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Billet de blog 7 mars 2022

Lettre à nos collègues du secteur du déchet pour s'organiser ensemble

Chers collègues, nous vous écrivons pour vous raconter nos conditions de travail et comment s’est passé la grève. Nous n’avons pas encore abouti à toutes nos revendications, mais nous avons le plus important : nous avons pris conscience de notre force. Si vous vivez les mêmes choses que nous, prenez contact avec nous pour préparer la suite. Ensemble on est plus forts.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Chers collègues,

Nous sommes trieuses et trieurs, conducteurs d’engins et de machines au centre de XVEO Véolia Paris 15ème. Nous sommes 70 salariés dans la société. Le 14 octobre 2021, à cause des inégalités de salaire et de nos conditions de travail, nous avons fait une grève reconductible qui a duré une semaine. C’était notre première grève. 

Le 4 février 2022, nous sommes réunis avec nos délégués syndicaux pour répartir la caisse de grève et parler de ce qu’on va faire maintenant. Nous vous écrivons pour vous raconter nos conditions de travail et comment s’est passé la grève. Nous aimerions communiquer avec vous et savoir comment ça se passe chez vous. Si ça vous intéresse, nous pouvons nous rencontrer et voir comment on peut agir ensemble. 

Les transports

Nous sommes deux équipes, le matin et l’après-midi. Le matin on commence à 6h jusque 14h, et l’équipe d’après-midi commence à 14h jusque 22h, avec 30 minutes de pause. Nous, nous sommes l’équipe du matin. Souvent nous habitons loin : pour certains d’entre nous, il faut se lever à 3h du matin, prendre le bus de nuit et faire trois changements pour arriver à 5h30 et se préparer pour être à la chaine à 6h. Sur la chaine, nous sommes beaucoup de femmes. Sur les machines et pour transporter les bacs, nous sommes surtout des hommes. 

Le poste de travail 

Nos collègues de la collecte ramènent les déchets par camion. XVEO Paris 15 est un grand centre de tri : avant, on traitait en moyenne 40 tonnes de déchets par jour. Aujourd’hui les responsables disent que chaque équipe traite 70 tonnes de déchets par jour, mais en fait c’est beaucoup plus. On ne sait pas exactement le tonnage parce que seuls les responsables savent le poids des balles. Mais nous, on pense que c’est le double qui est traité. 

Une agente de caractérisation contrôle les arrivées.  Le gros des déchets est trié à l’arrivée, avec des aimants pour prendre le métal. Ensuite c’est un tri manuel. Il y a plusieurs tapis, tout est mélangé et après il y a un séparateur. La chaine ne doit pas s’arrêter sinon le responsable a des comptes à rendre au client. On trie, on enlève ce qui est dangereux : DASRI, couteau … La chaîne ne s’arrête pas, il faut être vigilant. 

Au bout du tapis, les déchets vont dans des bacs. Ils sont transformés en balles et envoyés dans d’autres usines comme matière première secondaire. Ce qui n’est pas traité va à l’incinérateur. Rien n’est jeté dans la nature. Nous protégeons la nature.  Nous sommes un métier d’avenir. 

Un métier dangereux

Il y a beaucoup d’hôpitaux dans le secteur, et sur le tapis on trouve des seringues, des masques usagés, parfois des poches de sang. Il faut faire attention aux infections. Parfois il y a des gaz qui donnent mal à la tête, on ne sait pas ce que c’est. Il y a aussi beaucoup de poussière, quand le premier tri laisse passer des gravats ou de sacs d’aspirateur.  

À la chaine, on doit rester 4 heures debout sans bouger, ça fait mal aux genoux et au dos. Il faut trouver un moyen de se dégourdir les jambes pour éviter d’avoir des problèmes plus tard. Alors quand c’est possible, on va aux toilettes pour marcher un peu. 

Au bout du tapis, il faut porter des bacs de 70 kg. On doit faire attention au dos et bien plier les jambes pour ne pas se blesser. On fait ça 20 fois par jour. C’est un métier dur. 

Les accidents de travail

Parfois il y a des accidents. On peut se couper ou se piquer avec une seringue malgré les gants. Dans ce cas, et aussi pour protéger nos familles des infections, il faudrait faire des tests et voir un médecin, mais souvent on nous propose du désinfectant et on nous renvoie à la chaine. Pendant la pandémie, nous avons trié beaucoup de déchets infectés, et nous avons été en danger. 

Il y a eu aussi des explosions de gaz, de l’amiante ou des gaz chimiques qui sont mauvais pour la santé.  Nous vivons 12 ans de moins que les autres salariés parce que notre santé est mise en danger. 

Quand on doit aller aux toilettes, on doit attendre que le chef de cabine nous remplace pour ne pas arrêter la chaine. Mais il faut parfois attendre trop longtemps. Une fois, un collègue diabétique a fait un malaise sur la chaine. Il s’est cassé la clavicule. Il a été transporté à l’hôpital. Quand on appelle les pompiers, le SAMU, ils ne viennent pas tout de suite.

Il y aussi les bourrages. Quand la cadence de la chaine est trop rapide, ou quand le tri en amont laisse passer des petits électroménagers, ça bloque le système. Il faut alors débourrer. C’est une procédure dangereuse. Dans un autre centre de tri, un collègue a perdu son bras dans la machine pendant un débourrage. 

Quand le responsable des débourrages n est pas là, on le remplace parce que la chaine ne doit pas s’arrêter trop longtemps. Ca permet de marcher un peu, ça soulage les jambes. Le responsable nous donne une récompense. Mais nous ne sommes pas formés pour ce travail et le risque d’accident est grand.

Les managers

Les managers nous traitent comme des enfants, ou font comme si on n’existait pas. Ils passent sans dire bonjour, ou donnent un ordre sans dire s’il te plait. Parfois ils parlent mal. Ce n’est pas normal : il n’y a pas de hiérarchie dans le respect. Avant, on a même eu un manager qui tapait à la porte des toilettes pour savoir qui n’était pas à son poste. 

Une autre fois, il y avait une panne de chauffage. Il faisait moins 6. Il faisait trop froid pour travailler. Le manager était en colère. Il a dit : « maintenant que vous êtes dans un pays de droits vous réclamez des droits ». Mais nos délégués syndicaux n’ont pas laissé faire et le manager est parti. Depuis la grève, c’est différent. Les managers nous disent bonjour. Ils disent s il te plait. On a gagné le respect. 

On a voté la grève

Il y a trois ans, notre centre de tri a été racheté par Véolia, et des ouvriers d’autres centres de Veolia sont venus travailler ici. Chaque salarié de Véolia bénéficie d’une prime de 150 euros. Maintenant, nous aussi nous sommes aussi des salariés de Véolia, mais les managers n’ont pas voulu nous donner la prime. En bas de la grille de salaire, on ne touche même pas le salaire minimum. Ce n’est pas normal. A travail égal, salaire égal.  Les responsables n’ont pas voulu négocier avec nos délégués. 

Améliorer nos conditions de travail 

Comme nous voulions aussi améliorer nos conditions de travail et avoir le respect, nous avons décidé la grève. Nous avons demandé aussi des protections pour travailler correctement : des chaises assis debout pour la chaine, des masques à bec pour respirer sans être gênés, plus d’agent de caractérisation pour éviter les bourrages et les déchets dangereux sur les tapis, un meilleur suivi de la santé, les compensations de salaire et la formation pour les remplacements sur des postes à responsabilité, la possibilité de se reconvertir. 

Reconduire la grève

Comme les responsables ne voulaient rien entendre, à la fin de la journée nous avons décidé de reconduire la grève. Certains parmi nous avaient la boule au ventre, et même des délégués avaient peur. Mais nous avons décidé de continuer. Il y a eu beaucoup de soutien : des élus de la ville, des habitants, la solidarité des collègues de la collecte, les ripeurs, les chauffeurs, et nos camarades des syndicats, surtout la CGT.   

Une caisse de grève a été ouverte. 

Être ensemble, ça nous a donné du courage. On était contents : on se battait pour le salaire et les conditions de travail, mais aussi pour le respect. Maintenant, les responsables ne peuvent plus faire comme si on était des enfants.  

La riposte du patron

Le lendemain, les cadres avaient pris nos postes de travail pour casser la grève. Ca nous a mis en colère. C’est un manque de respect pour notre outil de travail et pour nos revendications. Nous avons décidé d’aller devant l’usine, sur la voie publique. Plus rien n’entrait ou sortait. On pensait que les patrons seraient obligés de discuter avec nous, mais ils ne voulaient toujours pas. Pourtant les cadres n’avaient pas le droit de casser la grève en travaillant à notre place. Mais nous ne le savions pas. Nos camarades de la CGT nous ont informés. La prochaine fois, nous saurons mieux nous défendre. 

La suspension de la grève 

Nous avons décidé de reconduire la grève la semaine d’après.

Malheureusement, la mère de notre délégué syndical est décédée et nous étions tous en deuil avec lui. Il a dû partir pour les funérailles et nous avons décidé d’être solidaires de notre délégué et de suspendre la grève jusqu’à son retour. 

Nous avons annoncé que nous reprendrions le travail le vendredi, mais à ce moment-là les cadres sont arrivés avec des convocations en référé au tribunal pour le lendemain. Avec nos délégués syndicaux, nous avons décidé qu’on ne reprendrait pas le travail sous la menace, et nous avons reconduit la grève. Alors les patrons ont abandonné les poursuites. Nous avons refusé de signer le protocole de fin de conflit dans l’attente du retour de notre délégué. 

Et maintenant ?

Aujourd’hui nous avons obtenu le respect. Les responsables nous disent bonjour. Ils nous regardent dans les yeux. Nous osons refuser d’exécuter une demande si elle n’est pas demandée poliment. Nous sommes des travailleurs essentiels. Nous savons l’importance de notre métier aujourd’hui pour la beauté de la ville, la santé des habitants et la nature. 

Nous n’avons pas encore abouti à toutes nos revendications, mais nous avons le plus important : Nous avons pris conscience de notre force. Nous savons qu’ensemble nous pouvons améliorer nos conditions de travail, de salaire, protéger notre santé, avoir le respect. 

Ensemble on est plus forts. Si vous vivez les mêmes choses que nous, si vous aussi vous voulez le salaire, la santé, le respect, prenez contact avec nous pour préparer la suite ! 

Nous soutenir:

Caisse de grève : https://www.onparticipe.fr/cagnottes/HHu4Anyj

Nous contacter: 

Contacts : UL CGT PARIS 15 ulcgt.paris15@gmail.com 07 63 22 90 00 –

CGT Véolia : Propreté cgtvrvd@gmail.com 07 87 50 30 56 –

DS CGT XVEO 06 44 73 71 09 

Revue de presse:

Un excellent article de Basta : https://basta.media/Recycler-trieur-de-dechets-sytcom-conditions-de-travail-Ecosystem-emplois-verts

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