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Entretien avec Jules Rouffio à propos de son film Bye Bye Benz Benz co-réalisé avec Mamoun Rtal Bennani, sélectionné au festival Les Écrans Documentaires
Comment est né chez vous le désir de faire ce film ?
Le projet est à l’origine un projet photographique que Mamoun et moi avons fait il y a cinq ans. En 2017, je suis allé travailler au Maroc et c’est à ce moment-là qu’on s’est rencontrés tous les deux et qu’on a commencé à prendre des photos.
On a fait le constat que les voitures de taxi disparaissaient petit à petit, alors on a commencé à faire un reportage photographique puis une exposition en 2020. On avait aussi fait quelques images vidéo et un producteur était intéressé. Nous ça nous donnait déjà envie depuis longtemps de raconter l’histoire du point de vue d’un chauffeur. On s’est lancés et on a fait ce petit reportage. Par le reportage photo, le but était de figer dans le temps les voitures qui étaient en train de disparaître, qui partent à la casse sans être recyclées. Par la vidéo, nous voulions donner la voix à un chauffeur.
Comment s’est faite la rencontre avec le chauffeur du film ?
Ça s’est fait simplement. Quand je suis au Maroc, je prends beaucoup le taxi. Le casting s’est fait de façon sauvage, en parlant aux gens et en écoutant leurs histoires. On en a trouvé un qui a accepté de se faire filmer, de raconter son histoire et qui avait des choses intéressantes à dire. Il se posait la question de changer de taxi. Il était donc la cible parfaite pour l’angle de notre reportage.
Quel regard portez-vous sur ce métier ? Quelle est son importance ?
Les chauffeurs de taxis sont très importants pour le pays, ils conservent un rôle indispensable pour la mobilité. Au Maroc, la voiture individuelle n’est pas accessible à tout le monde. Les grands taxis interurbains s’adaptent à un besoin des habitants n’ayant pas une offre de transport suffisante. Ils suivent des lignes, un peu comme un minibus. Si on enlève les taxis, une grande majorité des habitants serait complètement isolée. Par exemple, quand je travaillais au Maroc, j’étais à la campagne dans une ferme. Je n’avais pas de voiture, c’était pour moi le seul moyen d’aller en ville.
Qu’est-ce que la décision du Maroc en 2014 (de renouveler le parc des grands taxis interurbains) raconte selon vous ?
Quand j’ai commencé à vivre au Maroc, il y avait des vieux taxis et seulement quelques nouveaux. J’ai vu le changement s’opérer. En tant qu’utilisateur de taxi, le changement m’allait très bien. Les voitures récentes sont plus sécurisées, il y a plus de place, chacun a sa ceinture. Mais à côté de ça, j’ai un petit brin de nostalgie. Ces vieux taxis étaient là depuis quarante ans, ils ont d’abord tourné en Europe, puis au Maghreb et auraient probablement terminé leur vie dans des pays plus au Sud où les normes techniques des voitures sont moins strictes. Le programme instauré par le Maroc avait pour but de moderniser le pays.
Ce film est comme un hommage à ce modèle de taxi. Est-ce que c’était comme ça que vous l’aviez envisagé ?
Quand on tournait le film en 2020, de nombreux chauffeurs avaient déjà un nouveau taxi. Ceux qui avaient encore leurs vieux taxis étaient fiers de ne pas avoir changé. Ils avaient aussi moins de clients parce que les gens préféraient monter dans des voitures plus récentes. Les raisons étaient aussi financières - l’achat d’un nouveau taxi représentant une somme importante avec des réparations plus chères que celles des anciens taxis.
En y retournant il y a deux ans, j’ai appris que le chauffeur de notre reportage avait changé pour un nouveau taxi. Avec ce documentaire, on a réussi à garder une mémoire de cette voiture qui est, pour beaucoup, le symbole d’une époque. Beaucoup de gens ont fait plein de choses avec ces voitures : des voyages, des rencontres, etc. Ils sont nostalgiques même s’ils sont aussi contents que le Maroc évolue.
Enfin, pouvez-vous raconter ce qui vous a amené au film documentaire ?
On avait déjà commencé à filmer pendant notre travail photographique mais on n’avait pas forcément le temps et l’argent. Puis on a eu cette opportunité. On ne voulait pas que ce soit trop long, ni mettre trop notre patte et diriger des acteurs. Le reportage c’était pour nous le moyen le plus simple de se lancer dans la réalisation de notre premier film.
Aujourd’hui je continue mon travail sur d’autres sujets selon le même mode opératoire : d’abord en commençant par la photographie avec comme principal objectif, de trouver des gens à qui on ne donne pas souvent la parole. Que ce soit à travers la photo ou la vidéo, le but est de leur donner de la visibilité.
PROPOS RECUEILLIS PAR JULIETTE KAPRÉLIAN