Les classes défense : quand l’école s’incline
sous le drapeau
Alors que l’Éducation nationale se délite, les « classes défense » s’installent au cœur des
collèges et lycées français. Sous couvert de citoyenneté, ce dispositif du ministère des
Armées interroge : que devient une école qui enseigne la discipline militaire avant la
réflexion, l’obéissance avant la liberté ?
Depuis quelques années, un dispositif discret mais révélateur s’installe au cœur de l’école française :
les classes défense et sécurité globale. Créées en 2005 dans l’académie de Nice, puis intégrées
officiellement au protocole interministériel de 2016 entre le ministère des Armées et celui de
l’Éducation nationale, elles constituent aujourd’hui l’un des projets phares de la politique jeunesse du
ministère des Armées. À ce jour, on compte 968 classes défense sur le territoire français(1).
Officiellement, ces classes visent à « renforcer le lien Armée-Nation » et à « transmettre les valeurs de
la République à travers la défense »(2). Présenté comme un projet civique et pédagogique, le dispositif
se veut formateur : faire découvrir aux élèves la diversité des métiers de la défense, développer le sens
du collectif et de l’engagement.
Mais derrière cette façade consensuelle, ces termes galvaudés, le projet inquiète. Il transforme la
mission initiale de l’école publique : instruire et aider à l’émancipation de la jeunesse. Car il ne s’agit
pas d’un simple partenariat institutionnel entre l’Éducation Nationale et le Ministère des Armées :
c’est une vision du monde qui s’invite dans les salles de classe — une vision où la défense et la
sécurité deviennent les nouveaux fondements du civisme, et permet insidieusement de légitimer et
préparer à la guerre. Car, les activités que proposent les classes défenses illustrent clairement cette
orientation : séances de tir au pistolet laser encadrées par la police nationale, visites de sites militaires,
participation à des cérémonies commémoratives, fouilles de cellules reconstituées, etc. Ce dispositif
implique toute une réalité politique qui s’installe : celle d’une école apprenant moins à comprendre le
monde qu’à lui obéir, préparant insidieusement la jeunesse à l’ordre guerrier.
Il est nécessaire de rappeler que selon le vade-mecum officiel(3), les classes défense s’adressent à des
élèves âgés de treize à quinze ans. À un moment décisif de leur formation intellectuelle et civique, ils
sont invités à participer à des activités encadrées par des militaires ou des forces de l’ordre. Le
dispositif prévoit même la possibilité d’obtenir une attestation de participation valorisable dans le
parcours scolaire. Ce détail administratif, en apparence anodin, traduit pourtant une transformation
silencieuse des logiques éducatives. Ce qui devient reconnu et valorisé par l’institution n’est plus
l’engagement associatif, artistique ou culturel — espaces traditionnellement liés à la créativité et à la
(1) Chiffre du ministère des armées et des anciens combattants pour le premier trimestre 2025.
(2) Vade-Mecum 2022, Classe de Défense « La jeunesse au cœur de la défense », Ministère des armées.
(3) Le vade-mecum des classes défense, publié par le ministère des Armées, précise le cadre juridique, les objectifs pédagogiques et les
modalités de mise en œuvre du dispositif. Il sert de référence commune aux établissements scolaires et aux unités militaires partenaires.
réflexion — mais une activité directement placée sous l’égide du ministère des Armées. Le fait que
l’école reconnaisse davantage la participation à une classe défense qu’à un projet citoyen ou à une
action bénévole interroge : quels types d’engagements la République choisit-elle désormais de
récompenser ?
Le déploiement des classes défense se concentre par ailleurs dans les territoires fragilisés — zones
rurales, quartiers populaires, établissements REP+. Ce ciblage n’est pas fortuit : il consacre une
nouvelle forme d’intervention de l’État dans les milieux populaires, où la présence militaire devient un
substitut à l’absence de moyens éducatifs, aux délitements des services publics. Derrière cette
orientation se dessine une politique implicite : faire de l’armée un instrument d’encadrement social là
où les services publics ont reculé. De plus, il y a la tentative d’enrôler en priorité la frange de la
population la plus vulnérable dans un premier temps.
Enfin, afin de convaincre les enseignants de s’engager dans de pareil projet et de permettre
l’intervention de l’armée dans leurs classes, le ministère ne recule devient rien. Les classes défenses
deviennent un véritable outil de chantage. En effet, les classes défenses étant financées et
accompagnées par la Direction du service national et de la jeunesse (DSNJ) et la Direction des
patrimoines, de la mémoire et des archives du ministère des Armées (DPMA), parfois en partenariat
avec la Fédération nationale André Maginot. Les budgets alloués sont bien plus conséquents que ceux
de l’Éducation nationale. De ce fait, les caisses des services publics étant vidées, il est proposé aux
enseignants un certain budget pour mener à bien des projets avec leurs élèves, tel un voyage scolaire.
En échange de quoi, cependant, l’enseignant devra engager sa classe et signer un partenariat avec le
Ministère des Armées.
De ce fait, le paradoxe est saisissant. Alors même que le ministère de l’Éducation nationale voit ses
moyens se réduire, que les enseignants alertent depuis des années sur la dégradation dramatiques des
conditions de travail et d’apprentissage et la perte de sens de leur métier, c’est le ministère des Armées
qui semble, lui, investir dans l’école. Les classes défense se multiplient, soutenues par des budgets
militaires croissants, là où les budgets éducatifs stagnent voire diminuent.
Que dit ce transfert implicite de responsabilités ? Pourquoi l’État choisit-il d’adosser la construction
du citoyen à l’institution militaire plutôt qu’à la culture, à la philosophie ou à la citoyenneté critique ?
L’argument souvent avancé par les promoteurs de ces classes est celui de la « transmission des valeurs
de la défense »(4). Mais cette formule, à la sémantique incertaine, mérite d’être examinée. De quelle
« défense » parle-t-on ? De la protection du territoire, de la préservation des institutions, des intérêts
économiques, ou de la défense d’un ordre social ? Et surtout, qui définit ces valeurs ? Les valeurs
républicaines sont-elles réellement compatibles avec celles d’une institution fondée sur l’obéissance,
la hiérarchie et le sacrifice de vies entière au nom du conflit ? Le vocabulaire employé dans les textes
officiels révèle, à lui seul, un imaginaire politique alarmant. On y parle d’« éducation à la résilience »,
de « sécurité globale », de « culture de l’engagement »(5) — autant de notions qui substituent à
l’éducation critique une pédagogie de la stabilité et de la conformité.
Le risque est grand de voir se diffuser, à travers ces dispositifs, une représentation restreinte de la
citoyenneté : une citoyenneté qui s’exprime moins par la critique que par la loyauté, moins par la
participation que par la discipline militaire. L’élève n’est plus formé à penser le monde, mais à s’y
conformer. Sous des dehors civiques, cette conception glisse vers une normalisation politique :
l’intériorisation du réflexe sécuritaire comme horizon de la vie collective.
Cette évolution ne peut être comprise sans un regard plus large. Car si la France militarise son
imaginaire éducatif, elle n’est pas isolée. Partout en Europe, la montée des tensions internationales, la
(4) ibid
(5) ibid
guerre en Ukraine, la pression atlantiste et les discours de sécurité globale favorisent un retour du
langage militaire dans l’espace civil. On demande à la jeunesse de « se préparer », de « s’engager »,
de « défendre ». Mais on oublie de lui apprendre à contester, à débattre, à désobéir. Mais, une
République qui habitue sa jeunesse à la hiérarchie militaire au lieu de l’initier à la liberté prépare
moins des citoyens que des exécutants. Et dans ce renversement silencieux se joue peut-être l’avenir
même de la démocratie, et la réalité du conflit militaire.
« On croit mourir pour la patrie, on meurt pour des industriels » annonçait déjà Anatole France dans
une Lettre.»
Ainsi, d’ores et déjà plusieurs mobilisations pour protester contre cette marche à la guerre ont eu lieu.
Des parents se sont mobilisés dans des collèges afin de refuser que leurs enfants ne participent aux
classes défenses, un rassemblement a eu lieu le 23 octobre à Paris à l’appel de plusieurs organisations
(mouvement des mères isolées, SNAP CGT, CGT chômeurs rebelles) pour dénoncer le forum de
l’armée organisée par France Travail, et toutes les semaines des rassemblements se maintiennent pour
un cessez-le-feu en Palestine. Partout, nous nous rassemblerons pour refuser la guerre.
Collectif contre la guerre 21
Co signé par La France insoumise 21, les jeunes de LFI21, AFPS21