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Billet de blog 17 novembre 2023

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« En attendant les robots » // Entretien avec Natan Castay

Entretien avec Natan Castay à propos de son film En attendant les robots sélectionné au festival Les Écrans Documentaires. « Le but était de montrer ce qu'Amazon met en place pour nous déshumaniser tout en essayant de reconnecter ces gens-là entre eux, avec une forme d'optimisme et d'humanité. »

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Entretien avec Natan Castay à propos de son film En attendant les robots sélectionné au festival Les Écrans Documentaires

Pour commencer, quel est ton parcours et quelle a été la genèse du projet ?

Je m'appelle Natan Castay et je viens présenter mon premier film En attendant les robots. Je suis belge, né à Bruxelles et j'ai réalisé ce film dans le cadre de la fin de mes études à l'IAD, en Belgique. Dans mon école, pour nos travaux de fin d'années, on attend généralement plutôt une fiction de quinze minutes, mais finalement je me suis dirigée vers une forme plutôt documentaire inspirée de mon expérience. J'ai découvert le site dont je parle, "Amazon Mechanical Turk" pendant le confinement parce que j'ai perdu mon boulot d'étudiant dans un restaurant. Je suis tombée par hasard sur ce site où des tâches à faire sont proposées par des particuliers via Amazon, comme par exemple flouter les personnes sur google maps. Je voulais absolument faire un film documentaire dessus, mais qui s'est aussi finalement mélangé à la fiction. 

Comment as-tu trouvé l'équilibre entre fiction et documentaire ?

Pour écrire ce film, je me suis d'abord appuyé sur mon expérience personnelle de Turker. Puis j'ai voulu rencontrer des gens. Parce que le principe du site, c'est que face à des millions de personnes dans le monde, il n'y a aucune raison de chercher à parler entre travailleuses et travailleurs. Nous étions tous éclatés, il n'y avait aucune raison de communiquer entre nous. Il n'y a pas de bureau, pas de structure, pas de management. Mon idée a donc été de rencontrer d'autres travailleur-euses : j'ai contacté des ami-es qui pouvaient m'aider à traduire, et c'est comme ça que j'ai trouvé la plupart des protagonistes que l'on retrouve dans l'écran de l'ordinateur. 

L'idée du comédien, Harpo Guit n'était pas évidente tout de suite, je l'ai rencontré assez tard. Il y a plusieurs raisons au choix de prendre un comédien pour tourner des scènes fictionnelles. Déjà, pendant l'écriture du film Amazon a fermé le site en Europe donc ce n'était plus possible de filmer des personnes travaillant ici et comme on n'avait pas d'argent, on ne pouvait pas se permettre d'aller plus loin que la Belgique. Je connaissais pas Harpo mais mon parrain à l'école, Emmanuel Marre (Rien à foutre, 2021) m'a mis en contact avec lui. J'étais assez méfiant au début parce que je m'étais lié d'amitié avec les gens de mon film en travaillant avec eux et j'avais peur qu'il y ait une distance entre eux et lui. J'avais l'impression qu'il y avait beaucoup de comédien-nes qui voyaient ça de très haut, avec un regard très européen sur ce type de boulot mais Harpo n'a jamais dans le jugement de valeur et ça correspondait à ce que je voulais : être à l'intérieur du travail. Il avait une curiosité presque naïve et enfantine sur comment ça marche, qui fait apparaître les tâches etc. Ensuite, je l'ai présenté à mes collègues que j'avais rencontrés en ligne. On s'est enfermé en toute petite équipe dans une chambre et il a commencé à travailler comme ça, en dialoguant par visio avec les autres protagonistes. L'idée de recréer un bureau qu'Amazon qui n'existait pas. 

Il y a quand même des gens qui travaillent comme ça, en allumant leur webcam, mais ce n'est pas du tout la majorité. J'ai rencontré des centaines de personnes pour le film qui travaillaient comme Trucker et  90 % des gens que je rencontrais me disaient que j'étais le premier autre Trucker qu'ils rencontraient. Je sais qu'il y en a dans mon quartier, je sais qu'il y en a dans ma ville, mais on ne se voit pas. 

La raison principale de la présence d'un comédien dans le film était hyper basique : je ne pouvais plus filmer Amazon normalement en Belgique. Mais finalement la fiction est devenue aussi un ressort éthique : je connais mes protagonistes seulement par webcam et je trouvais ça un peu indécent de les mettre au premier plan du film. Je trouvais que la distance était plus intéressante. Le personnage d'Harpo permettait aussi de faire éponge et aussi d'illustrer des centaines de témoignages que j'ai eu, dont le mien aussi. 

Comment s'est passé l'apprentissage pour le comédien ? Et la rencontre avec les autres protagonistes pour réussir à avoir une relation humaine dans un cadre de travail particulier ?

S'il avait des questions techniques au début, le comédien les posait directement à ses collègues via les webcam et le chat, pas à moi. Ça a duré quand même assez longtemps, on s'est enfermés un mois au total je pense. Petit à petit, les discussions ont dérivé sur les goûts, les amitiés humaines et la relation s'est créée comme ça. Pour le tournage, on divisait la journée en deux. La moitié avec des entretiens, la partie conversation qui dépendait des fuseaux horaires. On a essayé de revoir les mêmes personnes, d'où le choix d'en choisir que quelques-uns, pour vraiment approfondir la relation. Le reste de la journée, on faisait des plans un peu plus fictionnels d'Harpo seul. 

J'ai vraiment aimé cette manière de travailler hybride, entre la fiction et le documentaire. On était une toute petite équipe/ quelqu'un a l'image et au son. Ensuite, j'ai beaucoup travaillé seul avec la monteuse. Même si je refais de la fiction, je trouve ça hyper intéressant : c'est une manière de faire à fond que j'aime beaucoup.

Comment ça s'est passé au niveau de la réception du film ? Est-ce que tous tes personnages l'ont vu ?

Oui, je l'ai envoyé à tout le monde. Il a été bien reçu notamment par Marie, la Britannique ou Glenn, le pasteur américain. Ils étaient contents. Le film a eu beaucoup d'impact sur les brésiliens aussi, la famille avec qui je suis devenu très ami. On a même reparlé de faire un film de fiction ensemble. Celui qui m'a étonné, c'est Phil, de qui j'étais le plus proche. Il ne m'a pas répondu pendant longtemps. J'ai eu peur qu'il ait mal pris le film mais il m'a écrit une lettre pour me dire que le film avait eu beaucoup d'impact sur lui. Ce qui est intéressant, c'est que ce n'était pas des comédiens, ils étaient libres de dire ce qu'ils voulaient. Avec Phil, par moment, je me disais "il a oublié le dispositif filmique et l'équipe derrière" mais en fait il me dit dans la lettre que non, tout était très conscient de sa part et il avait vraiment l'intention de faire passer des messages. Et c'est très fort je trouve, que ça lui ait permis de faire ça. 

C'est assez curieux parce que souvent, quand on pense au travail sur Internet, on pense plus au travail des cadres et des start-upers. Mais finalement, on ne s'intéresse pas trop aux petites mains derrière toutes ces tâches qu'on pense faites par des robots. C'est un truc hyper laborieux, de travailler pour quelques centimes

Quand tu as commencé à écrire ton film, tu avais cette question de l'I. A. en tête ? 

Maintenant, la question l'intelligence artificielle est l'hyper présente. Ce n'était pas trop le cas au début du film. Cela fait partie de mon sujet mais je n'ai pas voulu me concentrer non plus que sur ça. Quand je travaillais dans Trucker, ce n'était pas du tout au cœur de mes réflexions : j'ai vécu beaucoup plus vécu la relation entre les gens devant moi. Je n'ai pas vraiment voulu faire un film sur l'I. A. J'en ai beaucoup regardé et il y en a des super, mais je les trouve toujours trop froid, presque un peu voyeuriste. Je n'ai pas envie de juste observer un phénomène sur Internet mais j'avais la volonté de vraiment rencontrer les gens, de faire un film sur des humains. Sur des millions de personnes, ça reste un métier de marginaux : ce sont souvent des gens qui sont handicapés moteur, ou qui ont fait de la prison par exemple. Le but était de montrer ce qu'Amazon met en place pour nous déshumaniser tout en essayant de reconnecter ces gens-là entre eux, avec une forme d'optimisme et d'humanité.

PROPOS RECUEILLIS PAR RACHEL RUDLOFF

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