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Billet de blog 13 novembre 2025

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VILLE LUMIÈRE // Entretien avec Joséphine Privat

La 29ème édition du Festival Les Écrans Documentaires a lieu du 14 au 21 novembre, à l'Espace Jean Vilar d'Arcueil et au Lavoir Numérique de Gentilly.

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Entretien avec Joséphine Privat à propos de son film Ville Lumière, sélectionné à la 29ème édition du festival Les Ecrans Documentaires

Illustration 1

Ville Lumière apparaît en premier lieu comme un film expérimental, assez formel. Tu peux me parler de ce qui t’a intéressée dans l’exploration que tu fais des souterrains ? 

Je ne m’étais pas du tout dit que ce serait un documentaire expérimental, je ne mettais pas forcément de mots là-dessus. Le début du travail, c'était plutôt des enquêtes très documentaires sur la région parisienne. Ce n’est vraiment pas né d’une envie formelle, c'est vraiment ce truc où j'habitais à La Courneuve, dans la banlieue nord, et il y avait plein de camions de terre qui passaient devant chez moi pour aller dans les usines de dépollution de la zone industrielle à côté, et ça m'intriguait. 

C’était le moment où il y avait tous les travaux pour les Jeux Olympiques et le Grand Paris. Je me demandais d'où venaient toutes ces terres de chantier et ce qu'on en faisait. J'avais l'impression qu'il se passait plein de choses en termes de développement urbain, d'infrastructures. Petit à petit j'ai suivi ce trajet des terres, en allant visiter des lieux, en lisant, en interrogeant des gens et au final, j'en suis arrivée à comprendre qu’une partie des terres était parfois utilisée pour combler des anciennes carrières. C'est comme ça que j'en suis arrivée aux souterrains et c’est là que j'ai découvert un peu tout cet univers-là.

Aussi, j'avais un sentiment d’enfermement dans la ville du fait qu’il y a beaucoup de surveillance à la surface, des caméras partout, tous les déplacements sont enregistrés par les téléphones et tout d’un coup, dans les souterrains, c’est le dernier endroit où il n’y a pas de caméras, pas de réseau, tu peux disparaître. Et en même temps, c’est là que transitent toutes les données, la fibre optique, il y a même quelques data centers, et du coup cette coexistence d’un endroit où ce serait possible de disparaître et en même temps où il y aurait toutes les données de la surface, je trouvais ça intéressant. 

C’est effectivement un lieu de coexistence. Dans ton film les images trouvent des échos les unes aux autres, tout s’associe : l’organique et la technique, la matière et le psychique. Comment en es-tu arrivée à cette forme plus abstraite alors que tu partais manifestement d’une réalité plus concrète ? 

C’est devenu un film sur les souterrains il y a deux-trois ans, mais avant, c’était un film qui se passait à la surface et où il y avait plein de personnages que je suivais dans la ville. J’avais demandé des aides, j’avais écrit un dossier pour que ce soit un long-métrage et petit à petit, j’avais plein de matière un peu disparate et toujours pas de production. C’est là que j’ai demandé à Clara (Chapus), la monteuse du film, un peu d’aide parce qu’il y avait trop de choses trop éparpillées.  Ensemble, à partir de la matière que j’avais, on s’est dit qu’on pouvait faire un petit film court, plus suggestif maintenant, avec les moyens du bord. 

Pourquoi, alors justement que tu es monteuse, avoir délégué le montage à une autre personne sur ce projet ? Dans ton précédent film, Sables mobiles, c’était déjà le cas. C’est quelque chose d’important pour toi ? 

Justement, parce que je sais tout ce qu’une monteuse peut apporter à un film. Pour moi, le montage ce n’est pas utiliser un logiciel, c’est vraiment une configuration d’être à deux devant des images pendant plusieurs jours ; il y a une personne qui a fait ces images et qui ne voit plus grand-chose et l’autre qui a du recul. Pour moi, ce n’est pas déléguer le montage, c’est plutôt faire le montage à deux. Je trouve que c’est un moment émouvant d’être à deux et d’élaborer une pensée commune, un langage à deux. C’est une force, beaucoup plus que d’être seule face à un ordinateur où tu peux vite tourner en rond. Du coup, j’étais super contente que Clara accepte de monter le film. Et au-delà de ça, ce film-là et tous les films que j’ai faits, ce sont des histoires d’amitié, de rencontres. Je ne prendrais pas plaisir à faire des films seule. Les films, ce sont des façons de se rencontrer autrement. Au début, je peux monter seule, les brouillons, les premières ébauches, c’est comme ça que je travaille, quand je tourne, je monte en même temps, j’essaie des trucs. Vu que je suis monteuse, je cherche le film comme ça, mais à un moment j’ai besoin d’un regard neuf. Clara a apporté plein de trucs : elle a un rythme qui lui est propre, un regard hyper singulier et important pour moi. J’étais super contente de faire ce projet avec elle.  

Dans ce film, tu es donc à l’image. Pourrais-tu me parler de la caméra que tu as utilisée ? 

J’ai filmé avec la caméra DV de mes parents. Je l’avais là mais c’est quand même un choix parce que j’ai testé plusieurs caméras. Finalement, je trouvais beau ce que rendait la DV, elle apportait une belle matérialité, de beaux contrastes. Ça me plaisait d’avoir un outil simple d’utilisation et pas précieux, un outil que je pouvais emmener dans les souterrains quand il faut ramper et que c’est sale. Je n’avais pas envie d’acheter une caméra hyper chère et de louer du matériel que je risquais d'abîmer. Finalement, ça me semblait juste de choisir ça et de faire du cinéma avec ce que j’avais sous la main. 

Finalement, comment se sont tissés les liens que tu imagines entre la ville et le corps ? Est-ce que quelque part ces souterrains, ce monde infra, évoquent la psyché même ? 

« Les données entre l’écart de tes sourcils / transitent sous la ville »

On ne s’est jamais dit qu’on faisait des liens entre la ville et le corps. Maintenant, je comprends pourquoi on peut y penser. En tout cas, dans le processus de travail, on est partis de la matière que j’avais filmée dans les souterrains. L’idée c’était de faire un voyage là-dedans. Ce film, c’est un voyage fait de plein de matières que j’ai récoltées. Et à un moment, on s’est dit qu’il y avait besoin d’un texte pour avancer là-dedans, pour donner quelques éléments. J’ai écrit le texte à partir de rêves, de mes rêves, et des rêves d’autres personnes que j’interrogeais. Je trouve que les rêves racontent tellement de notre époque. Pour moi, c’est une super matière documentaire. Il y a donc pas mal d’inconscient là-dedans pour rejoindre ton idée de psyché. Quand je composais le film, j’imaginais une personne qui habite en région parisienne, qui s’endort alors qu’il y a des travaux très forts à côté. J’imaginais que le film pourrait être son rêve, infusé par toutes les recherches que j’avais faites sur l’urbanisme, la surveillance, les infrastructures du numérique. J’ai été beaucoup inspirée par tout le vocabulaire du numérique : « le marécage de données », « les baies » dans les data centers, tout un vocabulaire très aquatique utilisé pour des notions informatiques. 

De ce fait, est-ce que tu qualifierais ton film de poétique ? 

Je n’ai jamais eu la prétention de faire un film poétique. Je vois bien que ça y ressemble et que ce mot revient chez certaines spectateurices mais ça me gêne un peu. En tout cas, je peux dire comment je fais les choses mais définir ce qu’elles sont, poétiques ou pas, je ne saurais pas trop. 

Mais j’aime bien l’idée que c’est un film où les spectateurices peuvent se raconter plein de choses et ne pas avoir toutes les réponses. Un des trucs qui m’a fascinée dans les souterrains, c’est d’aller explorer dans le noir, alors qu’on est dans un monde où il y a des lumières partout, où on a toujours un GPS qui nous dit où on est. En descendant sous terre, tu n’as plus de GPS, tu prends le risque de te perdre, tu dois faire confiance à tes perceptions, à la mémoire, aux personnes qui sont avec toi. Il y a un truc comme ça dans le film : prendre un chemin de traverse, se perdre un peu, être dans la sensation, avancer, tâtonner, découvrir de nouveaux endroits, cheminer dans des labyrinthes insaisissables.

PROPOS RECUEILLIS PAR VALENTIN CARRON

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