas juste deux allumés qui sont dans leur voiture, mais qu’il y a vraiment une organisation, que ça communique, qu’il y a un réseau, qu’il y a de la force aussi en fait. On s’est posé la question de les mettre à l’écran, mais les messages sont quand même très drôles quand on voit ceux qui précèdent et ça rajoutait de l’humour. Aussi par rapport à la temporalité du film, au fait qu’on ait ces heures qui s'affichent alors même que l’étau temporel se resserre. On avait cette volonté d’affirmer tout le poids du hors champ, très présent dans le film. C'était un bon outil pour montrer qu’ils étaient plusieurs, montrer aussi ces questions de préparation, d’attente de ce qu’il va se passer au centre-ville, et les messages nous y préparaient. On voit les passants qui regardent un peu d’un œil amusé ou qui ne prêtent même pas attention alors que nous on « joue notre vie ». Et le lendemain, on voit le résultat de cette guerre de l'image qui a eu lieu cette nuit, alors que personne ne s'en rend vraiment compte.
PROPOS RECUEILLIS PAR LILI-CHARLOTTE RAUD