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Votre long-métrage « Celle qui manque » incarne-t-il votre histoire personnelle ?
J'avais l'envie, le besoin de retrouver ma grande sœur après huit ans de séparation. Le cinéma m'a donné le courage de la rejoindre et de la persévérance pour vivre cette aventure très prenante émotionnellement.
Il est toujours difficile de retrouver les personnes qui nous sont chères. Comment avez-vous trouvé cette force ?
J'ai eu l'intuition que prendre une caméra pour aller la voir m'aiderait à affronter la violence de son quotidien. Depuis un moment, cette séparation me pesait. Je me disais que j'étais trop occupé et je n'avais pas le courage d'aller la voir. Et puis j'ai traversé un moment de grande solitude, de lassitude et de désillusion vis-à-vis du monde dans lequel je vivais. J’ai ressenti soudainement que j'étais très lié à ma grande sœur. J'avais envie d'être assis à côté d'elle pour partager des moments ensemble. J'ai senti qu'elle avait peut-être besoin de moi et que j'avais besoin d'elle aussi.
Était-ce un choix de votre part de tourner quatre ans en solitaire, de manière chronologique et assez limité dans l'espace ?
Totalement. Je me voyais mal imposer à ma sœur une tierce personne et moi même j'avais besoin d'être seul pour la retrouver. J'avais déjà tourné des films seuls donc techniquement ce n'était pas un problème. Au bout de deux ans de tournage, j'ai eu l'idée de faire venir une personne extérieure pour que le film prenne une autre tournure et qu'il y ait plus d'ouverture. Mais tout se décidait à la dernière minute et au final, cela ne s'est jamais fait.
À travers ce film, quelles étaient vos attentes ?
J'étais constamment dans le suspense, je me demandais toujours jusqu'où ça pourrait aller. Au départ, j'étais plutôt dans l'observation. Lorsque quelqu'un en face de nous est en train de se détruire, on a envie d'agir. J'avais l'impression de ne pas porter assistance à une personne en danger. Mais j'ai compris très vite qu'il aurait été vain de lui expliquer quoi que ce soit concernant les dangers de sa toxicomanie. Elle était bien plus au courant que moi, elle savait parfaitement ce qu'elle faisait. La vraie difficulté c'est d'accepter qu'on ne peut pas aider frontalement une personne qui souffre. On peut rester en contact, maintenir la relation mais on ne peut pas agir à sa place. Bien sûr, je m'inquiétais pour ma sœur, je me demandais à chaque instant jusqu'où allait l'entraîner cette dépendance, mais je voulais à tout prix maintenir la relation.
De façon esthétique, les plans sont assez sombres et intimes. Cela donne au spectateur l'impression d'être proche de votre aînée...
Un ami m'a prêté une caméra qui n'avait pas un capteur très lumineux mais qui consommait très peu de batterie et qui enregistrait sur des cassettes HDV. Comme il n'y avait pas d'électricité dans le camion où elle vivait, cela me convenait. Au fur et à mesure, j'ai réalisé que la faible sensibilité de la caméra permettait d'épargner une certaine définition de détails dans certaines scènes que je n'avais pas envie d'éviter de filmer, étant là pour voir et accepter ce que ma sœur vivait.
Aujourd'hui, comment se porte votre sœur, Ioana ?
J'ai voulu laisser la fin en suspens, à l'image de ce que je vivais pendant et surtout après mes visites. Je ne voulais pas statuer sur un "résultat", positif ou négatif, qu'aurait pu avoir cette expérience. Mais il se trouve que Ioana va très bien aujourd'hui. Notre relation a bien sûr évolué et elle peut encore changer. Une relation se fait dans la durée et rien n'est jamais acquis. C'est de plus en plus difficile à entendre à l'heure où on cherche activement à remplacer les relations sociales par les réseaux sociaux. Le plaisir que nous procurent l'immédiateté et l'impression de contrôle crée une dépendance et un rapport au monde très proche de celui de la toxicomanie. La mise au ban des toxicomanes, l'image repoussante qu'on en a, est caractéristique d'une mauvaise foi sociétale. Pendant ce temps, notre mode de vie nous isole dans des dépendances multiples et sans cesse renouvelées.
Vous évoquez vos origines et la Roumanie, quel a été votre parcours ?
On a vécu plusieurs années en Roumanie avant d'arriver en France. Il y a eu une petite période de transition pendant laquelle on est restés avec nos grands-parents lorsque nos parents s'installaient en France. Notre parcours de vie a sans doute déterminé certaines choses. Mais plutôt que de chercher à "expliquer" le passé, j'ai voulu rester dans l'instant présent. Parler avec elle en roumain m'intéressait plus en tant qu'expérience de vie, que de parler du passé en Roumanie. Bien sûr, il y a des allusions qui sont évidentes pour nous et qui ne sont pas forcément limpides pour le spectateur. Mais cela ne gêne pas à mon sens, la compréhension du film. Ce que nous avons cherché avec Clémence Diard, la monteuse du film, c'est d'entraîner le spectateur dans un chemin personnel qu'il pourrait vivre avec nous, au fur et à mesure que notre relation fraternelle évolue.
Propos recueillis par Solène Anson