Compte Rendu Audition du 20 Janvier 2014 au Ministère de la Culture. Objet : Création d’une instance de déontologie de l’information en France (nous nous réservons la possibilité de développer ce compte rendu par des addendi à la fin de l'article)
Avec pour le Ministère de la Culture, Mesdames Sophie Lecointe (DGMIC) et Marie Sirinelli (Chargée de mission) ; pour les Indignés du PAF, Sabine Chevrier et Philippe Guihéneuf.
1. Présentation rapide des Indignés du PAF
Les indignés du PAF est un collectif a-politique, surtout actif sur les réseaux sociaux qui organise parfois des débats et des mobilisations via des pétitions. Naissance, développement, préoccupations : « Appels d’urgence »… de l’absence de réaction générale à la publication antidatée sur le site du CSA ! Réflexion au passage sur l’open-data qui permet de réécrire l’histoire (CSA, TF1 et la dramatique erreur de photo pour Ghislaine Dupont - séquence supprimée du replay, F2 qui supprime les replays de certains JTs…).
2. La déontologie : les dérives continuent et s’amplifient
Rapport de Sabine sur les dérives enregistrées depuis 4 mois : les dérives posent la question de l’indépendance des rédactions. Un problème émerge d’une manière de plus en plus évidente : le manque de vérification des faits, la recherche du scoop à tout prix en sacrifiant toute déontologie.
La question de la création d’une instance de déontologie, de dialogue et de réflexion sur l’information est donc plus que jamais légitime.
3. L’impossible critique citoyenne des médias
a) relations avec les médiateurs :
Les médiateurs ne sont pas mis en avant par les médias pour lesquels ils travaillent. Minimisant ainsi la possibilité de les interpeller. Leurs rapports d’activité ne sont que très peu diffusés quand ils existent. L’un d’entre eux dit lui-même parfois qu’il est là un élément de la comm’ de son média. Nos relations avec eux sont compliquées quand nous les interpelons. Notre expérience rejoint celle des sociologues des médias : les médiateurs sont là pour défendre le point de vue des journalistes.
Florilège de réponses reçues : « vous n’êtes ni légitimes, ni crédibles », « vous dites des choses sans rien connaître, sans rien prouver », « Philippe, tu me déranges tout le temps », « si vous continuez à nous critiquer, nous allons rompre tout dialogue avec vous », « vous ne m’intéressez pas »…
b) relations avec les journalistes d’une manière individuelle :
Tous les cas de figure sont possibles et les soutiens sont nombreux… mais les choses changent peu dans les médias au final, hélas (comme le montre le relevé des 4 derniers mois !)
- ceux en formation nous prennent pour des utopistes imbéciles ou nous applaudissent (beaucoup nous connaissent via les réseaux sociaux)
- ceux tout juste sortis d’école viennent nous voir catastrophés et nous demandent ce qu’il faut faire pour changer les choses
- la plupart de ceux en place nous observe (la moitié de nos followers sur Twitter est du métier), ne nous donne pas la parole et nous assassine quand elle le peut
- certains -plutôt des jeunes ou des gens qui nous suivaient sur d’autres dossiers et qui nous connaissent donc personnellement- nous donnent la parole (surtout sur les médias locaux), et/ou nous font part en off de censures et difficultés rencontrées
- ceux sortis du circuit suite à leur refus de cautionner la dérive nous encouragent et confirment nos propos avec des exemples précis, mais souvent confidentiels
c) relations avec les clubs de la presse
La structure « Union des Clubs de la Presse de France et de Francophonie » nous regarde avec sidération, comptant sur nous pour défendre les intérêts des journalistes en difficulté si nécessaire, mais nous oublie dans ses comptes rendus d’activité : « nous ne pouvons pas vous aider, ça nous mettrait en danger vis-à-vis de notre hiérarchie »…
Le Club de la Presse du Maine (LeMans/ Laval) nous soutient. Nous entretenons de bons rapports avec lui depuis un débat qu’ils ont organisé et à lors duquel nous sommes intervenus. Celui d’Alsace nous avait accueilli lors de notre tournée « On refait le 20h ! » organisée en Mars 2012, mais nous n’avons pas repris contact depuis.
d) relations avec les syndicats
Le SNJ s’investit beaucoup sur les questions de déontologie. Nous partageons les mêmes positions quant à la création d’une instance de déontologie et à la création d’une charte unique adossée à la convention collective. Le syndicat a même approuvé notre texte « Faisons évoluer les médias ensemble ! » mais ne l’a pas relayé lors de son lancement, ce qui a provoqué notre incompréhension. Nous relayons parfois ses publications et n’hésitons pas à le soutenir si cela nous semble justifié, quand nous sommes en mesure de le faire.
Le SNJ/CGT : bons rapports, même s’il rejette l’idée d’une instance de déontologie préférant prioriser l’indépendance des rédactions (que nous soutenons aussi).
Journalistes-CFDT partage nos revendications et nous observe avec circonspection.
e) relations avec les autres associations ou médias de critique des médias
La règle est simple : chacun pour sa pomme, chacun estimant être plus légitime que l’autre…
ACRIMED fait un excellent travail d’analyse, mais ne veut pas de nous au sein de l’association
Arrêt sur Images : peu de contacts avec l’équipe de Daniel Schneidermann dont le site fournit un remarquable travail d’analyse que nous relayons régulièrement
L’ODI (Observatoire de la Déontologie de l’Information) : nous en sommes à la fois membres fondateurs et membres du Conseil d’administration. Nous contribuons activement à ses travaux, via Sabine. Mais l’association publie dans ses rapports internes de fausses infos diffamatoires sur nos pratiques (ex : contrairement à ce qu’elle écrit, nous ne nous réclamons pas de l'ODI quand nous interpelons des médias pour des rectifications). Il nous a été demandé de quitter l’association : notre présence gène les médias « mainstream » et certains membres.
L’APCP : il se passe la même chose qu’à l’ODI. La parole citoyenne critique n’y est pas bien vue. L’APCP s’étonne que des médias nous donnent la parole (Ex : article en toutes éditions de Ouest-France sur la campagne « Faites entrer les citoyens au CSA ! »).
f) relations avec l’institution et avec les politiques
Nous avons rencontré tout le monde (Ministère de la Culture, Matignon, Elysée, Sénat, Assemblée Nationale, des députés, le CESE, le CSA…), avons été écoutés avec attention, mais les mesures fortes et courageuses que nous attendons n’ont toujours pas été prises : elles ne sont pas jugées prioritaires.
Remarque : lors de cet entretien, nous avons fait référence au fait que Mme Aurélie Filippetti ne voulait pas nous rencontrer. Nous parlions ici de Mme Filippetti, porte-parole du PS sur la question des médias avant les élections présidentielles. Depuis qu’elle est Ministre, nous ne l’avons toujours pas rencontrée, mais elle nous a ouvert les portes de son ministère.
g) relations avec le public (typologie)
- ceux qui ont totalement abandonné les médias traditionnels et ne s’informent plus que par les réseaux sociaux ou par des biais variés,
- ceux qui voient des complots partout, sont très présents sur internet utilisent pour certains les moyens de manipulation qu’ils dénoncent, nous imposant une vigilance afin de prévenir tout écart sur nos outils,
- ceux qui ont d’autres priorités suivent tout d’un air distrait…
h) relations avec les diffuseurs de presse
L’AADP (Association pour l’Avenir des Diffuseurs de Presse) : des gens très inquiets pour l’avenir de leurs points de vente et très sceptiques quant à l’évolution de la qualité de l’information. Les éditeurs vendent des chiffres de diffusion pour vendre de la publicité. A partir de là, il importe pour eux que « l’information » coûte le moins cher possible à produire…
i) relations avec les éditeurs
Nous n’avons pas de relation avec les associations d’éditeurs.
4. La couverture médiatique de nos actions
Depuis 2 ans, nous essayons de construire un dialogue, critique, certes, mais constructif. Peu de médias nous suivent : Mediapart, Le Mouv’ (à 2 reprises), France Bleu National (une fois), Beur FM (3 fois), certains médias locaux (nantais notamment), les sites alternatifs (The-Dissident.eu...)… La dépêche AFP rédigée au moment de la campagne « Faites entrer les citoyens au CSA ! » n’a quasiment pas été reprise.
Pourtant, nous le redisons, de nombreux journalistes nous donnent raison et contribuent à nos activités. Alors, pourquoi les choses n’évoluent-elles pas dans la réalité ? La critique des médias ne peut donc pas se faire dans l’espace médiatique ?
Conclusion
Pour un journalisme libre, courageux, indépendant, créatif et ouvert !
Il est urgent d’agir afin de stopper la spécificité française suivante : les gens investissent dans les médias pour le pouvoir qu’ils représentent, pas parce que le domaine les intéresse. Ils ne cherchent pas le meilleur moyen d’informer. Cette tendance lourde nuit gravement à la crédibilité et au dynamisme du secteur. Elle se confirme dans l’indifférence générale comme le prouve cet article du Monde sur la stratégie d’un homme qui produit des spectacles… et se constitue un groupe médiatique spécialisé dans le sujet afin de promouvoir ses artistes :
Marc Ladreit de Lacharrière veut « créer le nouveau leader des médias numériques » (le Monde du 17/01/2014) http://www.lemonde.fr/economie/article/2014/01/17/marc-ladreit-de-la-charriere-veut-creer-le-nouveau-leader-des-medias-numeriques_4349844_3234.html
Personne ne dit rien. C’est pourtant ce qui causera la perte du secteur. Il faut redonner ses lettres d’or au journalisme via:
- une Charte Universelle de l’Information adossée à la Convention Collective pour protégerles journalistes ;
- une Instance de déontologie, de réflexion et de dialogue ;
- la fin des relations incestueuses entre intérêts privés de toutes sortes et information.
Pour nous joindre par mail: lesindignesdupaf@gmail.com
Amitiés
Addendum: un "post" publié le 22/01/2014 sur notre page FaceBook...
Nous avons donc rencontré hier les personnes chargées de rendre un rapport au Ministère de la culture sur la création d'une instance de réflexion sur les métiers de l'information et sur la déontologie. Le dialogue a été très cordial et sympathique. Les échanges productifs.
L'entretien s'est articulé autour de 3 constats:
1. la légitimité de la question suite aux nombreux manquements relevés depuis 2 ans et, notamment, ces derniers mois (la liste fait 5 pages depuis Septembre 2013);
2. la difficulté pour les médias de reconnaître leurs erreurs et de les rectifier, l'immobilisme général noyé dans un discours ou, en façade, tout le monde s'accorde sur l'importance de la déontologie;
3. le dialogue impossible avec les citoyens et entre les intervenants du secteur: les bonnes intentions affichées ne sont que des annonces abstraites sans effets, au détriment du public, de certains salariés (qui n'ont pas de pouvoir sur les lignes rédactionnelles) et des diffuseurs.
Dans notre exposé, tout le monde -à quelques exceptions près- en a pris pour son grade. Un compte rendu plus complet est en préparation. Le rapport de la chargée de mission sera rendu à la fin du mois.
Compléments:
Quand #TF1 nous envoie les RG pour nous souhaiter un "Bon anniversaire": il manquait cette information (croustillante ou consternante) dans nos relations avec nos intelocuteurs!
http://blogs.mediapart.fr/blog/les-indignes-du-paf/200813/quand-tf1-nous-envoie-les-rg-pour-nous-souhaiter-un-bon-anniversaire