Les Orphelins du soin de Montluçon

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Billet de blog 12 septembre 2022

Les Orphelins du soin de Montluçon

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Un accès à la santé honteusement bafoué pour les enfants du centre de la France

Le service de pédiatrie du CH de Montluçon est frappé par les difficultés depuis plusieurs années. Le sous effectif médical s'aggrave face à des besoins de santé de la population croissants. La situation est dénoncée aux autorités de santé... En vain. L'histoire de cette population qui risque de se retrouver sans soin de proximité est racontée dans cet article, en 3 volets.

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Volet 2

 L’angoisse démarre, les astreintes s'enchainent, les difficultés également. Toujours autant d’enfants malades se présentent à l’hôpital de Montluçon, mais il n’y a que 2 pédiatres et 1 PAA  pour les accueillir.

Il y aura bien le recrutement d’un pédiatre qui s'avèrera finalement incompatible avec l'exercice, tant sur le plan relationnel que médical et qui partira au bout de 4 mois.

Une augmentation de salaire sera demandée pour la PAA, qui se soldera par un échec, quand bien même l'argument de l'inégalité par rapport aux salaires offerts dans les autres hôpitaux de France est donné. "Comment pouvons-nous réussir à recruter si nous n'alignons pas les salaires des PAA sur les autres hôpitaux ? " s’insurge Hiba Trraf. Mais rien ne bouge.

Une demande d'intérim sur le long cours est ensuite adressée à la Direction. "Pouvons-nous bénéficier de l'aide d'un collègue intérimaire tous les jours, afin de remplacer ne serait-ce qu'un seul de nos 4 collègues partis ?" Après 4 mois de relances, le couperet tombe : "après septembre 2021, vous n'aurez plus le droit à de l'intérim, car cela coûte trop cher".

La Direction propose, plutôt que de l'intérim au long cours ou d'aligner des salaires, de fermer les urgences pédiatriques. "Vous aurez moins de travail".

Mais quelle solution est proposée aux enfants qui continueront d'être malades ? Aucune n'est décente. Les pédiatres refusent de brader la qualité des soins prodigués aux enfants sous prétexte qu'elles sont fatiguées; ce n'est pas la bonne réponse à apporter. 

Elles expriment notamment le fait que leur épuisement les amènera à partir prochainement. "Chantage" leur répond-on.

Elles font grève en mai 2021.  Elles obtiennent alors enfin que les salaires des PAA soient rehaussés, et que de l'intérim soit "plus fréquemment demandé". La presse locale parle succinctement de la pédiatrie. 

Novembre 2021, une des pédiatres, lasse de la charge de travail, pose son souhait de disponibilité. Demande acceptée sans discussion par l'administration.

Hiba Trraf et la PAA restantes expriment leurs inquiétudes sur l'avenir, et l’impossibilité à tenir à bout de bras un service seules : elles resteront jusqu'à la fin du semestre des internes, soit avril 2022, puis partiront.

Des discussions sur l'avenir du service ont lieu avec le CHU de référence ; des propositions de postes sont faites aux internes mais ne les attirent guère. La situation de l’hôpital de Montluçon commence à se connaitre dans la région et la charge de travail qui attend les postulants ne fait rêver personne, malgré tous les avantages du service.

A trois mois du départ annoncé, rien n'est anticipé. Hiba Trraf décide une nouvelle fois, de même que sa dernière collègue PAA, de crier plus fort et de repousser officiellement sa démission à octobre 2022, afin de laisser une chance aux autorités de santé de prévoir un plan de soins. Elle envoie une proposition d’adapation de l’activité qui pourrait permettre à des pédiatres d’être attiré par l’exercice. Elle y précise la nécessité de se pencher sur les aménagements rapidement. Son courrier reste lettre morte.

En parallèle, les difficultés médicales grandissent, et notamment en pédopsychiatrie, secteur depuis longtemps en souffrance (1.4 praticien pour 4 postes) : les adolescents vont mal, n'ont pas de place en pédopsychiatrie et sont hospitalisés en pédiatrie, dans des locaux inadaptés, avec du personnel non formé. Des agressions ont lieu. Le Procureur de la République est averti. Rien ne se passe.

Avec l'aide du Président du Conseil de Surveillance, Hiba Trraf, devenue cheffe de service au départ de sa collègue, rédige un courrier à l'attention des Présidents de la République, Premier Ministre, Ministre de la Santé, et n’obtient aucune réponse.

En mars 2022, une réunion en visioconférence avec le Directeur des soins de l'ARS est obtenue par le Direction de l’hôpital et le Dr Trraf : face à l´énumeration des missions de cette dernière , à savoir "la gestion de la sécurité sanitaire, l'anticipation et la gestion des crises sanitaires", la cheffe de service se verra rétorquer qu'il ne lui incombe pas d'énoncer les missions de l'ARS; que l'interprétation qu'elle en fait est erronée; que le Directeur est là pour l'écouter, mais pas pour répondre à ses injonctions, et enfin que si elle avait eu une meilleure organisation, de nombreux pédiatres seraient venus l'aider". D’après le site de l’ARS Auvergne Rhône Alpes, la Direction de l'Offre des soins a pour objectif de "garantir et d'améliorer l'accès et la qualité des soins dans un souci de réduction des inégalités territoriales et d'améliorer l'efficience de l'offre de soins dans un objectif d'optimisation des ressources".

Hiba Trraf rédige un nouveau courrier dans lequel elle redemandera aux autorités de santé (ARS) de l'entendre. Ce courrier sera également adressé à l'Ordre des médecins, au Président de Région, au Directeur général du CHU, au Doyen, au Préfet. Seul le Directeur général du CHU répondra, en expliquant avoir pourtant participé à aider en envoyant des pédiatres de son établissement: aide réelle mais totalement insuffisante.

En juin 2022, avec l'aide du CDHP (Comité de Défense de l'Hôpital Public), un collectif  "Les Orphelins du soin de Montluçon" est créé.

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