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Billet de blog 27 janv. 2023

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Tribune LGBTI, Pink blocs : Pourquoi faire ?

Le collectif Inverti·e·s a été à l'initiative d'une tribune LGBTI unitaire signée par plus de cent personnalités, organisations, collectifs et lieux LGBTI contre la réforme des retraites. Il a également été moteur du retour des pink bloc dans les manifestations. Par ce billet, le collectif revient sur les détails et les objectifs de ces initiatives.

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Mouvement social, mouvement LGBTI : je t'aime, moi non plus. 

Le collectif inverti·e·s a été lancé en septembre 2022 sur la base de plusieurs constats, d’une part, sur la volonté d’un mouvement LGBTI plus offensif, qui sache se défendre et qui soit au moins à la hauteur des attaques que nous subissons. En effet, nous gardons le souvenir amer de la période 2012 et du déferlement d’homophobie dans la société dont nos organisations respectives n’ont pas réussi à endiguer la force. Les représentants de la “manif pour tous” ont déferlé sur tous les plateaux, les manifestations étaient importantes, et, autour de nous, dans nos familles, parmi nos collègues et même parmi nos ami·e·s, ont germé des idées réactionnaires. Nous n’avons eu de cesse de devoir nous défendre, nous, nos vies, nos droits. L’extrême droite ne s’y est pas trompée, on a vu s’unir contre nous, les droites religieuses, réactionnaires, fascisantes, voir néo-nazies.

D’un autre côté, les rangs des cortèges de la bataille pour une PMA pour toustes étaient peu fournis, en conséquence de quoi, nous n’avons réussi à imposer au gouvernement Macron qu’une PMA au rabais, excluant les personnes trans, ne prenant pas en compte la méthode de la ROPA(1) et qui dans un contexte de destruction de l’hôpital public, est en réalité un parcours de combattantes.

Durant l’été précédent la fondation du collectif, les LGBTI se sont retrouvé·e·s isolé·e·s face à l’épidémie de monkeypox qui touchait particulièrement les hommes gays, les personnes trans et les travailleuses du sexe. Nous avons même été insulté par le député Aurélien Pradié qui n’a d’ailleurs pas été sanctionné. Quelques jours plus tard, c’était la ministre d’alors Caroline Cayeux qui réitérait ses propos homophobes récités à l’époque de la manif pour tous. Sans compter le déferlement de transphobie orchestré contre le planning familial et son affiche pourtant inoffensive. Nous subissons une recrudescence de prise de positions transphobes dans les médias. Nous devons faire front également contre les agressions, la peur et les suicides qui nous percutent.    

L’autre grand constat c’est la série de défaites sociales, que ce soit sur la destruction du code du travail, la non-mobilisation face aux attaques contre l’assurance chômage, ParcourSup, l’émiettement de l’hôpital public… Cela fait longtemps que nous n’avons pas vu de grandes victoires. En 2010, alors que Sarkozy décalait l'âge légal de départ à la retraite de 60 à 62 ans, les manifestations furent massives et les “secteurs clef” (SNCF, raffineries, transporteurs routiers, éboueurs… ) était tous en grève relativement bien suivie. Et ça n’a pas suffi. Les directions syndicales se contentant de donner des dates de grève éparpillées ne donnent pas l’impression d’avoir un réel plan pour gagner. Nous pensons que si la grève impacte plus dans certains secteurs, on ne peut pas compter sur une grève “par procuration”. Il faut que la société toute entière se mette en mouvement. 

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Pink Bloc lors de la marche pour les retraites du Samedi 21 Janvier 2023

La tribune LGBTI


C’est dans cette optique que le collectif inverti·e·s a publié le 17 janvier 2023, une tribune de mobilisation dans Têtu et Mediapart. Celle-ci a été signée par plus d’une centaine de personnalités, de militant·e·s, d’artistes, de lieux, de collectifs, d’organisations politiques, syndicales et associatives LGBTI et même un soutien international venu de Grande-Bretagne qui nous est très chère : Ray Goodspeed, membre fondateur de Lesbians & Gays Support the Miners 1984-1985, dont l’histoire a été gravé sur grand écran dans le film Pride. La liste des signataires de la tribune est à observer, analyser et décortiquer ici.

Depuis la publication, nous avons reçu de nouvelles demande de signatures, de Sergio Corronado (ancien député), Mathias Quéré (auteur de Qui sème le vent récolte la tapette : une histoire des groupes de libération homosexuels en France de 1974 à 1979), du FRAP (Rennes) de l’association Acceptess-T, et de KAP Caraïbe (Martinique). 

Le nombre et surtout la diversité des signatures est inédit pour une tribune de défense d’une conquête “purement” sociale. Elle a permis de faire discuter largement dans la communauté. Et de fissurer la frontière entre questions sociales et questions “sociétales”, qui selon nous n’as pas beaucoup de sens. Nous pensons que c’est un progrès que les organisations LGBTI s’intéressent de près à ces attaques, pas seulement pour faire “de la convergence des luttes” pour la beauté du geste, mais car cette contre-réforme des retraites nous touche, en général et en particulier.

En général, car, contrairement à des idées trop largement répandues, nous ne sommes pas hors du prolétariat, du peuple, des 99% (appelez notre classe comme vous voulez). On ne reçoit pas de carte bleue rose et un appart dans le Marais au moment de nos coming-out. S’il existe des doubles mécanismes de discrimination à l’emploi et d’évitement de certains environnements considérés comme hostiles ; il reste que le prolétariat (allez, on reste sur celui-ci) étant la classe regroupant le plus de monde, c’est celle dans laquelle se retrouve le plus de trans-pédés-gouines. Et donc, de ce fait, les attaques contre le prolétariat nous concernent directement.

Mais également en particulier, car comme indiqué dans la tribune, les personnes LGBTI subissent des oppressions spécifiques, qui nous rendent d’autant plus dépendant des services publics. Ce n’est pas une position “victimaire” que d’expliquer les positions singulières que vivent les LGBTI face au travail.

Expliquer qu’une personne trans qui a cotisé sous deux numéros de sécurité sociale différents, liés au changement d’état civile, doit pouvoir faire reconnaitre tous ses trimestres cotisés simplement, et que pour l’instant, c’est un calvaire. Montrer aussi l’exclusion du salariat traditionnel que nous subissons. Raconter le VIH/SIDA et les années de galère passant de l’AAH (allocation aux adultes handicapés) au minimum vieillesse ne permettant pas de vivre dignement. Faire en sorte que les femmes lesbiennes qui accèdent petit à petit à la parentalité ne se retrouve pas dans la situation des femmes hétéra dont les pensions sont nettement inférieures à celles de leurs conjoints. Parler également de l’exclusion, pour beaucoup, des cadres familiaux et des formes d’isolement à l’arrivée à la retraite, non pas pour dire que la famille est forcément, toujours, une béquille pour les hétéros, ni pour dire que c’est le modèle auquel nous nous référons ; mais plutôt pour envisager une autre société, dans laquelle les couples mariés n’ont pas d’avantages fiscaux sur les personnes célibataires ou non mariés, et surtout, surtout, pour dire que personne, homo/hétéros trans/cis ne devrait avoir à dépendre de ce cadre familial pour vivre dignement. Ni héritage, ni mariage, ni enfants doivent déterminer notre condition sociale. L’État et la solidarité sociale doivent permettre l’égalité de traitement, y compris, si ce n’est plus, quand on ne rentre pas dans la case, dans le bon formulaire, dans la norme.

Bref, si nous n’en parlons pas, personne ne le fait. 

Illustration 2
Le Pink Bloc à la manifestation interprofessionnelle du 18 octobre 2022 pour l'augmentation des salaires © Polyvios Anemoyannis

Les pink blocs

C’est donc avec ce double objectif que nous avons organisé des “pink blocs” dans les manifestations de ces derniers jours : pour que le mouvement LGBTI arrive à se sentir légitime à parler de “social”, et pour que le mouvement social se sente légitime à défendre les LGBTI.  Un pink bloc est un cortège unitaire LGBTI dans une manifestation dont la portée principale n’est pas, au premier abord, une question spécifiquement LGBTI type “marche des fiertés”, “manif pour la PMA” ou “rassemblement contre la transphobie”. À l’image du black bloc, le cortège est divers, gazeux, fluctuant, unitaire et ouvert. La différence principale est que ce “bloc” ne se constitue pas uniquement sur une orientation stratégique ou un mode d’action mais sur des oppressions communes : l’homophobie et la transphobie, même si nous savons bien qu’une oppression n’est pas une identité, et qu’elle ne sert que de “parapluie” pour des réalités très différentes (incluant en son sein une diversité d’autres formes d’oppressions spécifiquement envers les lesbiennes ou les gays ou les bi·e·s et/ou personnes intersexes et/ou personnes non-binaires, etc). Ces cortèges permettent à la fois de crier au reste de la communauté que ces manifestations les concernent, et du même coup à montrer au reste de notre classe que nous existons. C’est également un bon moyen de lutter contre l’homophobie présente dans toute la société.

Quand nous crions “Macron, Macron, on n’t’encules pas ; la sodomie, c’est entre amis” nous disons d’une pierre deux coups au pouvoir que nous le rejetons, et à la manifestation que nous rejetons l’homophobie. Cela fait réfléchir la société sur la place qu’elle accorde aux “perçus comme baisable” et aux personnes “perçus comme baisant” aux rapports de dominations, à la sexualité. En écrivant sur nos pancartes “passif dans le lit, actif dans la rue”,

Illustration 3
Visuels du collectif Les Inverti·e·s - Janvier 2023

nous remettons en cause la vulnérabilité supposée des “perçus comme baisé·e·s ” tout en nous inscrivant dans la lutte collective. Et avec “la retraite à 20 ans : pour baiser, il faut du temps” nous pensons briser un peu la chape de plomb de l’ordre morale, tout en rappelant que la retraite n’est pas qu’une question comptable de spécialistes, mais également un choix de société, une vision du monde. C’est le fameux “perdre sa vie à la gagner” que nous réfutons.

Nous savons que notre classe, comme toute la société, est traversée par l’homophobie et nous en avons fait l’expérience dans d’autres mouvements : affaires des affiches de la CGT Info'Com (Homophobie, sexisme, BDSM... : ces affiches d’une antenne de la CGT ne passent pas) ; ou du piquet de grève sur lequel avait été crié aux non-grévistes “j’aime pas les suceurs de bites”, événement qui avait été largement instrumentalisé par la direction de la RATP et Valérie Pécresse (déjà elle). Nous voulons être là pour dire que l’homophobie ordinaire, en plus d’être objectivement contre productive, sont des balles perdues pour nous, car nous avons déjà bien à faire, à nous battre contre Macron et la bourgeoisie. De plus, nous pensons que ce qui est bon pour les LGBTI est bon pour toutes et tous. Nous comptons bien “invertir” notre classe, donner de l’air, décoincer car nous n’avons pas de classe bis, et rien ne nous arrachera la tendresse que nous éprouvons pour cette classe à laquelle nous appartenons, avec laquelle nous baisons et qui nous a enfanté. Face à elle, nous vomissons la classe de l’accumulation, de l’égoïsme, du gaspillage et du capital. 

Le pink bloc est un vent de fraicheur, un cortège à soi, dans nos diversités. Mais nous sommes toujours aux côtés de celles et ceux qui veulent  mener la bataille dans les cortèges syndicaux, politiques, sectoriels, de leur boîte, leur lycée, leur fac, ou dans les cortèges féministes avec lesquels nous nous retrouvons naturellement. Nous encourageons également l’émergence de cortèges spécifique contre le racisme, ou de militant·e·s écologistes par exemple. C’est toutes et tous ensemble qu’il faut lutter, c’est toutes et tous ensemble que nous gagnerons ! 

Investissez-vous, invertissez-vous ! 

Les premières dates de mobilisation du 19, 21 janvier et les marches aux flambeaux ont été impressionnantes par le nombre, le quantitatif (on pourra jongler avec les chiffres autant qu’on le souhaite). Mais également sur le point de vue qualitatif : de la simple question des retraites, nous en venons à parler du travail, de notre place dans le salariat et qui sait bientôt de révolution ! 

Ces mobilisations montrent que la résignation n’est pas, contrairement au pari de Macron, une fatalité ; et que plutôt qu’assister, blafard, à la destruction du système de retraite comme les bourgeois assistent au dérèglement climatique depuis le hublot de leurs minables jets privés, au contraire, nous relevons la tête.
Nous avons compris que la bataille ne se jouera pas uniquement à l’assemblée bâillonnée par les “49-3” (adoption sans vote) et autres “47-1” (passage par ordonnance).

Nous nous rappelons qu’il aura fallu six mois de débats, de controverses et de violence pour faire passer le “mariage pour tous” qui rendait des droits basiques à quelques un·e·s et que le pouvoir veut voler deux ans de leurs vies à toutes et tous les salarié·e·s par un débat de 10 jours.  

Nous ne nous laisserons pas faire. Nous ne les laisseront pas faire.
Toutes et tous dans la rue le 31 janvier !
Le rendez-vous du pink bloc est à 13h30 place d’Italie devant le bar “le p’tit coco”. Venez avec vos camarades, vos ami·e·s, vos amant·e·s. Nous organisons également un atelier pancartes et slogans ouvert à tou·te·s à “la Mutinerie” à partir de 10h30.
Et si vous souhaitez nous soutenir, vous pouvez aider le collectif à organiser ces pink blocs, à acheter les mégaphones, sono, de quoi faire les banderoles, les pancartes, confettis etc…  avec cette caisse de lutte : www.papayoux.com/fr/cagnotte/pink-bloc-pour-nos-retraites

(1) Réception des ovocytes de la partenaire, dit ROPA pour les intimes : procédé de fécondation in vitro proposé aux couples de femmes qui repose sur le partage de la conception du bébé ente les deux compagnes. Il s’agit d’une double maternité, nécessitant le don d’ovocytes de l’une et l’utilisation de l’utérus de l’autre. 

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