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Quel est votre parcours ? Comment le film est-il né ?
J’ai fait le master documentaire réalisation à LUSSAS en 2012, où j’ai tourné mon premier film. J’ai travaillé ensuite comme assistante de production et j’ai réalisé Slow-ahead en 2015, produit par le G.R.E.C. J’ai ensuite monté des films de plusieurs camarades de promo puis j’ai fait la formation d’Anita Perez « L’atelier de montage » et de fil en aiguille je suis devenue monteuse. Le montage est donc mon activité principale et à côté j’expérimente des formes courtes. J’ai tourné Le passage du col en 2019. Si j’ai pu réaliser ce film, c’est parce que je fais partie de laboratoires de cinéma argentique (l’ETNA et l’Abominable) qui m’ont donné les outils pour travailler la pellicule. Au sein de l’ETNA, à Montreuil, je fais partie d’un collectif féministe non mixte : La Poudrière. C’est au sein de ce collectif que j’ai rencontré les personnes qui m’ont accompagnée sur le film.
Le fait que le film soit tourné en Super 8 et en 16mm, c’est donc lié au fait que tu évoluais dans ces associations ?
Oui complètement. Si je n’avais pas connu ces lieux, je ne me serais jamais dit que c’était possible de faire un film en argentique. Surtout, la première fois que je suis passée devant la caméra, c’était avec le collectif La Poudrière. On tournait en Super 8 et en 16mm. On était dans un travail de réflexion et de pratique : comment se représenter ? Comment représenter nos corps de femmes ? Qu’est-ce qu’on veut montrer de soi ? Comment montrer nos corps, nos imaginaires, nos représentations ? Tout ça s’est fait en argentique. Ça m’a donc semblé évident de faire le film en pellicule, entourée de personnes rencontrées dans ce collectif.
Par ailleurs c’est la découverte des images du MLAC (Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception) qui a fait germer l’idée du film. Ces groupes de femmes ont beaucoup filmé dans les années 70 : des séances de gynéco, d’avortement, d’auscultation avec le speculum, de pose de stérilet… Une des filles qui était à La Poudrière, Anna Salzberg était en train de travailler sur un film, Le jour où j’ai découvert que Jane fonda était brune, et a retrouvé dans ce cadre des archives du MLAC, en Super 8. C’était une source d’inspiration. Sans vouloir faire un remake, il y avait plutôt l’idée de s’inscrire dans l’histoire des représentations des luttes féministes. J’ai vu ces images en 2018 et en 2019 je devais changer mon stérilet. J’appréhendais car la pose de mon premier stérilet avait été extrêmement douloureuse. Entre-temps, j’ai fait une rencontre qui a été le déclencheur du film. J’ai pris rendez-vous par hasard avec la sage-femme Léna Alembik, qui est dans le film. Ma première consultation avec elle, pour un suivi gynéco « banal », m’a bouleversée parce que c’était la première fois qu’une soignante était autant à l’écoute, m’expliquait tout ce qu'elle allait faire et me demandait si j’étais d’accord avant chacun de ses gestes. Tout cela devrait être normal bien entendu mais c’est loin d’être la norme pour autant. J’ai découvert à 30 ans une approche médicale du corps où la patiente est active, informée, décisionnaire. Je suis persuadée que si j’avais vu les images du MLAC dans mon adolescence, je n’aurais pas eu à attendre aussi longtemps.
Justement dans ces films des années 70, il y a un aspect militant qui s’articule avec un côté didactique (quand la sage-femme explique l’intervention, montre le stérilet, le col utérin en plastique…). J’ai l’impression qu’il y avait aussi cette volonté explicative dans ton film.
Je n’étais pas dans une démarche de film pédagogique, mais je voulais que le film puisse apprendre des choses aux gens. Le film s’inscrit aussi dans une démarche militante, même si ce n’est pas ce que je mets en avant. Je fais d’abord un film. Cependant, la manière dont le film est né, les gens avec qui il est tourné et ce désir de faire connaître ce qu’il se passe dans un cabinet de gynéco font du film un geste militant.
Je voulais mettre en scène un rendez-vous médical qui se passe bien. Un.e médecin, normalement, explique ce qu’iel va faire, donne la possibilité à la personne qui consulte de poser des questions et se doit de requérir son consentement éclairé avant d’agir. Il fallait donc développer cette partie « explications » et le moment d’échanges entre la soignante et la patiente. Tout devait être très clair et explicite, parce qu’on devrait toujours avoir accès à ces informations. C’était pour les spectateur.ice.s, mais c’était aussi pour montrer que ça devrait se passer comme ça. J’avais aussi la volonté de montrer ce qu’est la position d’auscultation gynécologique et ce que voit la sage-femme à travers le spéculum, c’est-à-dire l’intérieur du sexe et le col de l’utérus. Je n’avais jamais vu cela auparavant et j’imagine que c’est le cas de beaucoup de personnes qui ont un vagin.
Comment les dialogues ont-ils été écrits ? Y a-t-il eu un processus de co-écriture avec la sage-femme par exemple ?
Non, la sage-femme était en improvisation. Je lui posais vraiment les questions et elle m’expliquait. Je ne connaissais pas moi-même les réponses. Quand j’ai reçu la boîte du stérilet, j’ai un peu halluciné, elle était vraiment énorme. Je lui demandais donc réellement ce qu’il y avait dedans. C’était la situation qui était écrite, j’ai provoqué les dialogues.
Il n’y a pas vraiment eu de répétition. Elle est comme ça dans sa pratique, elle explique ce qu’elle va faire et ce qu’elle va utiliser comme outils. Et moi à présent, comme patiente face à n’importe quel soignant.e, je demande. J’ai compris que c’était légitime de demander ce qu’il va se passer et pourquoi. On jouait la séance chacune dans nos propres rôles.
En revanche, j’ai écrit ce que je voulais dire sur la pose de mon précédent stérilet, quand je parle de la violence médicale que j’ai subie. J’avais un peu préparé parce que j’avais peur d’être super stressée. J’étais d’ailleurs assez tendue à ce moment-là.
Tu as choisi de te mettre en scène dans ce rendez-vous. Pourquoi avoir fait ce choix ? Est-ce que tu aurais pu choisir quelqu’un d’autre ?
Pour moi ça ne pouvait pas être quelqu’un d’autre. Ça fait partie de l’intention du film de montrer que la personne qui est filmée et dont on voit le corps est la personne qui choisit la manière dont son corps est montré. C’est quand même l’idée d’avoir prise sur la représentation de son corps, de son sexe, et sur le déroulé d’un rendez-vous médical. C’est donc très important que la patiente soit la réalisatrice et que ça soit montré dans le film.
Tu as gardé dans la bande-son plein de moments où l’équipe discute alors que la caméra ne tourne plus, des moments de relâchement entre les images de l’intervention médicale. Est-ce que c’était pensé dès le début, ou c’est venu plus tard, par exemple au montage ?
Au moment du tournage j’avais demandé à la preneuse de son de tourner entre les prises. C’est ce qu’on avait l’habitude de faire à La Poudrière. À chaque fois il y avait des choses assez intéressantes, parfois un peu drôles, qui sortaient. Je lui avais donc demandé de continuer à enregistrer entre les prises, mais je ne savais pas vraiment comment j’allais l’utiliser.
Par contre j’avais déjà l’idée de faire exister l’équipe d’une manière ou d’une autre dans le film. J’avais même pensé filmer l’équipe pour montrer le corps collectif qui travaille. Il n’y a que des femmes à la technique et sur le plateau. C’est important pour moi de le dire. J’avais envie que ça soit présent dans le film. Le mettre à l’image, ça aurait emporté le film ailleurs. J’ai donc trouvé l’idée du son et du noir au montage. L’idée était de faire exister ce corps collectif qui soutient la patiente-réalisatrice, et de montrer que ça se passe dans un cadre assez doux. Très concentré mais assez joyeux, on discute, on rigole.
Et c’était aussi clairement au montage qu’il y a eu l’idée d’étirer un peu le temps, pour préparer les spectateur.ice.s à recevoir le gros plan du sexe. Dans la première version je n’avais pas mis de noir. Tout s’enchaînait, ça allait vite et c’était un peu brutal. J’ai alors commencé à mettre du noir pour qu’on comprenne qu’on s’achemine doucement vers ce lieu-là. C’est aussi là qu’on comprend très bien que la patiente est la réalisatrice. C’est elle qui dit « on la refait », « on y va », « action ! ». Ça montre qu’elle a prise sur ce qui se passe, et je crois que ça permet aux spectateur.ice.s d’accepter l’image du gros plan.
Le fait que l’équipe soit féminine, c’était important ?
C’était une évidence de travailler avec des personnes en qui j’avais confiance et avec qui j’avais déjà expérimenté le fait d’être filmée, c’est-à-dire les personnes de La Poudrière, qui est un collectif non-mixte. Donc oui c’était assez évident, et même je n’ai pu faire ce film que grâce à la présence de ces femmes-là. Je n’aurais jamais pu demander à un.e inconnu.e de me filmer. Je devais avoir confiance dans le regard de l’équipe, et je devais me sentir très à l’aise pour me mettre en scène de cette façon-là.
Comment s’est passé le tournage ? Comment l’équipe était-elle composée ?
Pour le 16mm, il y avait deux cheffes opératrices : Frédérique Menant et Carole Grand. Pour le Super 8 il y avait une cheffe op, Agnès Perrais. Il y avait une preneuse de son, Perrine Michel. Dans le cabinet, on était six en tout, avec la sage-femme et moi. Lors du tournage pour la scène de fin, c’est Delphine Voiry-Humbert qui a fait la prise de son. J’ajoute que mon compagnon a fait la doublure lumière avant le tournage. Il s’est donc installé les pieds dans les étriers pour qu’on règle les projecteurs… Une expérience que j’invite tous les hommes à faire une fois dans leur vie.
Concrètement une des cheffes opératrices 16mm a filmé le début du film, au bureau, et l’autre a filmé la partie à la table d’examen. La cheffe opératrice Super 8 tournait les contre-champs (plans d’écoute) lors de la scène du bureau et les plans sur la sage-femme (vue depuis la position de la patiente) ainsi que les gros plans sur mon visage dans la seconde partie de la consultation. Certaines ne voulaient pas être du côté du sexe lors du tournage, elles se sont donc positionnées du côté de ma tête. J’avais posé la question en amont à chacune, sur ce qu’elles voulaient voir ou ne pas voir. Le tournage pouvait aussi s’arrêter si ça ne se passait pas bien. L’équipe devait continuer à tourner, même si j’avais mal, mais si je disais « stop » elles devaient s’arrêter. C’était très clair à ce niveau-là.
Sinon, on avait pas mal répété en amont les cadres. Comme je ne pouvais pas voir ce qu’elles filmaient, j’avais sélectionné des images issues d’autres films, notamment celui de Yann Le Masson, Regarde elle a les yeux grands ouverts, avec les femmes du MLAC d’Aix-en-Provence. J’avais comme ça décidé de différents cadres pour le visage et pour le corps. L’équipe était donc libre sur le moment, mais elle avait mes intentions en tête.
C’est vrai que c’était assez particulier, on n’a pas l’habitude d’être à plusieurs dans ce genre de situation ! Mais justement, ça nous a donné une certaine force. À la fin du tournage, on était toutes assez étonnées de ce qu’on avait fait. Avoir été ensemble à ce moment-là, ça a été très surprenant, mais en fin de compte très joyeux.
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L’équipe du film :
Sage femme : Léna Alembik
Image 16 mm : Carole Grand et Frédérique Menant
Image Super 8 : Agnès Perrais
Prise de son : Perrine Michel
Son additionnel : Delphine Voiry-Humbert et Agnès Perrais
Collaboration au montage : Young Sun Noh
Étalonnage : Jade Gomes
Montage son et mixage : Nathalie Vidal
Musique : Morgane Carnet et Blanche Lafuente (Qonicho Ah !)
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Ce film a pu voir le jour grâce aux laboratoires indépendants de cinéma argentique l’Etna (Montreuil) et L’Abominable. L’Abominable vient tout juste de déménager à Épinay-sur-Seine, dans les anciens locaux des laboratoires Éclair, et devient Le Navire Argo. Pour fabriquer ce lieu dédié aux pratiques contemporaines et futures du cinéma argentique, Le Navire Argo a besoin de trouver des financements importants pour la réhabilitation des locaux. Voici le lien pour participer et en savoir plus : https://navireargo.org/soutenir/
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Des propos recueillis par Jeanne Bernard.