Revenons sur cette affaire du témoignage inventé par cette mère de famille pour « porter la plume dans la plaie ».
Le samedi 9 mars 2013, le Parisien publie une interview papier et vidéo d’une mère de 24 ans, Raphaella, résidant à Calais, qui affirme avoir été mère porteuse d’une petite fille en 2011. Pour la première fois, une mère porteuse française témoigne à visage découvert car la gestation pour autrui est interdite en France. C’est donc un scoop.
Un pour tous, tous dans l'erreur
L’information publiée par le Parisien est reprise par d’autres journalistes. C’est ce que l’on appelle la circulation circulaire de l’information. Ainsi, les informations diffusées par les médias sont très souvent des informations produites par d’autres médias. Sur le Web, ce phénomène est accentué. Hors selon le médiateur de Radio France, Jérôme Bouvier, le Parisien est très prescripteur pour ses confrères. Et aucun média ne veut passer à coté d’un tel scoop.
Les sites de presse en ligne publient l’information, sans forcément citer l’article du Parisien : la Voix du Nord, Daily Nord, Nord littoral, mais aussi le Figaro, Ouest France, Elle…
Dans la matinée, fait plus grave au regard de sa crédibilité, l’AFP publie le témoignage. Apparaissent alors des articles mentionnant avec ou par AFP, sur les sites de Libération, 20 Minutes, Midi Libre…
Les journalistes radio recueillent le témoignage de cette mère : RTL, France Bleu, France Info.
Une équipe d’i-télé vient la filmer chez elle. Les journalistes de France 3 Nord Pas de Calais trouvent porte close. La chaîne achète dimanche matin le témoignage à BFM-TV.
Fin du scoop
Le lundi 11 mars, à 7h17, sur RMC, la journaliste Emmanuelle Geuns, correspondante de BFM-TV (même groupe que RMC), met en doute ce témoignage. Bravant le diktat de la rapidité qui empêche souvent la vérification, notamment sur les chaînes d’info en continue, cette journaliste a pris le temps de recouper l’information : « Hier, j'ai eu sa grand-mère au téléphone. Elle me dit que sa petite fille n'a jamais été mère porteuse, mais qu'elle a accouché d'une petite fille qui a été placée par les services sociaux ».
A 8h40, Rue 89 publie un article intitulée : « le témoignage de la mère porteuse du Parisien mis en doute » qui mentionne la vérification effectuée par Emmanuelle Geuns.
A 17h34, le site internet du Parisien publie un rectificatif, sobrement intitulé « Rectificatif : fausse mère porteuse ». Le journaliste a vérifié l’information auprès des proches et cite la mère de Raphaella : «Ma fille est une mythomane qui croit à ses mensonges».
Les rectifications se multiplient alors sur les sites de presse en ligne, en mentionnant le rectificatif du Parisien et l’article de Rue89. Toujours cette fameuse circulation circulaire de l’information.
Sur le site du Figaro, la rectification sans doute faite dans l’urgence, comporte deux coquilles en deux lignes : « Réctificatif: Le témoignage qui suit a été inventé de toutes pièces par une mère mythomane, a annoncé Le Parisien deux jours après la publiction de l'entretien. »
Le mardi, le JDD se permet de tâcler le Parisien : « Le Parisien dupé par une fausse mère porteuse »
Les liens vers les reportages radio et télé deviennent inaccessibles, mais sans rectificatif. Ainsi sur le site de RTL, c’est comme si l’information n’avait jamais existé. A deux exceptions près qui comme par hasard sont des médias relevant du service public.
France 3 Nord-Pas de Calais publie sur son site : « la mère porteuse calaisienne a tout inventé ». Un rectificatif est lu dans l'édition nationale du 19/20 le lundi.
Sur France Info, mardi soir, le directeur de l’information intervient sans l’émission Médias, et le vendredi suivant le médiateur Jérôme Bouvier livre son analyse dans sa rubrique hebdomadaire.
Mention spéciale à Daily Nord pour leur lucidité : « Une belle bourde journalistique, qui sans vouloir accabler l’auteur qui s’est fait mener en bateau, va pouvoir rejoindre notre best of des erreurs des médias en région. Pour le reste, on se contentera juste d’une petite remarque : quand nos confrères ont couru après la mythomane, certains d’entre-eux n’ont pas cru bon de noter que Le Parisien/Aujourd’hui en France avait fait le boulot. Ce soir, on précise que l’on s’est fait abuser… comme les autres. »
Les commentaires des internautes sur les sites sont éloquents : non vérification des sources, incompétence, recherche du scoop, mépris des lecteurs, faut-il un diplôme pour être journaliste ?... mais les internautes apprécient le fait d’avoir rectifié l’information.
Et maintenant ?
En décembre 2012, le baromètre du Cevipof révèle que 76% des Français n’ont pas confiance dans les médias. Un constat accablant qui n’est pas près de s’améliorer si les journalistes continuent cette course au scoop au mépris des règles de base de leur métier, et ne font que se publier entre eux.
Sabine Chevrier
Pour les Indignés du Paf