Les Écrans Documentaires (avatar)

Les Écrans Documentaires

festival de films documentaires

Abonné·e de Mediapart

109 Billets

0 Édition

Billet de blog 13 novembre 2025

Les Écrans Documentaires (avatar)

Les Écrans Documentaires

festival de films documentaires

Abonné·e de Mediapart

ET TOI ? // Entretien avec Olivier Praet

« Le quotidien est un espace de manifestation d'énormément d'enjeux sociétaux ! Je crois que c'est ça que le documentaire fait. À travers la toute petite histoire, il nous révèle des choses qui s'inscrivent plus largement : singulières mais qui reflètent l'enjeu que traverse le plus grand nombre. »

Les Écrans Documentaires (avatar)

Les Écrans Documentaires

festival de films documentaires

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Entretien avec Olivier Praet à propos de son film Et toi ?, sélectionné à la 29ème édition du festival Les Ecrans Documentaires

Illustration 1

Comment en êtes-vous venu à faire du cinéma ? Pourriez-vous revenir sur votre parcours ?

Je n'ai pas vraiment un parcours de vidéaste ou de cinéaste. J'ai fait des études de communication il y a longtemps et j'ai repris des études de réalisation en 2016 avec déjà à l'esprit le projet de réaliser L'abri. L'idée c'était de se familiariser, ou bien de se re-familiariser, avec les outils de la réalisation, car c'était sans doute un bon moyen de communiquer avec mon frère.

Qu'est-ce qui vous a poussé vers le genre du cinéma documentaire plutôt qu'un autre ?

C'était la situation qui a imposé cette forme et ce choix. De toute évidence, ça allait être un portrait documentaire, surtout à partir du moment où c'est un film sur un membre de la famille. J'aurais pu faire basculer ça dans la fiction mais je ne me suis pas posé la question. Ce qui s'est imposé rapidement, c'était de faire ce film seul pour créer un lien, créer un dispositif qui permette le lien. L'idée de filmer avec une équipe par exemple, ça ne faisait pas sens. C'est un projet qui s'est clôturé avec Et toi ?. On aurait pu décider de continuer à documenter le parcours de mon frère, mais il semble que quelque chose se clôture bien à la fin de Et toi ?.

C'est un véritable travail de collaboration que vous menez avec Martin, comme le montre le générique d'ouverture avec la mention « par/avec Martin Praet ». Comment ce projet de film a-t-il été accueilli par votre frère justement ? Et quelle place a-t-il pu jouer dans sa réalisation et son écriture ?

Il n'y avait pas de travail d'écriture en amont du film. Je ne me mets pas facilement à écrire avant les films. On a donc quelque chose de brut, de très spontané. J'avais une idée précise des questions à poser mais sans les avoir écrites au préalable. C'était des questions qui, dans le cadre de notre relation, m'habitaient voire me hantaient depuis longtemps. Le fait de faire le film permet de poser ces questions, qu'il m'accepte, qu'il s'approprie ce dispositif. Cette appropriation est d'autant plus intéressante et visible dans Et toi ?. Martin accueille également le film de façon variable selon l'état psychique dans lequel il se trouve, mais il est content d'avoir fait ce film.

La caméra semble parfois constituer une sorte de troisième interlocuteur auquel votre frère s'adresse. Pendant toute la première partie de votre film, vous échangez avec lui sans apparaître dans le champ. Cependant, on remarque une évolution, notamment lorsque les rôles s'inversent entre vous deux et que Martin prend en main la caméra pour vous interroger à son tour. Comment ce rapport à la caméra a-t-il été abordé dans votre travail, par vous comme par votre frère ?

Martin se prêtait facilement à l'exercice, donc il y avait quelque chose de très spontané. Cependant, l'introduction d'une caméra a forcément une incidence relationnelle... Il y avait là une intention de faire intervenir ce tiers justement. Que peut-on composer à partir de ce tiers ? Que peut- on libérer comme parole en prenant appui sur ce tiers ? La facilité de Martin à se prêter au jeu a beaucoup contribué à cette spontanéité. Quand on fabrique un film, on fait des rushes, des coupes, des choix... Ici, le choix était de faire évoluer ces rapports. On commence par un plan avec une sorte de proximité presque dérangeante et on fait évoluer cela dans une relation fraternelle, de l'intime, et c'est de ça que parle le film aussi, de cette relation.

Qu'en est-il de votre présence dans le film ? On vous voit peu dans le champ, hormis lorsque Martin prend la caméra, ou bien dans le dernier plan du film où vous êtes tous les deux attablés en train de discuter. Quelle place vouliez-vous occuper dans ce film ? Était-ce difficile de cerner la posture à avoir en tant que réalisateur, dans un projet personnel comme celui-ci ?

Je ne me suis pas vraiment posé de questions de type cinématographique, de posture de réalisateur en fait. Peut-être que ça a joué en ma faveur finalement que ce ne soit pas mon métier, de se concentrer sur ce projet spécifique qui consistait avant tout à relationner avec Martin. Ce sont des questions cependant qui, comme il y a quatre ans d'écart entre les deux films, sont beaucoup plus présentes dans le second film.

Vous parliez de la nécessité de réaliser ce film seul. Comment s'est déroulé par la suite le travail de montage qui, lui, imposait un travail d'équipe, ne pouvait être fait seul ?

J'ai travaillé avec Jean-Baptiste Perrin, un ami, pour la première partie du film, puis avec Matthias Förster pour la seconde, qui est devenu un ami aussi. Peut-être que finalement, le fait d'annoncer un film ''de/avec Martin Praet'' ne recouvre que le temps du tournage, mais pas du montage. On a passé beaucoup de semaines de montage dans le travail de ce film. Les discussions, les choix de montage qui sont aussi des choix d'auteur et de réalisation très importants, je les ai faits avec le monteur. Mais ce ne sont pas des décisions qui ont été prises avec Martin.

Peut-être qu'à ce moment, il y a une posture de réalisateur qui s'installe, moi qui ai cette casquette et Martin qui redevient plutôt un sujet du film. Après le montage, on a regardé le film ensemble pour être sûr que ça lui convenait.

Et toi ? fait directement suite à votre premier film, L'Abri, réalisé en 2016 et dont Et toi ? reprend des plans. Qu'est-ce qui vous a poussé justement à poursuivre ce projet, ce dialogue déjà entamé avec L'Abri ? Est-ce que faire un second film était déjà quelque chose que vous aviez à l'esprit au moment de la réalisation de L'Abri ? Sentiez-vous déjà que ce serait nécessaire de faire un second film ?

Ça n'était pas clair quand j'ai commencé L'Abri, mais ça s'est rapidement... non pas imposé

mais c'est arrivé rapidement dans la réflexion qu'il serait intéressant de documenter plusieurs moments. C'est ce qui a fait aussi que je suis retourné voir Martin et faire ce deuxième temps de tournage en 2020. J'ai senti que c'était le bon moment pour faire un deuxième tome. Je ne saurais pas dire que c'est le dernier non plus... Je n'en suis pas complètement sûr mais à priori la question   « Et toi ? » est désormais posée à toute personne qui regarde le film, qui regarde à travers le prisme de la caméra. Elles sont interrogées sur leur propre santé mentale.

S'il s'agissait de faire un nouveau film maintenant, je voudrais travailler sur ces questions-là : l'enjeu sociétal de la santé mentale et surtout la dégradation de cette santé mentale. Les gens vont de moins en moins bien.

Comment est-ce que l'on filme ses proches ? Il y a tout un travail d'interrogation, d'exploration dans la démarche documentaire. Vous l'avez dit vous-même, la caméra a permis de poser certaines questions, de soulever des non-dits. Est-ce que filmer un proche complique la tâche documentaire finalement ? Comment abordez-vous cette limite entre documentaire et intimité ?

Dans mon cas, j'ai l'impression que ce n'était pas une complication, non. C'était même relativement plus confortable pour moi de faire ça, plutôt que de me mettre en quête d'un autre sujet de documentaire qui aurait inclus des personnes que je ne connaissais pas. Maintenant, il y a une responsabilité qui est engagée quand on filme un proche, mais qui l'est toujours quand on fait du documentaire. C'est la question de la justesse.

Dans le cadre d'un portrait comme ça, entre frères, la question de la maladie mentale est là et elle est au milieu de la relation. Il y avait une attention portée à la manière de poser la question et qui s'est affinée. Au début, je n'étais pas très fin d'ailleurs, mais ça s'est affiné avec le temps. Il y avait une manière de poser les questions, une justesse à trouver. Ça va être visionné par d'autres personnes. Il faut donc proposer quelque chose qui ne soit pas de l'ordre d'un œil inquisiteur, du voyeurisme. C'est en ça que c'est important qu'il y ait deux temps dans le film. Je voulais que le film ne documente pas seulement une personne, mais une relation, et une relation à la maladie. Ces deux temps permettent d'éviter qu'il y ait une clôture trop importante.

C'est un film qui traite de sujets importants qui peuvent raisonner chez beaucoup de gens, qu'il s'agisse de la santé mentale, de l'isolement qui peut en découler, de la famille, de la relation à l'autre... Qu'est-ce qui vous a poussé vers ce projet finalement ? Était-ce plutôt une nécessité de poser des mots sur une situation personnelle ou bien peut-être une volonté plus large de sensibiliser le public à ces questions ?

Je pense qu'elles se rejoignent automatiquement. Dans un premier temps, le dispositif filmique m'est apparu comme un moyen de me reconnecter, d'accorder une attention spécifique à Martin, une attention à laquelle il répondait positivement. Mais dès le moment où je commence à filmer, c'est évident qu'il y a plus que cela en jeu. Surtout du fait d'être en cours de formation au moment du film : j'étais particulièrement attentif à ces questions-là car elles avaient été soulevées dans ma formation.

Il y a un passage de votre film qui m'a beaucoup touchée. Votre frère dit qu'il n'y aurait rien à filmer d'intéressant car son quotidien serait trop monotone pour cela. Mais justement, vous lui répondez qu'au contraire, selon vous, des choses à raconter il y en a plein. J'ai trouvé ça très juste. Est-ce que vous pourriez développer justement ce point ? Que permet le cinéma documentaire dans la représentation des histoires individuelles ?

C'est une excellente question à poser à des réalisateurs et des cinéastes... C'est là qu'il y a plein de choses qui se passent, qui se révèlent, dans les gestes qu'on pose au quotidien. Je suis profondément d'accord avec le fait que l'intime est politique, et je suis intéressé par cette notion d'histoire mineure. Les histoires avec un petit ''h'', toutes ces histoires qui, mises bout à bout, nous renseignent sur la société, les rapports qui sont régis et fondent la société. Je n'aurais pas envie de traiter par exemple de la santé mentale dans le rapport institutionnel à la santé mentale. J'aimerais montrer peut-être comment les enjeux de la santé mentale viennent troubler le quotidien, les gestes du quotidien.

Le quotidien est un espace de manifestation d'énormément d'enjeux sociétaux ! Je crois que c'est ça que le documentaire fait. À travers la toute petite histoire, il nous révèle des choses qui s'inscrivent plus largement : singulières mais qui reflètent l'enjeu que traverse le plus grand nombre.

Y a-t-il d'autres questions que vous souhaiteriez traiter dans un prochain film documentaire ou voire même un autre genre cinématographique qui pourrait vous intéresser ? Quels sont vos projets pour la suite ?

C'est un peu en latence. Disons que pour le moment, j'ai une sorte d'intention qui est là mais de basse intensité. Je n'ai pas écarté l'idée de refaire un film, de continuer à faire du documentaire, mais j'ai l'impression que ça va être une question de rencontre. J'allais dire ''une question d'opportunité'' mais même pas, une question de nécessité. Si j'éprouve de nouveau ce sentiment de nécessité, je pense que ça me mettra en mouvement. J'ai été en mouvement avec d'autres façons de faire, mais la caméra était plutôt éteinte.

Dans ma pratique, je me pose la question de l'impression qu'on utiliserait parfois des formes, des manières de communiquer et d'appréhender une situation, qui resteraient prises dans des dispositifs qui font qu'on a du mal à traiter vraiment ces questions. Comment traiter de la question de la santé mentale de manière juste aujourd'hui si moi-même je suis aux prises avec des formes d'angoisse, d'anxiété, d'inquiétude, qui sont notamment liées à des questions politiques, sociétales et environnementales ? Ça pose aussi une question par rapport à l'état du monde actuel finalement. Qu'est-ce qu'il s'agirait de faire en fait ? Que puis-je faire qui soit vraiment agissant ?

Je me pose un peu la question de la nécessité. Si ça m'est uniquement nécessaire à moi, ce n'est pas sûr que ce soit juste…

PROPOS RECUEILLIS PAR LAURA GOAZIOU

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.