Les porteurs de lanternes

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Billet de blog 2 novembre 2023

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Haro sur le français !

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

C’est la guerre ! C’est la guerre !

La langue brûle par les deux bouts. Et nous voilà de nouveau livrés au feu d'une bataille singulièrement féroce… dont l'enjeu tolère pourtant si mal l'esprit de conquête. Conservateurs imbus de leurs vieux privilèges ou bien apprentis-sorciers ivres de révolutions, on est priés de revêtir celui des deux costumes qui nous convient le mieux et de piétiner l’autre sans faiblir.

Disons-le tout de suite, notre idée n'est pas de tirer l'épée à notre tour. Ni encore de prêcher pour la paix des ménages – contrairement à ce que laisse peut-être penser cette entrée en matière. Il s'agirait plutôt de rendre humblement a chacun les mérites de son combat. Allons-y, donc.

D'abord, à ceux qui œuvrent pour faire de notre langue une maison plus hospitalière, nous voulons dire un grand merci. Car ils ont raison : le français est une langue difficile ! Difficile à comprendre, d'abord, dans la façon toute cruelle qu'elle a de ne jamais courber l’échine devant ses propres règles. L'écolier y perd volontiers son latin (si jamais il lui en reste) et l'étranger s'y casse les dents. Difficile à écrire, ensuite, avec ses bataillons de lettres muettes et ses ambitieuses compositions orthographiques.

Difficile à transmettre par des temps qui courent malheureusement plus vite que nous tous.

Au combien difficile à supporter pour celles et ceux que l'histoire de sa constitution a laissés sur le bord du chemin.

Le combat pour l'actualisation du français et pour son inclusivité ne nous semble ainsi ni trivial, ni absurde, quoi qu’on en dise. Ceux qui jouent cette partie-là nous préviennent fort à-propos contre le danger que notre langue ne devienne notre prison.

Aux autres qui se battent pour que la langue française conserve en elle les empreintes éclairantes de son histoire, nous voulons exprimer une gratitude non moins sincère ! Car il nous semble que leur cause n'est pas moins estimable.

Il est lucide de regarder notre inefficacité à enseigner le français par d'autres prismes que celui, parfois très commode, de sa difficulté. Essentiel, aussi, de surveiller que ce terrifiant instrument de pouvoir résiste convenablement aux climats versatiles de nos expérimentations politiques – les meilleures comme les pires.

Enfin, il nous parait juste qu'une place demeure (une place mesurée, mais une place tout de même) pour l'affection que les locuteurs portent naturellement à l'état contemporain de la langue qu'ils parlent. C'est une tendresse légitime qu'il est toujours mal avisé d'offusquer, quelle qu'en soit la bonne raison.

On ne se privera donc pas d'adresser, aux uns comme aux autres, nos chaleureux encouragements. Leur tâche est sans repos !

Elle pourrait être moins rebutante cependant. La condition en est peut-être insurmontable… Mais, dans notre prétentieuse tentative de nous montrer intelligent, nous irons sans vergognes jusqu'à la nommer : battons-nous, très bien, mais ne nous méprisons pas.

Car c'est pourtant vrai que chacun est soulagé de ses propres contradictions par l'ardeur que met un autre à s'en faire l'incarnation farouche… Et si je suis dispensé de réfléchir aux problèmes que pose toujours mon idéal de la langue, c'est que l'adversaire a l'obligeance de s'en charger pour moi. Je lui dois donc, plutôt que des insultes, une bien fière chandelle.

On nous objectera à raison que cette posture d'équilibriste n'est pas du plus grand courage. C'est vrai ! Mais nous sommes fermement convaincus que, pour faire un monde qui tourne, il ne faut pas seulement des courageux. Il faut aussi des lâches pour expliquer aux uns le courage des autres!

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