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Billet de blog 4 août 2024

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Thomas jolly, Philippe Katerine ne vous excusez pas!

Les principales scènes de votre spectacle étaient étourdissantes d’audace et d’énergie. Des tourbillons de vitalité. Une audace insensée oui, dans sa définition intégrale : « Qualité de l’âme qui incite à accomplir des actions difficiles, à prendre des risques pour réussir une entreprise considérée comme impossible ». Alors de grâce, ne vous excusez pas !

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Vous avez eu cette audace de conjuguer dans un collage lumineux et détonnant les contraires qui sont aujourd’hui la France à l’international. Grâce à votre mise en scène et aux génies des lieux, ces contraires vous en avez fait des oppositions complémentaires. Le plus flamboyant  de votre exigence a commencé par Aya Nakamura, La Garde Républicaine et l’Académie française, trois figures monumentales emblématiques de la Nation et de sa langue actuelle.

 Aussi face à tous les petits choqués et les religieux de tous poils, je vois que Derrida avait bien vu : on ne voit plus rien du monde qu’au travers un empilement d’images et de représentations qui en disent plus long sur ceux qui contemplent que sur ce qui est contemplé.

Obsessionnels en tous genres de l’iconographie catholique, les cathos intégristes voient dans votre scène de Dionysos une Cène qu’ils n’ont de toute évidence réellement jamais bien regardée. On ne s’y promène pas plus qu’on y chante ni danse dans cette Cène là. On s’y transsubtantifie, on y trahi, on y attend l’heure. Elle est déjà d’un autre royaume.

De quoi donc alors se lamentent les petits choqués ? De l’image intérieure qu’ils ont et non de ce qu’ils ont vu car ils ne l’ont tout simplement pas vu.

Tout comme si peu de personnes discernaient les paysages des premiers pointillistes ou des impressionnistes, les horizons de Turner et les soleils de nuit de Van Gogh ou les forêts oranges et bleues de Gauguin. Ils furent mis au pilori et avant eux Le Tintoret, le Titien et Véronèse eurent maille à partir avec l’inquisition pour avoir présenté des scènes sacrées avec des personnages pris dans un cadre trop profane. Entendez trop vie quotidienne.

Tout comme on mit Madame Bovary à la censure, Le Maître et Marguerite et plus près de nous Le festin nu, Tropiques du Cancer et Eden Eden Eden, enfin bien sûr Les versets sataniques à l’index des ayatollahs avec la cohorte de menaces et de morts qui s’en suivit durant des décennies.  

 On aura beau leur dire aux petits choqués et leur répéter que ce n’est pas la Cène qui fait ici référence ici mais un autre tableau, une autre scène, celle de Dionysos et du banquet de Bacchantes. Les bacchantes ! C’est dire si ça défile sur et autour de la table , ce qui fut le cas de votre mise en scène après l’irruption de Dionysos, Dieu de la danse jusqu’à exténuation. Et sincèrement, il était bien sage votre Dionysos dans sa coupelle de fruits et son visage bon enfant.

De quoi donc vous excuseriez vous ?

Toujours, partout, dans tous les arts, en littérature, en peinture, en musique ce sont souvent les plus grands, qui une fois passés à la postérité sont encensés et louangés, qui ont crevé l’écran du présent et ont choqué si terriblement. Car choquer ici veut dire provoquer un tremblement intérieur chez celui qui regarde, lis, écoute... Vous y avez réussi. Bravo

Au-delà des efforts de récupération politiques organisée par l’extrême droite dans ces cris d’orfraies ostentatoires, il serait urgent que chacun s’interroge sur ce qui dans le fond nous trouble à ce point quand une scène nous traverse. Cela devrait trouver toute sa place dans l’éducation.

Pour quelles raisons faudrait-il faire profil bas devant les églises, les mosquées, les censeurs, leur laisser gouverner nos surprises, nos émerveillements et nos rires à ces meneurs de hordes par ailleurs sans scrupules ? Le Vatican se plaint, les Etats-Unis censurent « la nudité » bleue à paillettes d’un acteur ?

Et en quoi l’irrévérence devrait-elle être si choquante qu’il faudrait censurer et s’autocensurer ? Puisque obsession de Cène il y a, rappelons-nous alors la Cène de Buñuel, mise en scène dans Viridiana de manière si délibérément choquante que Le Vatican intervint directement auprès de Franco pour lui ordonner d’interdire et de détruire ce film qui venait pourtant de recevoir a palme d’or à Cannes et que le ministre de la culture et le directeur du cinéma franquistes étaient allés recevoir. Il s’en fallut d’un cheveu que toutes les bobines ne soient toutes détruites par la police politique. Buñuel dut de sauver une ou deux bobines à José Luis Saens de Heredia, cinéaste du franquisme et par ailleurs ami de Buñuel !Bref,  faudrait-il revenir à des temps si sombres de la doxa des soutanes qui interdisent de rire ? Surtout de rire et de se réjouir ?

En quoi les curés et religieux de tous poils et leurs affidés sont-ils légitimes à déplorer des outrances et des humiliations dans ce que nous avons vu ? Dans votre spectacle, personne n’ a menacé ni violenté personne.  

Que L’Église catholique ne se concentre-t-elle sur les dizaines de milliers de plaintes pour pédophilie qui empoisonnent les confesses, les nefs, les sacristies et les écoles privées partout en Europe ? Que les Etats-Unis ne s’étranglent-ils pas d’un système judiciaire qui laisse un ancien président se représenter après avoir organisé et appelé à un soulèvement politique et militaire et à l’assaut du Capitole en 2021?  Se sont-ils excusés ceux là, les premiers  pour leurs violences commises sur des enfants et pour les autres des morts provoquées par cet acte de haute trahison politique? 

Dès lors qu’ils laissent les gens danser et chanter.

Votre cérémonie était sous le signe de l’amour, chanté par Céline Dion. L’amour a été aussi célébré lors des grandes fêtes que furent celles d’Aphrodite dans la Grèce antiques par un espace où les hommes devenaient des femmes et les femmes des hommes pour subvertir enfin toutes les relations et tous les liens figés durant quelques jours salutaires. Carnaval où tout s’inverse avant que chacune et chacun ne réintègre sa petite prison où il est de nouveau si cantonné à lui-même. Pour avoir réouvert de l’espace à ces idées un grand bravo et un grand merci.

Être d’accord de ne pas être d’accord, c’est le prix de la liberté en démocratie.

Ceux qui y dérogent par des cris de haine et des menaces de mort et tous ceux qui les attisent, devraient être poursuivis et traduits en justice.

Thomas Jolly, Philippe Katerine, Barbara Butch, Nicky Doll, tous les artistes, les musiciens, et à l’homme volant du flambeau au-dessus des toits de la capitale, toutes et tous, sur ce grand théâtre de la Seine, de l’eau et des airs, vous avez tenu le défi de formuler cet « aveu, aux yeux du monde entier, que rien ne va pour l’un sans l’autre. »[1]

Aussi vraiment, ne vous excusez jamais de cela.

Un seul regret : que votre spectacle ne demeure seulement un spectacle. Et à cela vous n'y pouvez rien...

[1] Si belle formulation empruntée à Peter Sloterdijk pour un tout autre propos dans son ouvrage « Réflexes primitifs »

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