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Le passage à tabac de Michel Zecler, producteur musical, par des policiers à Paris, le photo-journaliste de l’AFP Ameer al Halbi blessé par les forces de l’ordre alors qu’il documentait la « Marche des libertés », également à Paris le 28 novembre dernier, ou bien encore un policier jeté à terre et roué de coups par des manifestants lors de cette même manifestation sont autant d’images qui apportent un démenti cinglant à la nécessité de réécrire l’article 24 du futur projet de loi sur la sécurité qui risque de prohiber la représentation de policiers en intervention.
Car en effet, qu’il s’agisse de caméras de surveillance, de vidéos tournées par des voisins, par des manifestants ou des photo-journalistes, quel est le rôle de toutes ces images ? Quel est leur statut ? Leur fonction sociale? Informer, sans aucun doute.
J’ai commencé à photographier des manifestations en 1977. Ma première photographie publiée est une image de manifestation. Très vite, je me suis posé la question de l’utilité de mon travail. Face à une situation violente, si je prenais un image, fallait-il craindre un procès ? Devais-je redouter la réaction des personnes photographiées ? Fallait-il vraiment faire une photo, et surtout, s’il fallait la faire, pourquoi ?
Après bien des années de pratique, je sais que rien de tout cela n’entre véritablement en ligne de compte dans mes choix. Car la seule réponse valide au final, inchangée, est que la réalisation d’une photographie dans le cadre de l’exercice de l’information est toujours fondée dès lors qu’elle est utile, voire indispensable au débat démocratique.
Car c’est bien de l’apport au débat démocratique dont il est question. De celui qui fonde le droit à l’information. Et si la photographie, la vidéo, sont des informations utiles au débat démocratique, alors, la photographie, la vidéo, utilisées dans le cadre du journalisme, de l’usage de l’information, sont des outils de démocratie. Et le photo-journaliste lui-même est un outil de démocratie.

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Sa présence assure la pluralité des sources, en texte comme en images. Cette question de la pluralité des sources nous oblige à considérer la vidéo-piéton des policiers comme utile, certes, mais largement insuffisante. Il suffit, pour en juger, de se référer aux images du policier frappé à terre le 28 novembre dernier, prises par des photographes mêlés aux manifestants. Les sources plurielles du tabassage de Michel Zecler nous éclairent également sur ce point.
Le risque de la réécriture de l’article 24 de la loi sur la sécurité est tout simplement de voir la liberté d’informer amputée. Ne nous y trompons pas. Dans la tête de nombreux policiers, le « droit d’ingérence de l’oeil », pour reprendre l’expression du poète et ami de Henri Cartier-Bresson André Laude, n’est toujours pas le bienvenu, comme nous le rappelle le sort fait ce même 28 novembre 2020 à Ameer al Halbi. Nous savons d’expérience que même si l’interdiction de filmer ou de photographier des fonctionnaires de police en action n’est pas explicite dans le texte, elle sera interprétée comme telle par les policiers. Nous savons donc que nombre de confrères deviendront dès lors des cibles, sans parler des simples citoyens.
Les manifestations sont de plus en plus fréquemment le théâtre de violences, jusqu’à dissuader nombre de participants éventuels de s’y joindre. Pourtant, le rôle de la police - en principe gardienne de la paix- est bien d’assurer la sécurité des citoyens. Certes en usant au besoin de la violence dont l’état a, pour ces raisons, le monopole. Mais dès lors que les citoyens ont le sentiment que la violence est dirigée contre eux pour défendre l’état, les plus déterminés risquent de répondre à la violence par la violence, déclenchant ainsi un cycle qui risque de n’être plus in fine qu’une suite de vengeances, de règlements de comptes entre factions.
Réduire les témoins de ces drames au silence ne résoudra pas le problème.
Publications précédentes du blog Les images qui pensent :
Maxime Carsel : Vidéo : La marche des libertés, 2 décembre 2020. https://blogs.mediapart.fr/les-images-qui-pensent/blog/021220/video-la-marche-des-libertes