Entretien avec Antoine Vazquez à propos de son film Pédale Rurale, sélectionné à la 29ème édition du festival Les Ecrans Documentaires
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Peux-tu commencer par te présenter et nous parler de ton parcours ?
J’ai grandi à la campagne, dans le Béarn. Concernant mon parcours, j’ai commencé par des études d’anthropologie à l’université de Toulouse. J’ai eu envie de faire des films assez tôt, pendant mes études justement. Ça a été un processus, j’ai toujours eu cet attrait pour le cinéma mais je ne me sentais pas suffisamment légitime. Il m’a fallu du temps pour m’autoriser à prendre une caméra. C’est arrivé petit à petit : j’avais fait plusieurs workshops d’anthropologie audiovisuelle, je commençais à filmer un peu des choses de mon côté. Puis arrivé en master, j’ai mené une recherche autour des vécus queer à la campagne. C’est à ce moment-là que j’ai rencontré Benoît et commencé à écrire le film parallèlement. J’ai ensuite intégré l’École documentaire de Lussas avec ce projet, les prémisses de Pédale rurale…
Dans Pédale rurale, tu dresses le portrait de Benoît, un jeune homme vivant en Dordogne. À travers lui, tu explores la réalité d’une personne queer en milieu rural. Comment est né ce projet et comment s’est déroulée ta rencontre avec Benoît ?
C’est pendant mes études que j’ai rencontré Benoît via une amie en commun. Les recherches que je faisais en anthropologie étaient un peu un prétexte pour m’intéresser à la question des existences queer en milieu rural, question qui m’est aussi très intime. J’avais besoin de comprendre ce que j’avais vécu, mais aussi pourquoi c’était impossible pour moi de me figurer que cette existence était possible. Lorsque j’ai rencontré Benoît, l’enjeu de ma recherche est alors devenu l’enjeu du film. L’une des contraintes que l’on subit en tant que personne queer qui grandit à la campagne, c’est que l’on n’a aucun modèle, aucune représentation. Il est difficile de s’imaginer qu’il est possible de vivre dans cet environnement, et la fuite vers la ville se présente comme seule échappatoire. Benoît, lui, avait investi cet espace à sa manière, il avait créé une sorte de refuge, un lieu de liberté absolue. Je me suis dit qu’il fallait que je le filme dès cette première rencontre. Non seulement parce que son univers est unique, mais aussi parce qu’il incarne quelque chose dont on a manqué.
De quelle manière ton projet de recherche de départ s’incarne-t-il dans le récit de Benoît que l’on découvre à l’écran ?
Une des intentions du film, c’était de rompre avec l’imaginaire que l’on a autour de la campagne et de montrer que oui, c’est possible d’y vivre en tant que personne queer, que ça peut être heureux et lumineux. Je voulais proposer une alternative à l’imaginaire de la fuite vers la ville. Évidemment que ce n’est pas facile, il y a des contraintes spécifiques en milieu rural : peu d’anonymat, un contrôle social qui y est fort du fait d’une interconnaissance forte. Tout le monde connaît tout le monde, de manière plus intime qu’en milieu urbain. Mais en fait, c’est facile nulle part d’être queer.
L’expérience de Benoît permet de sortir du récit victimisant et misérabiliste qu’on peut entendre autour des vécus des queers ruraux. Au moment où je le rencontre, il a déjà construit son paradis et inventé ses propres stratégies de résistance. C’est une personne entière, très créative et très alignée avec ses désirs. Mais il y a un endroit qui reste en tension au moment de revendiquer sa queerness, justement parce qu’il est seul et isolé. Notre lien, l’aventure du film et surtout sa rencontre avec ce collectif que l’on voit se construire l’amène petit à petit à trouver la force de se rendre visible. Il sort de l’isolement, il trouve une communauté d’auto-soutien et peut alors politiser son identité. C’est un mouvement que l’on retrouve souvent dans le parcours des personnes queer : sortir de l’isolement en trouvant ses espaces et sa communauté pour enfin se sentir légitime d’exister.
On te voit intervenir, apparaître et participer dans le film. Est-ce que c’était important pour toi d’être présent à l’écran plutôt que de garder une démarche purement documentaire ?
Je me suis toujours imaginé comme un personnage en hors-champ, je voulais qu’on m’entende interagir avec Benoît et peut-être à des moments me raconter aussi. C’était important pour moi que l’on puisse me situer et situer notre lien, qu’on cherche ensemble, que c’est aussi une trajectoire qu’on fait à deux. Il a fallu ensuite trouver un équilibre au montage pour raconter ce lien en filigrane sans prendre tout l’espace de la narration. On reste sur Benoît, c’est son histoire que l’on raconte. C’est aussi sa rencontre avec un groupe qui est l’objet du film mais c’était important pour moi d’être quelque part, que l’on comprenne que le fait de faire ce film a aussi une incidence sur le réel.
Dans ton film, on suit l’organisation de la première Pride du Périgord vert. Savais-tu comment allait se dérouler le tournage en avance, ce que tu allais filmer et la finalité ?
Pas du tout. Je filme le réel, rien n’est mis en scène dans cette histoire. Mais j’avais écrit le film en imaginant une trajectoire qui partirait de l’intérieur, de ce paradis, de l’intime pour aller vers l’extérieur, vers l’espace public, vers le politique. C’était l’idée du film, cette trajectoire. C’était même mon fantasme qu’on organise cette Pride et c’est arrivé quelques années plus tard. Et quelque part, le fait de faire ce film, ça a participé à mettre en lien les gens, à impulser une dynamique collective. La difficulté pour moi ça a surtout été de tenir sur le long terme, de garder le désir du film durant toutes ces années.
J’imagine qu’avec autant de matière, il faut faire certains choix au montage. Comment as-tu articulé tout ça ?
C’est vrai que c’est quand même cinq ans de tournage et j’ai tout filmé. Au moment du montage, j’ai eu du mal à trouver la bonne distance. Mais comme j’avais une trajectoire initiale claire, on savait d’où on partait, où on allait et ce qu’on allait raconter.
Céline, la monteuse, a fait un travail incroyable. Ce qu’il fallait trouver surtout c’était l’équilibre entre l’espace de Benoît, notre relation et la Pride. Je voulais que le film soit organique, que l’on comprenne que la campagne n’est pas seulement un décor, que Benoît entretient un lien fort avec ce qui l’entoure. La nature est très présente et elle est aussi le lieu où résonne la parole de Benoît qu’on a alors le temps d’assimiler pour aussi se raconter sa propre histoire.
En fait, le film porte une mission en quelque sorte : proposer de nouvelles perspectives pour la communauté queer à la campagne ?
Oui effectivement, je voulais tenter, avec le film, de proposer de nouvelles représentations puisqu’il en existe très peu, ce sont des existences invisibilisées. Mais je ne voulais pas du tout rentrer dans une rhétorique victimisante. Bien sûr, ça fait partie du parcours des queers de la campagne de galérer, comme tous les queers. Mais je voulais que le film soit solaire, qu’il puisse proposer une alternative à cette vision-là. Et finalement il raconte que c’est possible de construire des communautés, de trouver des ressources. La création d’une Pride à cet endroit montre que c’est même nécessaire. Il y a un vrai besoin de se trouver, de pouvoir exister ensemble et sereinement.
J’ai également pensé le film comme un outil à destination des personnes concernées, je voulais qu’il puisse servir aux personnes queer isolées. Qu’il puisse leur dire qu’il est possible de se rencontrer et d’exister dans ces espaces.
Je le vois aujourd’hui pendant les projections : c’est primordial que le film parle aux personnes concernées, qui ont vécu ces expériences-là. J’espère que le film peut être un soutien.
J’ai aussi remarqué qu’il résonnait chez des personnes qui ne sont pas du tout concernées, qui ne sont pas dans la communauté. Le film ouvre un espace de réflexion autour de ces questions-là pour des personnes qui, peut-être pour la première fois, réfléchissent à ces enjeux.
Tu as des nouvelles de Benoît et du groupe ? Y a-t-il eu de nouvelles éditions de la Pride ?
Avec Benoît on se voit toujours, bien sûr. Il accompagne la vie du film.
Concernant la Pride, ça fait trois ans maintenant que ça existe. C’est une Pride itinérante donc elle change de village tous les ans. C’est devenu assez important comme événement pour toutes les personnes du coin. Ça s’est aussi pas mal « radicalisé », en tout cas c’est ce que j’ai ressenti à la dernière édition. Il y avait moins cette appréhension, cette peur d’organiser l'événement, de se rendre visible. Et Benoît est très investi maintenant, il est central dans l’organisation. C’est aussi chouette de se dire que le film a quelque part contribué à la création de l’évènement. Le désir était là, la nécessité était là, il fallait juste un vecteur. Et maintenant, il constitue aussi une archive de la rencontre de ce collectif et de la première Pride.
Ton film circule dans de nombreux festivals et projections : peux-tu nous parler de la suite de son parcours ?
Il va encore tourner pas mal en festival et faire des avant-premières jusqu’à la fin de l’année. Et nous avons enfin une date pour la sortie salle, elle est prévue pour mars 2026 !
PROPOS RECUEILLIS PAR ELIA PAUVERT