Les Écrans Documentaires (avatar)

Les Écrans Documentaires

festival de films documentaires

Abonné·e de Mediapart

94 Billets

0 Édition

Billet de blog 16 novembre 2023

Les Écrans Documentaires (avatar)

Les Écrans Documentaires

festival de films documentaires

Abonné·e de Mediapart

DANS LE SILENCE ET DANS LE BRUIT // Entretien avec Hadrien Mossaz et Clément Roussier

"Avec [les résidents], on a cherché à construire ensemble un vocabulaire où chacun pouvait rentrer dans le film comme acteur et non pas comme sujet de documentaire. On voulait que la caméra ne soit pas intrusive." Hadrien Roussier et Clément Mossaz

Les Écrans Documentaires (avatar)

Les Écrans Documentaires

festival de films documentaires

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1

DANS LE SILENCE ET DANS LE BRUIT // Entretien avec Hadrien Mossaz et Clément Roussier

Entretien avec Hadrien Roussier et Clément Mossaz à propos de leur film Dans le silence et dans le bruit sélectionné au festival Les Écrans Documentaires

Est-ce que vous pouvez vous présenter et expliquer votre parcours? 

Hadrien : J'ai fait des études de lettres. Ensuite, j'ai été maraîcher pendant deux ans, puis j'ai rejoint Clément sur le film que l'on a fait sur deux ou trois ans. 

Clément : On peut aussi dire qu'on est frères. Moi, j'ai travaillé dans le cinéma pendant huit-dix ans comme comédien et scénariste. Il y a un peu plus de trois ans, j'écrivais avec Brieuc Carnaille, un film de fiction, Le soleil de trop près. Au moment où on l'écrivait, j'ai eu envie de me rapprocher d'une clinique. Ils ont accepté que je vienne une première fois pour les rencontrer, puis une deuxième. Et ensuite j'ai commencé à animer un atelier là-bas, qui était ouvert aux patients volontaires  Puis, avec Hadrien, on a poursuivi le projet ensemble. Et de l'atelier est né le désir de faire le film.

Est-ce que vous pouvez présenter le film ?

Hadrien : Le film, c'est une démarche un peu sensationniste (NDLR : philosophie qui considère les sensations comme la source de nos connaissances). Il représente le temps qui s'écoule dans la clinique bien que ce lieu ne soit pas vraiment défini. L'idée était de donner à ressentir à l’écran ce temps arrêté, de reproduire notre expérience dans ce lieu, ce qu'on a pu observer et entendre pendant les ateliers.

Clément :  De toutes façons, on ne voulait pas traiter de la clinique en tant qu'institution. Le film est né ainsi de l’atelier avec les résidents. Avec eux, on a cherché à construire ensemble un vocabulaire où chacun pouvait rentrer dans le film comme acteur et non pas comme sujet de documentaire. On voulait que la caméra ne soit pas intrusive. Il y a principalement des plans arrêtés, fixes relativement éloignés. Le but était de lutter contre l'imagerie viscérale de la psychiatrie. L'histoire s'est trouvée petit à petit. Le film montre, entre autres, une jeune femme qui habite ce lieu-là et qui, à un moment, va être en situation de le quitter. Elle trouve dans ces petits instants d’échange, un abri face à ce qu'elle a défini au début comme étant la violence du monde. Mais l'abri, ce n’est pas tant la clinique que les gens qui l'entourent. 

Pourquoi avez-vous fait le choix de donner peu d'informations, de brouiller ce qui caractérise ce lieu et son aspect médical ?

Hadrien : Ça vient déjà d’un commun accord avec les personnes de l’atelier qui ne voulaient pas qu'on traite de ça. C’est aussi parce qu'on voulait aller à l’encontre du tropisme de beaucoup de documentaires tournés dans ce milieu, qui se focalisent là-dessus.

Clément : Le film ne prétend ni raconter la clinique comme lieu de soins, ni montrer des témoignages sur ce que peuvent être des expériences de personnes atteintes de troubles psychotiques. Pour construire le film, on a créé des séries de situations. On a décidé de suivre Clémence, comme une sorte de fil rouge. La voix off, qui est venue dans un deuxième temps, pose cette idée de la violence du monde sans dire que la clinique offre  une alternative ou un rempart à cette violence. Ce qui nous a beaucoup marqués là-bas, c'est le rapport au temps complètement changé, les notions de durée ne sont pas du tout les mêmes. La plupart des gens qui viennent habiter dans ce lieu n'ont aucune idée de quand ils vont en sortir. Certains y vivent depuis 30 ans. Notre attente impatiente que certaines choses arrivent, explose d'un seul coup, dans cet endroit. Et c'est ce temps suspendu, qui a dicté la façon dont on tournait les scènes et le montage.

Ce rapport au temps particulier se retrouve effectivement dans vos longs plans fixes qui font penser à des tableaux. Pouvez-vous nous parler de votre manière de filmer en prenant le temps ?

Clément : Nous avons imaginé en effet des tableaux dans lesquels on rentre toujours in medias res. Il n'y a pas d'entrée, de sortie de champ, pour qu'on soit directement à l'intérieur comme s’ils étaient pris sur le vif. Dans certains film sur la psychiatrie, que j'adore par ailleurs, il y a un truc parfois assez systématique : une caméra portée à l'épaule, très proche, l'image tremblante qui vient redoubler le tremblement intérieur du patient. Nous avons préféré recourir aux plans fixes pour définir un cadre de jeu et recréer cette illusion du moment, sans conclusion, pour rester dans une forme de flottement. Il y a aussi un principe de pudeur qui était très important pour nous. 

Ce rapport au temps apparaît aussi dans le travail du son et la large place accordée aux silences… 

Clément : On a pris le parti au montage de rester dans ces silences-là parce que pour nous, ils constituent le lieu. Et c'est quelque chose qui nous a frappé là-bas parce que nous sommes habitués à parler, c'est comme ça qu'on entre en relation avec les autres. Pendant les déjeuners à la clinique, les tables étaient complètement silencieuses, c'était très déroutant. On a tous le réflexe un peu primaire de vouloir aller chercher les gens en les questionnant mais ça ne marche pas toujours. Il y a quelque chose de l'acceptation du silence aussi. C'est pour ça qu'il est dans le film. C'était important pour nous de ne pas donner l'illusion qu'il se passe ou qu’il se dit toujours des choses. En fait, il y a des éléments significatifs qui passent autrement, de manière moins frontale, moins verbale. Après une projection dans la clinique, un des pensionnaires a expliqué qu'il retrouvait dans le silence du film ce qui était, pour lui, le silence de la clinique, c'est-à-dire, un silence d'écoute.

Concernant la mise en scène, comment avez-vous affronté ces moments où il ne se passe pas grand chose ? Est-ce que vous avez suggéré des activités aux personnes que vous filmiez ? 

Clément : On avait la responsabilité de ne pas se montrer intrusif, de ne pas chercher à venir prendre des choses que les gens n'avaient pas forcément envie de donner. Grâce à l'atelier, cet espace de travail prédéfini entre nous, il n'y avait pas de surprise, ça ne passait pas par une intrusion dans l'intime. Donc, toutes les scènes sont fabriquées. Soit on les a élaborées collectivement lors de l'atelier, soit c'est des choses qui sont nées de nos observations. On tentait aussi des associations entre personnes qui n’étaient pas forcément proches. Il y avait toujours une discussion préalable sur ce qui allait se passer au moment du tournage mais les mots étaient les leurs. 

Hadrien : Oui, c'était des improvisations dans des situations qui avaient été préalablement établies. 

Pouvez-vous parler du dispositif que vous avez mis en place avec certaines personnes du lieu en leur donnant une petite caméra? 

Hadrien : On avait laissé circuler cette petite caméra DV à l'intérieur du lieu pour qu’il y ait une continuité, malgré la coupure entre les ateliers. Lorsque nous n’étions pas là, les pensionnaires pouvaient s'en saisir pour filmer. On s’en est servi pour créer un pendant à la narration dans le film.

Clément : C'est aussi un truc sur lequel on s'appuyait dans les ateliers parce que ça permettait d'abord que chacun s'empare de la narration. C’était un autre moyen d'accéder au lieu, d’y rentrer, de le regarder. On n’était pas certains d’emblée qu'on s'en servirait dans le film, mais on savait qu'il y avait des images qui nous plaisaient beaucoup. Et c’est avec le monteur que leur place s’est trouvée.

Qu’est-ce qui vous intéresse dans la folie ? 

Clément : A partir du moment où vous passez du temps avec quelqu'un, c'est parce qu'il y a quelque chose en lui qui provoque un écho en vous, qui allume quelque chose. C’est une question difficile parce qu’il y a beaucoup de souffrance aussi. Certaines personnes trouveront peut-être le film un peu froid, justement parce qu’il ne répond pas à l’idée habituelle que les gens se font d’un film sur la psychiatrie. Il y a des documentaires géniaux, qui sont tout à fait aux antipodes de ce que l’on a fait, qui recueillent des témoignages bouleversants, qui s’intéressent plus à l’histoire personnelle des uns et des autres. Mais ce n’était pas le film qu’on voulait faire. Face à la souffrance que la folie peut occasionner, j’ai trop de respect vis-à-vis des personnes pour avoir envie d’en tirer quelque chose qu’ils ne seraient pas pleinement disposés à donner. C’est ça qui a dicté la forme et l’histoire de notre film.

PROPOS RECUEILLIS PAR CLARA BEST

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.