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Entretien avec Xun Sero à propos de son film Mamá, sélectionné au festival Les Écrans Documentaires
L’entretien a été mené en espagnol et traduit par Thalie Alvestegui.
Salut Xun, est ce que tu pourrais tout d’abord te présenter et expliquer quelle place le cinéma a dans ta vie ?
Salut, mon nom artistique est Xun Sero. "Xun" signifie Juan dans ma langue, qui est le maya tzotzil, et "Sero" est un complément qui m'est venu quand j'étais plus jeune. Je voulais me consacrer au rap, alors j'ai pensé que Xun Sero sonnait plutôt bien (rires).
Le cinéma, curieusement, ce n'était pas quelque chose qui m’intéressait initialement. Mon intérêt principal reposait sur le fait de voir le cinéma comme un moyen de communication, un outil pour atteindre un public plus large avec les thèmes que je traite principalement : la violence vécue par les peuples autochtones, comme le racisme. Je pense que les formats de reportage ont une fonction principale de dénonciation, et le cinéma m'a alors permis d'explorer d'une autre manière la richesse et la beauté des personnes. Dans le cas de Mamá, c'était la beauté d'une femme Tzotzil, sa force et sa dignité qui m’intéressait. Le cinéma est maintenant essentiel dans ma vie, je sais que je veux m'y consacrer, et je continue à étudier pour en apprendre davantage sur la réalisation cinématographique.
Je travaille également dans le journalisme au Chiapas, où avec d'autres amis, nous créons nos propres médias à travers des collectifs. Mon premier collectif de communication s'appelle K’uxaelan, ce qui signifie "Comment ça va ?" en tzotzil. Bien que je fasse du cinéma, c'est tout de même un processus à long terme. Mamá a pris six ans, et ma prochaine réalisation est déjà en cours depuis quatre ans. Il est donc important de ne pas négliger l'urgent, et le format de reportage est quelque chose avec lequel je suis constamment en contact.
Comment t’es venu l’idée de réaliser le film Mamá ?
Ce film a été réalisé dans le cadre de l'école de cinéma documentaire de San Cristobal, une initiative très précieuse visant à créer des espaces de formation cinématographique là où il n'y en a pas, comme au Chiapas. Actuellement, nous lançons le troisième long métrage issu de cette école qui sera présenté à Amsterdam. Mamá est l'un de ces trois films. Nous avons remporté 14 prix pour ce film et avons été sélectionnés dans 43 festivals internationaux.
Quand je me suis inscrit à ce diplôme de cinéma documentaire, je suis entré sans projet en tête. J’ai alors commencé à écrire mon histoire personnelle sur les mères célibataires. Ma mère et ma tante sont toutes les deux des mères célibataires, et beaucoup de femmes autour de moi le sont également. Je voulais alors explorer comment cette situation était influencée par ce que nous appelons le patriarcat. Mon intérêt s'est développé en 2016 lorsque j'ai commencé à m’intéresser à la pensée féministe, en particulier celle du féminisme communautaire. Mamá est un film qui, bien qu'il raconte l'histoire d'une famille tzotzil, aborde également le machisme dans la société mexicaine.
Ta mère t’avais déjà raconté son histoire avant de réaliser ce film ?
Ma mère m'avait déjà raconté des fragments de son histoire, mais je voulais en savoir plus. Je dois reconnaître que le film est davantage un intérêt personnel. C'est un intérêt plus de Xun que de Hilda. C'est parce que je voulais comprendre d'où je viens et pourquoi je suis la personne que je suis. Je crois que la société nous a mal éduqués. La société dit que si nous sommes des personnes qui vivons la violence, nous reproduisons naturellement la violence. Et je pense que pendant une grande partie de ma vie, j'ai été très violent. Je voulais alors comprendre pourquoi. Et je voulais aussi savoir s'il y avait un moyen de rompre ce cycle de violence. Bien sûr, il y en a un. Il est important de ne pas continuer à reproduire la violence et de ne pas dire « j'ai un passé violent et c'est pourquoi je suis comme ça ». C'est donc cette quête qui m'a motivé à dire à Hilda, ma mère, que nous devrions faire ce film. Bien sûr, je devais la convaincre d'une autre manière. Si je lui avais dit que c'était un intérêt personnel parce que j'ai un traumatisme psychologique, je pense que cela n'aurait pas fonctionné. Je lui ai dit qu'il était important de parler de la violence que vivent les femmes pour éviter que cela ne continue à se produire. Pour que dans le futur, cela soit de moins en moins fréquent.
A-t-il été difficile de convaincre ta mère d’être filmée ? Qui est ce qui filmait ?
Hilda a accepté de faire le film parce qu'elle connaît mon travail journalistique. Elle sait que je travaille sur ces sujets parce que je pense qu'ils sont importants pour changer les sociétés et les cultures. Ce qui n'a pas été facile, c'est que le tournage a duré six ans. C'était quelque chose qui devait être négocié constamment. À tel point qu'elle me demandait parfois quand je finirais le film. C'était compliqué, mais aussi beau, car elle a assumé le rôle de productrice de son propre film. Elle a été souvent chargée de demander la permission de filmer à mes tantes, qui ne voulaient pas être filmées, qui ne voulaient pas avoir la caméra près d'elles. Ma mère était celle qui négociait.
Quant aux images, je pense que 50% des images sont de moi et les 50% restants sont partagés avec d'autres photographes. La principale indication était que nous devions toujours être cet enfant qui pose des questions à Mamá, cet enfant curieux. Nous cherchions toujours le regard de la mère, l'interaction visuelle, pas seulement verbale avec la mère. Hilda a vu le film au fil des six ans et a réfléchi à laisser son histoire figée dans le film.
L’introduction d’une caméra dans votre intimité a-t-elle changé quelque chose dans votre relation ?
Ce changement a modifié notre manière de communiquer. Je pense que nous parlons avec moins de timidité à présent. Ma mère, au fil du temps et des années, s'était forgée une carapace qui lui permettait de se défendre, mais qui l'empêche d'être communicative. Souvent, lorsqu'il s'agit d'exprimer ses émotions, elle les bloque et continue d'agir comme si nous étions des enfants de dix ans qu'elle renvoie dans leurs chambres. Lorsque je lui parle en tant qu'adulte, elle réagit en disant « pars dans ta chambre ». Et parfois, j'arrive à lui faire dire ce qui lui arrive. C'est le grand changement.
Est ce que Hilda a vu le film ? Y a-t-il eu une projection dans votre communauté ?
Elle a vu le film et vu différents montages au cours des six années parce que j'ai dû refaire plusieurs fois les interviews, car, en tant que mère, parfois elle ne me donnait pas des réponses très développées. Parce qu'elle sait que je sais. Lorsque vous demandez quelque chose à quelqu'un et que vous savez qu'elle connaît déjà la réponse, vous ne développez pas bien la réponse ou vous dites, "ah, tu sais déjà." Alors j'ai dû lui montrer différents montages pour lui expliquer pourquoi il était nécessaire de développer davantage un sujet. Mais nous n'avons pas organisé de projection dans la communauté car ma mère ne le souhaite pas. Parce que la société mexicaine n'est pas encore prête à parler du féminisme, du machisme, de la question du genre. Cela nécessite beaucoup de travail. Les sociétés de son âge, elle a maintenant 53 ans, sont encore très fermées sur ces sujets. Une préparation approfondie est nécessaire. De plus, comme le film est très intime, cela serait pour elle comme donner un élément de plus pour que les gens continuent à parler d'elle, et elle ne le souhaite plus. J'ai envie de projeter le film, mais plutôt dans des écoles, avec des jeunes de notre communauté et de notre culture, car je pense qu'il y a là une possibilité plus grande de réflexion qu'avec les adultes.
Pensais-tu que la nourriture aurait un rôle aussi important dans ce film ?
En réalité, non. La cuisine était l'une des choses que j'évitais toujours. En 2015-2016, je réfléchissais aux récits et à l'importance de représenter les femmes en dehors des espaces communs où on les enferme souvent. Mais j'ai réalisé que dans ma culture, la cuisine symbolise la force et la connaissance. Ainsi, quelque chose que j'essayais initialement d'éviter est devenu ce lieu de refuge. Un lieu de rencontre privé, intime, réflexif et aussi de mémoire. Pour Hilda, l'élément le plus important est le savoir qui lui a été transmis par sa mère, ses grands-mères, ses ancêtres. Ce savoir, plus que la nourriture en elle-même, est le savoir de soutenir la vie de ses propres mains, et il est présent dans tout le film. Depuis la récolte du potiron, de la chayote, du maïs, des haricots. Depuis la préparation des tortillas. Tout cela, je le ressens comme la force féminine.
Comment as-tu organisé ton travail de montage ?
J’ai eu la chance de pouvoir réaliser ce film avec plusieurs personnes. J'ai un monteur, Nicolas Défossé, et nous avons commencé à travailler dès le début ensemble. Je montais certaines séquences et les lui passais. Mon monteur adore voir tout le matériel, même si je choisis certaines séquences il examine tous les rushes. Grâce à lui, j'ai découvert des choses qui n'étaient pas écrites. Il me faisait des suggestions d’exploration.
Quel effet ce film a eu sur toi ? Et de quoi parlent tes prochains films ?
Je pense que j’ai découvert que je peux raconter des histoires. Actuellement, je réalise mon deuxième film. Et j'écris une fiction. Cela m'a donné confiance en moi. Et sur le plan le plus personnel, je pense que je me suis immiscé dans une complexité existentielle plus grande, en me demandant quel genre d'homme je suis, comment je me suis construit et quel type d'homme je veux être.
Ma deuxième œuvre cinématographique traite du racisme. Il s'agit d'un long métrage documentaire qui porte actuellement le titre "De aspecto indígena". Ces mots sont repris d'un média de la ville de San Cristóbal, utilisés pour décrire l'apparence de criminels. L'histoire concerne deux personnes qui ont été emprisonnées, l'une âgée de 18 ans et l'autre de 13 ans. Elles ont été emprisonnées, certains diraient par erreur, mais ce n'était pas une erreur. C'est une pratique courante à San Cristóbal ou au Chiapas de penser que certaines vies valent moins, comme celles des peuples autochtones qui sont considérées comme inférieures. Lorsque le système judiciaire est incapable de trouver les responsables d'un crime, ou s'il ne veut pas les arrêter à cause de la corruption, ils utilisent la vie de personnes qu'ils considèrent comme inférieures pour dire qu'elles sont coupables et les emprisonnent. Je veux parler de pourquoi les sociétés ont cette idée que certaines vies sont plus importantes que d'autres. Parce que nous, les Tzotzil et les Mayas, sommes considérés comme valant moins. Mais c'est aussi un film qui veut projeter la beauté d'être Tzotzil, d'être Maya Tzotzil.
PROPOS RECUILLIS PAR THALIE ALVESTEGUI