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Billet de blog 16 novembre 2023

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EN COMMUNAUTÉ // Entretien avec Camille Octobre Laperche

"Au moment du tournage j’étais claire sur tous ces éléments du portrait, de l’espace, de la direction du film, mais au montage j’ai un peu redécouvert le film et c’est là que tout s’est dessiné, que j’ai réussi à appréhender toute cette matière, filmée sur quatre ans."

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EN COMMUNAUTÉ

Entretien avec Camille Octobre Laperche à propos de son premier long-métrage documentaire En Communauté, sélectionné au festival Les Écrans Documentaires

Est-ce que tu peux commencer par te présenter, parler de ton parcours ?

 En communauté est mon premier film. Avant ça, j’ai étudié le cinéma à Lyon et un échange universitaire au Chili. J’ai fait une spécialisation en documentaire de création. J’avais déjà fait un court-métrage, De velours et de verre, dans un atelier à la fac, mais c’est avec ce film, qui était à l’origine mon projet de fin d’étude, que je fais réellement mes débuts. Il a beaucoup évolué depuis le master 2, j’ai commencé le tournage à ce moment mais je l’ai poursuivi bien après mes études.

La première chose qu’on se dit, quand on découvre ton film, c’est que le sujet est incroyable. On n’a pas l’habitude de voir à l’écran une communauté de religieuses en reconversion, et toi tu réussis à les capter dans un moment décisif de leur vie. Est-ce que tu peux nous raconter la genèse du film ? Comment les as-tu rencontrées ? Comment tu t’es intégrée dans cette communauté en tant que réalisatrice ?

En fait, elles organisaient avant des concerts dans leur chapelle et mon père est allé sonoriser un de ces concerts et il m’a parlé de cette communauté. Elles avaient déjà le projet de quitter l’institution, de vendre leur monastère. J’ai été séduite par leur histoire, j’ai eu envie de les rencontrer et de faire un film. Je me suis dit qu’il ne fallait pas perdre ça. Je leur ai parlé de ce projet de fin d’étude et elles ont été très curieuses. Je n’ai pas commencé à filmer immédiatement, j’ai pris le temps de les connaître, j’allais les voir deux week-ends dans le mois et je restais dormir sur place pour aller vers une sorte d’immersion. A ce moment j’ai commencé à réaliser des entretiens mais sans caméra. Je les enregistrais pour les faire entrer dans ce dispositif de discussion, car je savais que je voulais des portraits individuels dans le film. Il y a vraiment eu ce temps d’observation, de repérage ou j’étais avec elles tout le temps, pendant les repas, les soirées. À ce moment il y avait quand même une urgence, déjà parce que c’était mon projet de master donc j’avais des échéances à respecter, mais aussi l’urgence du film en soi parce qu’elles étaient censées partir rapidement. Je les ai rencontrées fin août 2018 et elles devaient partir en janvier. Comme j’avais envie de capter des moments de vie là-bas, j’ai vite commencé à filmer.  Finalement, leur départ a duré plusieurs années, et le film aussi.

Tu étais toute seule à filmer ou vous étiez en petite équipe ? Qu’est-ce que votre présence a provoqué dans leur microcosme et dans ce moment de transition de vie ?

On était deux. Au début il n’y avait que moi et puis après j’ai introduit mon copain. J’ai pris le son et il a fait l’image et le montage. Je pense que notre présence est devenue importante pour elles aussi, elles me l’ont dit plusieurs fois. Le film a permis de créer cette sorte de bilan de parcours, il a provoqué cette conversation commune sur le départ et tout ce que cela implique, cette remémoration des trajectoires individuelles aussi. Elles ont été intéressées par ce projet car il a été l’occasion d’un moment très important de discussion qui ne serait peut-être pas advenu de cette manière sans le film. C’est vrai qu’elles discutent quand même beaucoup entre elles, il y a une vraie notion de partage dans la communauté, mais le film a sans doute été un moyen d’approfondir cette parole.

Elles parlent, elles se racontent et racontent leur parcours qui les a mené à cet instant, cette décision de changer de vie. Et dans le même temps, il y a une vraie narration filmique, le récit amène progressivement le spectateur vers le départ, comme si lui aussi était dans ce mouvement, cette transition, cet état de passage. Comment as-tu réussi à écrire le film en suivant un temps long – quatre ans - et mouvementé, comment as-tu procédé aux choix de construction ?

Le film se construit en deux parties. D’abord, ce moment de bilan, principalement sous la forme d’entretiens, puis le départ en tant que tel. J’ai su très tôt que le film devait aller d’une sorte d’enfermement, d’une vie assez austère qu’elles ont pu connaître, dont elles m’avaient déjà parlé dans les entretiens individuels, vers une ouverture. C’était très clair. Il devait y avoir cette ligne dans le film, pour faire comprendre au spectateur leur mouvement de la vie religieuse à une vie plus civile, de l’intérieur vers l’extérieur, du silence à la parole. C’est cela qui a guidé le film. Ensuite, cette transition s’est aussi faite au montage. La structure du film n’était pas évidente, et au montage on s’est rendu compte qu’il était primordial de prendre le temps de bien décrire le passé, de se mettre du côté de la parole des sœurs. . Au montage on est allé vers une sorte de dépouillement, et j’ai compris qu’on avait besoin de sentir leur passé et tout ce qu’il représente de difficultés en termes d’enfermement, pour comprendre le chemin qu’elles ont pris aujourd’hui, ce mouvement vers le quotidien.

C’est vrai que le film parle en même temps du collectif, du politique, de la communauté, de la sororité, mais aussi d’histoires intimes et particulières de la vie, du rapport à la foi. Le mouvement vers l’extérieur est aussi un mouvement vers le monde, les gens, une foi moins déprise du réel. Il y a un réel engagement dans cette réinvention de la vie, à cet âge, et comment tu l’as vécu toi, en tant que jeune femme et jeune réalisatrice ?

C’est vrai que c’était pas évident pour moi, c’était une vraie question. Quelle est ma légitimité à faire ce film ? Je suis jeune, je n’ai pas beaucoup d’expérience cinématographique, je n’ai jamais eu d’éducation religieuse. Je me suis posée beaucoup de questions sur ma place dans le film. Finalement, je me suis rendue compte qu’elles étaient tellement jeunes, dynamiques que je n’ai pas senti d’écarts entre nous. J’étais curieuse de leur histoire en allant à leur rencontre, et j’ai vite trouvé une proximité, par leur manière d’être et par leur projet. Ce qui m’a étonné c’est que finalement on ne vit pas si différemment que cela les unes des autres. L’aspect politique et de sororité m’a touché a posteriori, mais ce vers quoi je voulais aller à la base c’est cette notion de réinvention. Cela s’est dessiné au moment de notre rencontre, le premier moteur de l’histoire. Ensuite, je les ai trouvées super inspirantes, j’ai compris toute l’importance de la parole dans cette réinvention, et qu’il allait falloir explorer cette parole dans le film. C’est à la fois ce qui a permis cette réinvention puisqu’elles vivaient dans le silence (même entre elles la communication était difficile, elles s’écrivaient des choses sur des bouts de papier), et ce qui a permis la construction du film. Par exemple, comme j’étais plus au son dans les portraits, j’ai sans doute davantage porté attention à cette parole, c’était plus facile de la travailler. Il fallait être attentive à la durée, les laisser parler longtemps, avoir le temps de revenir sur des choses, de répéter, d’expliquer. En quatre ans, la parole a aussi eu le temps d’évoluer en même temps que le film.

Tu parlais d’un travail d’épuration, mais c’est sûr que le travail a dû être très important après quatre ans de parole, de dévoilement. Comment faire des choix pour arriver à un film de 40 minutes ?

Oui le matériel était très dense à la fin du tournage, la post-production n’a pas été évidente. Mais c’est ce qui a rendu intéressant aussi le processus de montage. On a regardé tous les rushes, on a noté tout ce que disaient les personnages. On  avait des carnets entiers de parole, de texte et ensuite on est allé vers l’épuration en surlignant dans chaque moment ce que disait tel personnage qui pourrait être intéressant, en quoi ça peut faire écho à ce que dit un autre personnage. Il y avait l’idée que le montage mette en relation les paroles de chacune pour faire le récit de la communauté dans sa globalité. On a coupé jusqu’à trouver une ligne directrice qui comprendrait en même temps une évolution, une sorte de libération par cette parole. C’est ainsi que le film s’est également dessiné.

Pour finir, est-ce que tu as des nouvelles des sœurs depuis que tu as terminé le film, est-ce qu’elles ont trouvé une colocation, est-ce qu’elles vont bien ?

Oui, elles ont bien déménagé, d’ailleurs j’avais filmé une autre partie qui se passe là où elles vivent actuellement, mais on ne l’a pas gardé au montage. Elles vivent une vie qui finalement ressemble un peu à celle qui se déroulait sur la fin au monastère. Ce départ, c’était plus une libération symbolique de l’institution, une bonne fois pour toute, parce qu’elles vivaient déjà de manière très détachée et libre durant les dernières années au monastère. Ce qui a été très important, et qu’elles sont en train de vivre actuellement, c’est le fait de quitter la campagne pour aller habiter à Saint-Étienne. C’est plus simple de se déplacer en bus, comme dans la dernière scène du film, pour aller vers des évènements culturels, associatifs, ou politiques, pour aller vers les gens, le monde. Et c’est vraiment cela qu’elles recherchaient dans leur réinvention : les relations humaines.

PROPOS RECUEILLIS PAR ADÈLE BERNARD

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