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Billet de blog 16 mars 2021

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Ce que veulent les femmes (féministes)

Enquête au cœur des mouvements féministes : j’ai enfin trouvé ce que veulent les femmes.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

« Vous êtes infiniment plus subtiles, plus élégantes et plus classes que la gent masculine»

« Derrière chaque homme important se cache une femme qui l’inspire, Derrière chaque grand être humain pressé une mère qui respire  »

« votre fragilité, votre empathie votre tendresse »

Ces textes de l’introduction de l’album « féministe » de Grand Corps Malade m’ont stupéfait : comment peut-il, malgré sa fine plume et sa bonne volonté, être à ce point à côté de la plaque ? Si lui a pu passer à côté de 10 ans de mouvement féministe, je me dis qu’il ne doit pas être le seul.

Difficile pour un homme, il est vrai, de comprendre qu’un compliment peut être mal vécu et nous valoir un reproche en boomerang. En tant qu’homme ayant enquêté pour en savoir plus, je voudrais résumer ici à mes congénères ce que j’ai appris du nouveau féminisme ayant émergé ces 10 dernières années. Tenter de retranscrire, humblement, à partir de ce que j’ai compris en fréquentant les mouvements féministes actuels, ce que veulent les femmes... et ce qu’elles ne veulent plus. J’espère ainsi vous éviter de commettre un faux pas qui pourrait vous valoir les foudres de la gent féminine. A base de petites leçons, comme dans les pubs d’Aubade mais sans les images (vous comprendrez pourquoi).

Introduction : le constat de la nécessité d’une révolution culturelle

Le féminisme a connu plusieurs mutations à travers le XXè siècle en France. Il a d’abord eu une dominante politique avec les suffragettes qui réclamaient le droit de vote dans toute la première moitié du siècle pour finalement l’obtenir en 1944 ; puis sociale avec les revendications de l’égalité salariale (proclamée en 1945), de l’indépendance bancaire et du droit au travail sans le consentement du mari (obtenus en 1965) ou de l’autorité parentale partagée (obtenue en 1970). Un volet "libération des corps" s'est traduit par la légalisation de la pilule en 1967 puis de l'avortement en 1975.

Après une période de 40 ans de relatif retrait dans le débat public suite aux acquis législatifs dans ces domaines, il prend aujourd’hui, devant le constat d’une inégalité persistance malgré les progrès acquis, une nouvelle dimension à dominante culturelle et identitaire. Sans délaisser pour autant l’aspect social et politique. Mais en prenant conscience que les aspects matériels, politiques et socio-économiques, ne pourront réellement évoluer qu’à condition d’une véritable révolution culturelle. Beaucoup plus complexe à appréhender et à faire évoluer, car il ne suffira pas de lois proclamées d’en haut.

C’est un changement des mentalités qui paraît nécessaire.

Par exemple, on a beau jeu de proclamer l’égal accès au travail, l'assignation des femmes au rôle maternel et aux tâches ménagères dans les foyers entraveront la pleine concrétisation de ce droit. Le nouveau féminisme vise donc à transformer les mœurs et la culture.

Première leçon : éviter d’attribuer une caractéristique à une femme en tant que femme.

Attribuer une caractéristique à tout un groupe social n’est jamais bienvenu, quand bien même celle-ci se veut méliorative. Il n’est jamais agréable de ne pas être reconnu en tant qu’individu singulier doté de libre-arbitre. Dire que les femmes sont douces, c’est un peu comme dire que les noirs ont le sens du rythme. Les mécaniques du racisme sont d’ailleurs assez proches des mécaniques du sexisme.

L’essentialisation, basée sur des prétendues différences biologiques, là où il y a en fait surtout des constructions sociales.

« On ne naît pas femme, on le devient » affirmait Simone de Beauvoir. Si une différence biologique -le sexe- est inaltérable, une construction sociale -le genre- peut être déconstruite. Et c’est cela que les féministes veulent pouvoir réaliser : sortir du cadre de la féminité qui leur est imposé par ce genre de préjugé ou, plutôt, par ce préjugé de genre. Ce qui nous amène au point suivant.

Deuxième leçon : être reconnues pour d’autres qualités que celles que l’on attribue traditionnellement aux femmes.

La première qualité valorisée chez les femmes est la beauté sexualisée, très bien digérée par le capitalisme qui a su détourner la révolution sexuelle et la libération du corps des années 68-70. Mais mettre une bimbo dans une émission de télévision par exemple, ce n’est en rien féministe. C’est se conformer à l’horizon d’attente masculin : une femme doit être belle et sexuellement attirante. Voilà pourquoi certaines femmes s’agacent parfois désormais devant ce qu’un homme voulait être un compliment galant.

Même si l’on daigne lui mettre une bonne note, cette femme n’a pas choisi la grille d’évaluation.

Et beaucoup de femmes en ont marre que les hommes s’érigent en juges, que leur corps soit objet d’évaluation. De vivre sous la pression du regard, suspendues à l’approbation, d’être, en fin de compte, objectivées.

Difficile à comprendre pour nous les hommes, car la morale communément répandue « agis avec les autres comme tu aimerais que l’on agisse avec toi-même » ne fonctionne pas ici. Si une femme vient à me faire un compliment sur mon physique, je le reçois avec plaisir car, bien que d’une rare beauté d’après moi-même, il faut bien admettre que cela m’arrive fort rarement. Et il s’en faut de beaucoup pour que je me plaigne que l’on ne s’intéresse qu’à mon physique. En outre, le système patriarcal1 dans lequel nous baignons tous ne me place pas dans la même position que les femmes et je vivrais donc cette expérience personnelle très différemment.

En d’autres termes, les femmes souffrent de voir leur physique désigné comme élément quasi exclusif de valorisation, et le cas échéant comme élément de dévalorisation. Sachant qu’à un certain âge, un tournant s’opérera de toute façon : même Brigitte Bardot n’a pas été épargnée par la disqualification de son physique.

Les autres qualités attribuées aux femmes ; à savoir la douceur, l’abnégation, le soin apporté aux autres et la sensibilité qui serait la mère de toutes ces vertus, sont disqualifiées dans le monde du travail et plus généralement dans le système capitaliste. Il n’y a qu’à voir les salaires accordés aux métiers du care reposant sur ces qualités et largement occupés par des femmes (infirmière, aide-soignante, aide à domicile, institutrice...). De manière générale sur le marché de l'emploi, l'altruisme et la douceur pèsent peu dans le recrutement, la rémunération et la progression de carrière. Si une femme n’adopte pas une identité plus virile, elle a moins d’opportunité de faire carrière. Si elle adopte cette identité virile, sa féminité lui sera déniée et elle sera perçue comme un « garçon manqué ». Des deux côtés, c’est l’impasse. La voie imposée offre peu de possibilités.

Le système de valeurs capitaliste, reposant sur l’esprit de compétition et la performance, disqualifie les qualités attribuées aux femmes : il ne reste donc aux féministes qu’à contester ce système capitaliste et/ou à contester l’identité affublée à la féminité.

Troisième leçon : Le féminisme n’est pas monolithique, il existe plusieurs courants. Le féminisme est traversé notamment, comme beaucoup de mouvements politiques, par un clivage gauche-droite.

Brandissant le même étendard du « féminisme », des femmes pourront avoir des opinions très divergentes.

Le féminisme de droite consiste à demander la parité à tous les étages de la hiérarchie. D’avoir la possibilité d’acquérir des positions de pouvoir. Quitte à accepter des inégalités entre femmes si elles sont en adéquation avec les inégalités entre hommes. Seules les inégalités hommes/femmes seraient injustes. 50 % de ministres femmes, 50 % de cheffes d’entreprises, 50 % de hautes fonctionnaires, 50 % de policières : voilà qui comblerait la féministe de droite. Des empowerment individuels dans un cadre général capitaliste non remis en question. Ainsi, Beyoncé, qui a bien intégré les codes patriarcaux pour faire une belle carrière (au premier rang desquels être sexy) et ne participe d’aucune lutte émancipatrice collective, peut être érigée en icône féministe simplement par le fait de sa réussite individuelle.

En revanche, le féminisme de gauche ne va pas simplement vouloir mettre à bas les inégalités quantitatives mais il revendique la fin des systèmes de domination en tant que tel. Je vais prendre un exemple personnel mais chacun pourra le transposer avec une anecdote de son vécu : j’ai connu, dans l’un de mes nombreux collèges, une femme occupant le poste de principale. Toute femme qu’elle est, elle a exigé un contrôle des tenues des filles à l’entrée de l’établissement car les « épaules nues et shorts courts des filles déconcentrent les garçons ». On ne peut pas dire que l’accession de cette femme à un poste de pouvoir fut émancipatrice pour les femmes, puisqu’elle a intégré les mécanismes de la domination patriarcale et participe de l’oppression des corps des autres femmes. Elle reste un rouage du patriarcat. Le féminisme de gauche ne se contente donc pas seulement de lutter contre les inégalités, même si c’est une première étape, mais contre la domination sous toutes ses formes. Il tend, non pas à simplement accepter de se conformer pour « réussir », mais à remettre en question les critères d’évaluation de la réussite.

De ce malentendu naît, il me semble, le débat sur la prostitution : au nom de la liberté individuelle, d’une forme de capitalisme libéral appliqué au corps, certaines femmes défendent la prostitution. Le corps devient un objet aliénable : j’en ai la propriété, j’ai le droit de le louer. Au nom d’un refus des rapports de domination, la prostitution peut-être au contraire rejetée par d’autres courants féministes. Le corps est inaliénable : c’est parce qu’il m’appartient de droit que personne d’autre ne peut se l’approprier moyennant finance. On pourrait également inverser le curseur entre droite et gauche sur ce point : la prostitution serait contraire à une morale religieuse tandis que le libéralisme des mœurs tendrait à l’autoriser. Pas étonnant que ce sujet cristallise les tensions entre féministes. D'autant qu'au-delà du clivage gauche-droite, le sujet pose une kyrielle de questions éthiques et pragmatiques.

Quatrième leçon découlant des précédentes : l’empowerment des femmes, en les plaçant à des postes de pouvoir, ne suffira pas à plus de douceur, de « fragilité », d’ « empathie », de « tendresse ».

La surveillante-chef d’Auschwitz, Irma Grese, en faisant couper les seins des détenues pour qu’ils s’infectent, ne leur a pas rendu la vie plus tendre. Margaret Thatcher n’a pas fait preuve de beaucoup d’empathie vis à vis des mineurs anglais qu’elle a privé d’emplois. Ces cas, pour extrêmes qu’ils soient, ne sont pas des cas isolés. L’expérience montre que ce n’est pas une caractéristique biologique qui définit la violence des hommes, mais c’est le rôle social qui leur est attribué.

Donnez à une femme une matraque et un poste de pouvoir, elle ne se comportera pas mieux qu’un homme.

Elle devra peut-être même exagérer les coups pour se légitimer. Pour compenser. Adopter une posture de virilité pour mériter sa place dominante. Car c’est toujours en adoptant les codes des dominants que l’on peut prétendre à figurer parmi eux, à accéder au pouvoir puis à y rester.

Ce que veulent les femmes, c’est que leur genre ne détermine pas leur existence, une existence de seconde zone. Il est donc peut-être temps de cesser d’assigner les femmes à la douceur et à la grâce comme à des propriétés biologiques. Si c’est de la douceur que l’on veut, mettons plutôt à bas les systèmes de domination ! Et plutôt que de prétendre vénérer la douceur et le soin apporté aux autres chez les femmes dans des éloges d’apparat, le meilleur moyen de porter ces qualités ne serait-il pas de les véhiculer nous-mêmes? Pourquoi ne pas se les autoriser ?

1Défini par Christine Delphy dès 1970 comme le système autonome d’exploitation et de domination masculine impliquant une structure sociale hiérarchique et inégalitaire

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