Entretien avec Mathieu Sauvat à propos de son film Les Mystères de l'horizon, sélectionné à la 29ème édition du festival Les Ecrans Documentaires
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Pour commencer, peux-tu nous expliquer de quoi parle ton film Les Mystères de l’Horizon ?
C’est une histoire autour de la synchronicité. Ça parle d’une forme apparue dans mon imaginaire, qui ressemble à un petit chapeau. Dans une quête onirique, j’ai essayé de chercher cette forme sur la carte de France entre les tracés des routes nationales. J’ai trouvé un spot où elle rentrait idéalement, en Bourgogne, et j’y suis allé. À la genèse du projet, il y a une intention absurde et une envie d’aventure.
Ce qui est intéressant déjà, c’est la question de la construction narrative. En cours de tournage, tu dis toi-même à la caméra qu’il ne vaut mieux pas essayer de donner de direction à ce film, et au final tu nous racontes une histoire chapitrée, en nous guidant précisément dans son déroulé. Quand est-ce qu’est apparue la trame ?
Je ne voulais pas nécessairement faire un film au départ, je filmais juste instinctivement sans me poser de questions, avec l’impression que la caméra justifiait ma présence là-bas en Bourgogne. Grâce à Michel, le personnage principal rencontré en stop, je suis tombé sur les deux montagnes qui ressemblaient fort au chapeau de mon imagination. A partir de là, j’ai su qu’il fallait faire un film et que l’histoire aboutirait devant ces montagnes. Je savais que j’allais utiliser le chapitrage depuis la découverte, au cours de ma quête, de la prière du Rosaire. Cette prière répartit les événements fondamentaux en catégories de « mystères » : les mystères lumineux, glorieux, joyeux et douloureux. Ce classement de mystères m’a inspiré mes quatre chapitres. C’est grâce à cela que j'ai construit la trame narrative au moment du montage. J’ai trié parmi les souvenirs en images que j’avais, ceux qui m’apparaissent comme associés à la lumière, à la douleur, à la gloire et à la joie.
Tu proposes un univers esthétique très singulier : entre tes dessins, tes inventions optiques, tes collages, il y a un aspect étrangement plastique pour un objet audiovisuel. C’est un film qu’on a presque l’impression de pouvoir feuilleter, comme un carnet de voyage ou un journal intime. Peux-tu parler du lien entre ta quête et tes créations plastiques ? Est-ce que ce sont tes œuvres qui t’ont inspiré le film ou bien le film qui t’a inspiré tes œuvres ?
Il y a certaines œuvres que j’ai pensées et conçues pour le film, d’autres non mais qui s’intégraient naturellement, comme mes chansons ou bien le train-projecteur. Fabriquer des choses avec mes mains, c’est aussi une façon d’écrire pour moi. Ça me plaît plus que d’essayer d’écrire une histoire avec des mots, un exercice face auquel je dois davantage me faire violence. Je passe donc beaucoup de temps à bricoler, et filmer mes créations au fil d’une histoire c’est une façon de les immortaliser, car à l’avenir elles seront sûrement perdues.
Pour moi c’est avant tout un film souvenir, que l’on peut voir comme un collage de feuilles volantes. C’est une satisfaction de ranger ces images souvenirs et ces créations à leur place dans un seul projet. De ce projet découlent mes réflexions sur le sens des choses, le destin et le hasard. Je l’ai aussi réalisé pour moi, pour me souvenir de ce que j’ai pensé durant cette période de ma vie où j’étais étudiant.
Tu présentes dans ton film une machine que tu as fabriquée : le train-projecteur. Peux-tu expliquer le sens que tu lui donnes dans ta quête ?
C’est une machine inspirée des premiers jouets optiques. Dans toutes mes machines il y a un lien avec l’optique et le cinéma. Je me suis beaucoup intéressé au pré-cinéma, aux premiers prototypes, aux machines qui créent des illusions optiques. J’ai eu l’idée de créer un petit train qui projette des images de vie grâce à des pellicules aux fenêtres. Quand tu regardes par la fenêtre d’un train, il y a un côté très cinéma : le paysage défile, un peu comme le film de la vie d’une certaine façon. C’est très lié au sujet principal du film, le voyage. J’aime beaucoup l’idée du voyage, physique mais aussi spirituel. Dans mon travail, je crée souvent autour du concept de moyen de transport. J’ai aussi fabriqué des ailes par exemple. Et enfin, je voulais faire un petit train qui tourne aussi par envie de fabriquer un jouet. J’aime beaucoup les objets qui ramènent à l’enfance.
Tout au long de ton aventure, tu interroges beaucoup les notions de hasard et de destin au fil des découvertes. Toi qui es tombé dans cette histoire par un tas de folles coïncidences, quelle idée te rassure le plus : celle du hasard ou celle du destin ?
Mille fois plus l’idée du destin. C’est rassurant de croire au destin, surtout quand arrivent des choses douloureuses. Au fond, je ne sais pas exactement en quoi je crois, mais mon esprit est plus enclin à croire au destin par instinct de protection. Et en même temps, s’il n’y avait pas de destin et que tout était hasard, je trouverais peut-être la vie encore plus mystique. À la base j’ai une vision très rationnelle sur le cours des choses et je n’étais pas le plus sensible aux petites coïncidences de la vie, mais j’ai envie de rêver. Donc j’aime me dire que si j’observe des coïncidences sur mon chemin, c’est que ce chemin est le bon.
Tu interroges aussi finalement l’idée de ce qui est réel ou non, de l’écart possible entre ce qui est vraiment là et ce que l’on a envie de voir, et c’est intéressant de le faire à travers la forme documentaire, qui en elle-même entretient un lien ambigu à la réalité puisqu’elle la met en scène. Quel rapport entretiens-tu avec la vérité dans ton film ?
Je n’ai pas fait le film en me disant qu’il y avait une vérité, un sens, une résolution à l’enquête, une réponse. En fait, la réponse c’est qu’on ne sait pas si les choses ont du sens, si les synchronicités de la vie existent ou si on les invente, si les corrélations sont des liens du destin ou de purs hasards, mais qu’en vrai on s’en fiche, si c’est rassurant autant y croire. Ça revient un peu au pari de Pascal sur l’existence de Dieu, qui dit qu’on ne sait rien mais qu’autant y croire au cas où tu meurs et qu’il existe vraiment. La quête des Mystères de l’Horizon a pris fin d’elle-même avec le décès de Michel, mais cette forme de chapeau continue de me suivre, et même de plus en plus. La dernière fois je l’ai vu dans un nuage, à l’identique. Une autre fois à travers un champignon d’une pizza. Quand je vois ça je me dis que je suis sur le bon chemin, ça me rassure. Au pire c’est faux et j’ai envie d’y croire, même si j’espère que tout ça est un peu vrai.
Ta rencontre avec Michel a été déterminante dans ta quête et la création du film. Les relations d’amitié sont-elles différentes quand on a plus de 50 ans d’écart ?
On a tous beaucoup à gagner dans les relations amicales transgénérationnelles. Michel n’a pas été mon premier ami beaucoup plus âgé, j’ai un très bon ami qui a 78 ans. Il n’y a pas tant de différence dans notre relation par rapport à celle que j’ai avec les amis de mon âge, si ce n’est que je suis peut-être davantage à l’écoute. Ce sont des relations rassurantes qui permettent de prendre du recul quand tu es jeune. Avoir des amis plus vieux qui ont rencontré les mêmes problèmes que toi plus jeunes, et qui eux peuvent te dire pour de vrai que les problèmes passent. Par contre, je dois remarquer que mes plus vieux amis sont des hommes. D’ailleurs, dans le film je n’ai rencontré que des hommes, je m’en suis rendu compte au montage, et je me demande maintenant quelle aurait été cette aventure vécue par une femme. Quelle aurait été l’expérience du road trip, des rencontres de rue, de gares, de l’hébergement chez l’inconnu… tout ce qui a permis de faire avancer l’histoire.
PROPOS RECUEILLIS PAR MALOU MOREAU